Chapitre 60 : Le Moindre Mal

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Thadeus Kreisth

29e jour du mois d’aout de l’an de grâce 1205 AE.

Périssier ; après la prière des Complies

Royaume du Corvin

Le liquide rougeâtre de la cruche coula pour remplir le verre en un long filet translucide à mesure que l’inquisiteur levait le contenant du vin pour aller servir la seconde coupe présente sur la table. Kreisth s’occupa ainsi de remplir les deux verres avant de pousser l’un d’eux vers l’autre occupant des lieux.

— Merci, fit simplement l’invité de l’inquisiteur éclairé par la bougie à moitié fondue qui dansait faiblement sur la table.

Saisissant alors son verre, l’inquisiteur put sentir l’odeur prononcée et tenace de la boisson à présent proche de son nez. Saluant Corbius qui levait également sa coupe, les deux hommes burent.

Kreisth qui reposa à présent son verre à moitié vide sur la robuste table de son bureau put voir que celle de son vieil ami était quant à elle bien vide. Il était stressé à n’en point douter.

Et la chose préoccupante que ce dernier semblait redouté arriva. Le calme apparent de la demeure de l’inquisiteur fut brisé lorsque les deux hommes entendirent un bruit lourd dans les escaliers du bâtiment.

Bruit qui fit place bien vite à la clameur des gardes qui s’ensuivit en s’élevant à travers toute la bâtisse. Les hommes de l’inquisiteur allaient faire honneur à leur devoir.

— C’est l’heure de vérité, fit Kreisth en souriant à Corbius après être entré dans le halo de lumière formé par la bougie de la table qui illuminait son triste sourire.

— Que les Sauveurs nous gardent, reprit le religieux en serrant l’effigie qu'il portait à son cou.

— Ho… ils ne peuvent plus rien à ce stade, dit l’inquisiteur en se levant de son siège. C'est à nous de prendre les choses en main pour un meilleur futur.

Et la porte de la pièce s’ouvrit créant un courant d’air qui fit vaciller la flammèche de la bougie proche de Corbius avant de l’éteindre.

Dans l’embrasure, se dessina une forme qui referma le passage juste derrière elle. Le bruit d’armes avait pris dans le bâtiment et la lutte semblait bien acharnée.

L’inquisiteur debout en presque défiance de l’intrus avait une main posée sur le pommeau de son arme et l’arrivant s’approcha lentement du centre de la salle.

Un froid avait pris la pièce et Kreisth, tout aussi confiant qu’il fût, sentit comme une chair de poule parcourir son corps. Et la chose s’accentua lorsque les deux hommes proches de la table entendirent comme une sorte de chuchotement qui les assaillait. Qui emplit les lieux avec la même rapidité que le froid. Les attaquant tel un millier de froides lames.

Les mots n’avaient aucun sens, cela n’avait rien du vieux continental ou de tout autre dialecte que le revêche inquisiteur avait pu rencontrer au fil de ses nombreux voyages.

— Cesse tes tours, assassins. Car c'est bien ce que tu es pour te faufiler en ces murs une arme à la main.

Thadeus Kreisth, fit l’ombre à présent au centre du bureau d’une voix bien inhabituellement faible. Et Bertham Corbius, vous avez été jugé par les Veilleurs pour traîtrise.

— Si traîtrise il y a, fit Corbius toujours assis. Cela vient de tes maîtres qui jouent avec le pouvoir sans se soucier des vies des innocents.

— Qui est innocent de nos jours, les hommes le sont-ils seulement ? fit l’ombre souriante.

— Venant d’un Ungoï* c'est quand même osé, lança l’inquisiteur en dégainant son épée. Vous vous êtes défilé , il y a des millénaires, durant la lutte contre le Créateur et à présent vous croyez avoir acquis le droit de dessiner un futur selon vos idées. Les fils de la nuit… votre nom est si bien trouvé, car c'est dans l’ombre que réside votre vraie place.

— Et nous y serions encore si votre race n’était pas aussi pervertie. Vous n’avez aucun avenir sans nous. Nous sommes l’œil qui observe la nuit. Nous sommes le rempart contre le culte.

— Le culte… vous l’avez alimenté par vos actions et pratiques… Les Ungoï, ou plutôt les Veilleurs, devrais-je dire, ne sauraient nous manipuler plus longtemps.

— Venant d’un inquisiteur, ces reproches sont d’une douce ironie. Tu crois tout connaître de nous, mais tu es aussi aveugle que les disciples du Créateur que tu as juré de combattre.

— Là, c'est toi qui es ironique, tu m’attaques alors que je suis fait pour combattre les monstres comme toi. Allez, viens m’affronter, rejeton de Malakaï !

Et l’inquisiteur dégaina son épée pour se mettre en garde.

— Il est temps de mettre tes connaissances à l’épreuve alors…

L’Ungoï bougea en un battement de cils pour fondre sur l’inquisiteur.

Les deux combattants armés croisèrent le fer, la longue épée de Kreisth parait les coups précis et rapide des lames courtes que l’assaillant avait sortie.

Les deux semblaient pris dans une sorte de danse mortelle sous les yeux du religieux qui se gardait bien de se faire remarquer. Absent plus que chanceux du jeu mortel qui avait pris place face à lui.

Malgré son expérience et ses talents martiaux, l’inquisiteur fut vite mis sur le reculoir. Les lames de l’Ungoï attaquaient avec rapidité et bientôt, ses coups portèrent, mais en déchirant les habits de Kreisth les lames révélèrent la cotte de mailles qui était cachée juste en dessous.

Stoppant son attaque, la créature qui faisait face à l’inquisiteur était à présent plus éclairée par la bougie de la table et Kreisth pouvait mieux distinguer son visage. Son teint était blafard et presque livide. Ses yeux, eux, étaient d’un violet sombre presque abyssal. L’inquisiteur pouvait discerner les traits tirés, presque énervé de son adversaire.

Il venait de comprendre que la lutte allait durer et que Kreisth n’allait pas se laisser tuer si facilement.

— Tu es plutôt rapide pour ton âge avancé… fit l’Ungoï d’un ton méprisant.

— Cela n’a rien à voir avec mon âge, finit Kreisth en crachant sur le sol l’herbe qu’il avait machée jusque-là.

Les connaissances de l’inquisiteur ne se limitaient bien sûr pas qu’au combat. L’homme aux nombreuses ressources connaissait les plantes, élixirs et autres artifices pour améliorer ses chances lors d'affrontements tendus comme celui-ci.

La Velediane* avait un goût à vous faire vomir aux premiers effluves, mais le vin avait apaisé l’inquisiteur qui sentait à présent pleinement les effets bénéfiques de la plante.

Et cette fois, il attaqua à son tour.

Son épée calquait toutes les passes d’armes qu’il avait apprises aux quatre coins du continent central et ce fut l’ombre qui fut cette fois contrainte de reculer.

L’épée s’abattait avec force et chaque coup dévié était couteux même pour l’ombre qui grimaçait légèrement. L’assassin ne pouvait se permettre de montrer la moindre faiblesse.

La plante allait aider l’inquisiteur un court instant et le combat ne pouvait s’éterniser, il ne le devait pas.

Mais tandis que les assauts de Kreisth se rapprochaient de sa cible, l’inquisiteur comprit que l’assassin l’avait attiré pour mieux le contrer.

Une faiblesse apparente avait suffi à happer les attaques de l’inquisiteur et l’ombre était à présent parfaitement placé pour porter l’estocade.

Déviant l’épée de l’inquisiteur avec l’une de ses lames courtes. L’Ungoï fit tourner la seconde qu’il tenait pour la plonger dans l’épaule de son adversaire arrachant à ce dernier un grognement de douleur lorsqu’il recula.

— Je m’attendais à ce genre de petits tours de ta part, dit L’Ungoï. Mais je suis tout de même déçue. Je t’aurais pensé plus combatif, quelle déception…

À présent à genoux Kreisth avait pris sa lame de sa main gauche, de son côté encore valide alors que le sang perlait de son épaule droite.

— Pour moi, fit l’inquisiteur en se relevant. C'est… tes attaques, qui me déçoivent, articula Kreisth en réprimant la douleur diffuse qui parcourait son corps.

— Alors, meurs empli de déceptions, humain.

Et tandis que l’ombre allait sauter à nouveau sur l’inquisiteur pour faucher sa vie tel l'émissaire de la mort qu’il était, il fut stoppé dans sa course quand la porte du bureau fut enfoncée.

Ce ne furent pas les acolytes de l’Ungoï qui vinrent comme espéré, mais un homme en cotte de mailles qui brandissait une arbalète.

Faisant volte-face, l’assassin n’eut pas le temps de réagir que le trait de l’arrivant fut décoché pour se planter dans le torse de l’Ungoï.

Il s’en est fallu de peu, se dit Kreisth en soufflant le front perlant de sueur et l’épaule meurtrie.

Se tordant de douleur, l’assassin se remit debout pour ne pas abdiquer face à ses adversaires, mais il fut alors transpercé par la lame de l’inquisiteur qui porta sa tête proche de l’oreille de la créature pour lui susurrer quelques mots.

L’ordre envoie ses tueurs pour nous faire disparaître, ils envoient leur plus meurtrier serviteur. Sache que leur mort sera lente, privée de ta protection. Tu as échoué, comprend vile créature, fit l’inquisiteur, ce n’est pas toi qui nous as piégés mais le contraire.

Et il poussa d’un coup de pied sur le sol l’Ungoï qui avait tenté de le tuer en retirant sa lame à présent emplie du sombre sang de la créature.

— Et bien Petiti, un peu plus et c’en était fait de nous…

— Voyons, fit Raffaello en se rapprochant de l’Ungoï. Mieux vaut tard que jamais, non ? Et cette créature est encore capable de vous tuer.

Dégainant une lame en argent, le mercenaire fit rouler la créature sur le dos avant de plonger son épée dans le corps de la créature.

Kreisth pouvait voir les yeux de l’Ungoï s’ouvrir en grand avant de mourir. Avant de se refermer à jamais.

Quelle résistance…

— La nuit n’est pas finie, reprit l’inquisiteur toujours sérieux et autoritaire malgré sa blessure. Amenez vos hommes dans la cour, nous vous y rejoignons sous peu.

Acquiesçant Raffaello Petiti laissa alors l’inquisiteur seul avec Corbius qui s’était enfin levé pour se porter vers le centre de la salle. Vers Kreisth.

— Avons-nous pris la bonne décision… fit l’inquisiteur en observant la dépouille morte de la créature au sol.

— Il est bien tard pour avoir des remords mon ami. Tu m’as rejoint derechef après ma proposition et douterais-tu maintenant du bien-fondé de notre mission.

— Non jamais, mais je me demande si nous n’allons pas devenir comme eux.

— Eux ?

— Les Veilleurs, le Culte…

— Ils sont le mal, regarde cette créature. Elle n’aurait pas hésité à t’ôter la vie.

— Mais, il croyait combattre pour le bien, pour un meilleur lendemain. Pour une cause juste.

— Et ce meilleur lendemain sera vrai, du moins pour notre royaume. Il est temps que les enfants du Corvin prennent leur destin en main mon ami.

— Dis-moi Bertham, pourquoi crois-tu tant que nous allons arriver là ou tant ont échoué ? Pourquoi choisir Pierre, pourquoi le suivre ?

— N’avez-vous jamais cru en quelque chose au point de mettre votre vie en jeu cher inquisiteur ? Que cette chose vous saisisse de l’intérieur ?

— Je croyais au bien fut un temps. Je pensais cette chose si importante inaccessible. Mais si le temps m’a appris une chose, c'est qu’il faudra faire du mal pour atteindre notre objectif.

— Peut-être, fit Corbius à présent vers la fenêtre de la pièce. Parfois mon ami, on doit devenir le mal pour préserver le peu de bien qui reste en ce monde. Je choisis le moindre mal pour un meilleur futur et toi ?

— Je crois avoir répondu à cela rien qu’en cet instant. Viens, notre tâche n’est pas finie.

Et les deux hommes quittèrent la pièce et le corps de la créature pour poursuivre leur longue nuit de combat.

Les lames allaient encore être de sortie dans la calme et assoupis ville de Périssier.


*

Un Ungoï : Créature nocturne dotée d’une vie longue et descendant du dieu Malakaï. L’un des enfants du Créateur qui a été banni des livres par la foi des Sauveurs.

La Velediane : Plante grimpante poussant sur les arbres des marais à l’est du continent central. Elle permet notamment de décupler les facultés d’un homme avant de drainer ses forces vives en conséquence.

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