Chapitre 48 : Le château de Roncenois

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Charles Gaillot

Jeudi 11 du mois de juin de l’an de grâce 1205 AE.

Domaine des Gaillot ; juste avant les Vêpres

Royaume du Corvin

Le temps exécrable qui avait étreint le royaume de ses griffes froides desserrait peu à peu à son emprise. Malgré le temps maussade, l’été commençait à prendre place dans le Corvin. Mais Roncenois était un domaine du Haut Corvin. L’un de ceux les plus au nord du royaume si on excluait le domaine des Ambroises et le temps était encore loin d’être estival. Les choses prenaient du temps à changer dans le Haut Corvin que ce soient les saisons ou les mœurs.

Dans cette ambiance pesante, une colonne de cavaliers arpentait le chemin qui se dessinait face à eux. Les épaisses forêts du nord bordaient leur chemin et un espace dégagé d’herbe l’encadrait de part et d’autre tandis que le vent, lui, sifflait à travers les arbres proches. Le bois entier était en mouvement et semblait vivant. Le nord était une terre encore sauvage et peu s’aventurait par plaisir dans les bois de cette partie du royaume, même dans les forêts proches du château de Roncenois les gens évitaient de quitter les sentiers. On entendait trop d’histoires sordides ou de légendes. Que ce soit du fait des humains ou des montres, les deux étaient des dangers qui couvaient dans ces espaces boisés et impénétrables.

La colonne de cavaliers, au nombre d’une dizaine d’hommes, avançait à une allure lente sur la route. Tous étaient emmitouflés dans leurs longues capes pour se protéger du vent. Leur fonction ne faisait aucun doute, car tous portaient plastrons, casques et autres pièces d’armure. Certains tenaient de longues lances arborant des fanions qui flottaient et claquaient au gré du puissant vent. Ces tissus de forme triangulaire représentaient le blason de leur seigneur, il était parti d'azur et d'argent avec une tête de loup en son centre. Le blason de la famille Gaillot.

Le silence planait sur la colonne qui avançait sans mots. Leur presque silence était toutefois coupé par la respiration et le hennissement des montures qui, elles aussi, avaient de quoi se plaindre. Que ce soit du temps ou de leur voyage éreintant.

La troupe d’hommes en arme était dirigée par deux figures qui se distinguaient du reste. Leur cape était d’une riche facture, bien plus que leur escorte et aucun des deux n’arborait de casques. Leurs tabards quasi neufs étaient des mêmes couleurs que les fanions et leurs visages bien jeune était bien loin de ceux des hommes qui les précédaient, âgés pour la plupart.

Le groupe progressa ainsi un bon moment sur le chemin avant d’apercevoir au loin la forme du château de Roncenois et son bourg sous-jacent. Le domaine et place forte de la famille Gaillot depuis des temps immémoriaux.

Charles progressait en avant de la colonne et était flanqué à sa droite par un de ses cousins, Odger de Methière. Il faisait partie de la petite noblesse, l’une des nombreuses familles de nobles que comptait le royaume. Toutes gravitaient autour d’une des grandes maisonnées du Corvin partageant parfois les liens du sang pour renforcer leur allégeance comme c’était le cas entre les Gaillot et les Methière.

Alors qu’il ne restait qu’un bon quart d’heure au groupe pour rallier enfin la civilisation, l’homme de tête, celui à droite de Charles prit la parole.

— Alors mon cousin, pourquoi cette mine si renfrognée, tu rentres enfin à la maison, tu devrais te réjouir. C’est vrai que le temps ne s'y prête pas, mais quand même…

— Si ce n’était que le temps Od. Ça fait combien de jours déjà ?

— De jours ?

— Depuis Roussons.

— Je dirais bien neuf.

— J’aurais aimé que cette route soit plus longue, je ne sais pas si je suis si pressé que ça de rentrer.

— C’est notre maison… non ?

— Oui, mais je ne suis plus le même.

— Ne me dis pas que tu préférais le château d’Ambroise quand même.

— Et si c'était le cas ?

— Et bien, je dirais que tu devrais te garder d’avoir de tels propos, ou pensées.

— Pourquoi, c'est un château de traîtres ?

— Heu, oui.

— Aux yeux de qui ?

— Nous, le royaume et toi. Si tu ne cherchais pas à tant réfléchir à de futiles choses.

— Futiles pour toi, ils sont des traîtres pour la partie du royaume qui soutient Léonard tout du moins. Si on perd, ce sera nous les traîtres, à moins que nous ne le soyons déjà.

— Des paroles dangereuses, tu as de la chance que ton père soit à la capitale. Mais évite de dire de telles choses à Emmon.

— Ils ne pensent tous deux qu'à ce que cette guerre leur rapportera.

— Ça devrait être ton cas.

— Et le tien, non ?

— Je ne suis qu’un petit noble. Nous sommes dispensables. Vous, ceux des grandes maisons, vous êtes plus « précieux » pour le royaume. Vos récompenses vont de même. Surtout pour un second fils qui n’hérite pas de titres ou de terres.

— Si c’est pour hériter comme toi d’une petite bicoque que tu appelles manoir alors non merci, fit Charles en rigolant bientôt suivi d’Odger. Sinon, que penses-tu de cette guerre ?

— Je crois que je n'ai pas le loisir de penser, je suis mon seigneur comme ça devrait être ton cas.

— Ça l’est et c'est cela qui me fait douter le plus à présent. N’as-tu pas vu à quoi ressemblait Roussons après le siège…

— Une muraille écroulée et des maisonnettes de bourgeois cuites à point. Cette page est tournée, passe à la suivante. Si ton frère m’a demandé de venir te chercher, c'est que quelque chose de gros se prépare. Ton attention devrait être focalisée sur ça et rien d’autre.

— Une bataille ?

— C'est ce qui se dit, Léonard veut sécuriser Roussons cet automne ce qui nous laisse l’été pour préparer les troupes. Enfin les quelques ères qui ne sont pas déjà de force au front ou en campement pour leur entraînement. La bataille qui s’annonce sera sans précédent.

— À ce train-là, il n’y aura plus personne pour s’occuper des terres…

— Si on se fait battre, il n’y aura plus personne et surtout plus de champ, Charles.

— Que les trois nous gardent de cette éventualité alors.

— Tu dis juste. Depuis combien de temps n’es-tu pas revenu à Roncenois ?

— Plusieurs mois.

— Attention au choc, avec la guerre, ça a bien changé.

— Les festivals et la chaleur du bourg sont donc si lointains ?

— À croire que ça n’a jamais existé. Ton père m’a fait entraîner le moindre serf ou métayer possible. J’espère qu’il sait ce qu’il fait, car on commence à avoir une troupe plus qu’impressionnante au niveau du nombre. Et des champs et terrains plus que vide… Bon, on y est bientôt, pressons.

Agitant les brides de sa monture, Odger accéléra la cadence bientôt suivie de Charles et les hommes qui rallièrent la demeure des Gaillot. La colonne arriva devant les murs du bourg, la construction défensive qui entourait les lieux était une enceinte d’épaisses pierres de taille terminées par des hauteurs crénelées et quelques tours-ci et là.

À l’approche des cavaliers, des têtes se penchèrent du haut des murailles pour les observer et les quelques gardes en faction à la porte se poussèrent en saluant les arrivants. Ils agirent ainsi énergiquement pour ouvrir la lourde porte de bois cloutés. Ils se pressèrent ainsi non pas pour juste faire plaisir au fils de leur seigneur, mais bien pour pouvoir regagner au plus vite les braseros et quelques feux allumés qu’ils venaient de quitter.

Les hommes qui tentaient de se tenir le mieux possible avec leurs longues armes d’hast firent un salut bien bref aux arrivants durant leur passage. Et ce avant de se battre pour reprendre les places autour de leurs feux.

La structure défensive du bourg fit place de suite aux petites rues des lieux. Le sol était recouvert en grande partie de pavés. Les maisons, de quelques étages pour les plus hautes, encadraient les voix de passages de leur taille et ombre. Les premiers étages de ces bâtisses collées les unes aux autres étaient faites de grandes façades et arches de pierre. Les étages qui prenaient ensuite place étaient faits en colombages associant des motifs et enchevêtrement de bois plus différents les uns des autres.

Par endroits, la terre crue des murs s’effritait comme pour témoigner de l’existence longue des bâtiments. Les encorbellements des bâtisses permettaient aux structures en bois d’être toujours plus grandes d’étage en étage. Ces supports de bois permettaient de décupler la taille des étages supérieurs créant des bâtiments toujours plus hauts et imposants. Mais créant aussi un effet d’enfermement toujours plus important vu du centre de la rue avec le ciel faiblement visible au centre des deux rangées de bâtiments. Vue de la place qu’occupait Charles devant ses combattants.

De nombreuses cordes et tissus couvraient le dessus des passages, dansant au gré du vent tandis qu’au sol les rues étaient bien désertes. La plupart des volets des bâtisses étaient fermés et les portes, elles, bien closes.

L’atmosphère ambiante était comparable au temps et à l'état actuel du royaume. Froid. La ville semblait bien déserte et les quelques passants cédèrent vite la place en baissant la tête durant le passage de la troupe en arme. L’ambiance n’était pas aux festivités, elle n’était pas au beau fixe.

À mesure de sa progression Charles sentait les regards cachés derrière les volets le guetter, l’observer. La guerre ne s’était pas porté jusque-là mais l’effort de la population aussi bien en homme qu’en ressource avait déjà creusé un fossé entre combattants et simples membres du royaume. Entre les nobles et leurs sujets.

Tous semblaient le fuir alors qu’il y a quelques mois de ça, il pouvait engager la conversation avec chacun des habitants des lieux. La guerre éveillait le pire chez les hommes, mais plus encore. Elle ravageait et scindaient les personnes autrefois proches. Amis comme ennemis.

Tandis que la colonne de Charles progressait dans les rues, ils arrivèrent à la place centrale. Là, où se tenait autrefois le marché bondé, prenait place un endroit bien vide. Le cœur du bourg autrefois grouillant d’activités de discussion ou encore de rire était comme changé. Les quelques personnes présentes sur la place baissaient elles aussi la tête lorsqu’elles virent la troupe.

Mais l’une des femmes présentes, contrairement à ses homologues, avait le regard, elle, bien levé.

Ses yeux fixaient Charles et pendant que son coursier avançait, elle s’approcha alors de lui dans une démarche directe et bien sûre.

Reconnaissant l’un des fils de son seigneur, elle tira sa cape pour attirer son attention comme si son regard perçant n’avait déjà pas suffi.

— Mes enfants sont allés se battre pour notre seigneur et le roi Léonard, commença-t-elle la voix triste et pourtant assurée. Mon mari se tue seul à la tâche à abattre le travail de toute une famille depuis et à présent, comme si les Sauveurs nous avaient oubliés, nous avons un nouveau malheur qui nous guette. Des bandes en maraude lancent des rapines alors que la plupart de nos hommes sont à la guerre ou gardés en garnison pour leur entrainement. Qui nous protège ? J’ai tout donné, nous avons tout donné et comment vous nous remerciez ? En nous abandonnant à la fripouille.

Les expressions de la femme avaient changé. Se mouvant de la tristesse à la colère au fur et à mesure de son discours. Charles quant à lui était de marbre, il ne savait quoi dire, quoi répondre. Tandis que son cheval avançait, la femme avait arrêté d’accompagner l'animal et se tenait, là, immobile après avoir lâché la cape. Bientôt repoussée par le bas de la lance d’un des cavaliers qui précédait Charles. La poussant pour l’écarter de leur passage.

Seul son visage accusateur restait dans l’esprit de Charles. Un visage qui, il le savait, allait le hanter.

Que valaient une femme et son mari isolé alors que le sort du royaume était en jeu ? Durant cette époque, c'étaient bien les petites gens qui souffraient le plus. Et Charles, même conscient de ça, ne pouvait faire grand-chose à part être le témoin du ravage de ses terres, de son royaume.

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