Chapitre 69 : La bataille d’Ablancourt III – Dans le sang et la boue

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Charles Gaillot

4e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Troupes de réserve du roi Léonard ; après la prière des Tierces

Royaume du Corvin

La mâchoire de Charles se crispait de plus en plus.

Il était là, sur son destrier a observer les troupes menées par son frère être prises au piège. Les mercenaires d’Anaïs avaient surgi du champ comme des démons venu tout droit d’un sombre cauchemar en prenant de flanc les hommes du Bas Corvin avec une rapidité somme toute déconcertante.

Charles serrait de plus en plus fort la bride en cuire de son destrier. Seule action qui lui était possible de faire à cet instant face au triste spectacle qui s’offrait à lui.

Outre leur langue, c’était par leur couleur que Charles reconnut les mercenaires qui avaient attaqué si subitement. La compagnie Écarlate des Petiti devait être presque au grand complet vue leur nombre et démontrait que leur réputation n’était plus à faire.

Leur fameux chevalier rouge à leur tête.

Charles avait déjà fait leur connaissance durant une embuscade tendue aux troupes qu’il menait proche de Rousson. Il en était sorti in extrémiste, sauvé par des hommes de la maison Montbard qui avait entendu son appel à l’aide. À présent, c’était son frère qui était menacé par ces gens et Charles se devait de le sauver.

Mais sans ordre, il ne pouvait bouger, lui ainsi que les hommes de la réserve qu’il menait. Observant le roi et ses conseillers en haut de leur lointaine et protectrice colline, Charles ne pouvait que les mépriser. Si les mois passés à combattre lui avaient appris une chose, c'est que les grands décideurs ne se salissaient que très peu les mains. C’était aux hommes de guerre, aux chevaliers comme Charles de le faire.

Sauf que cette fois se salir les mains voulait dire sauver son frère et Charles était tout à fait prêt à le faire. Il guettait ainsi la colline et tout messager qui aurait amené l’ordre tant attendu. Celui de l’envoi de la réserve.

Mais les aides de camp du roi restaient immobiles et les minutes qui s’écoulaient furent bien vite interminables.

— Charles ! entendit alors le jeune chevalier non loin de lui. Charles !

Se retournant sur sa selle, il vit son cousin Odger qui tentait d’attirer son attention.

Il était lui aussi en armure complète sur son fier destrier du Nord et par son ventail ouvert, il put voir son visage. D’un signe de tête, il indiquait à Charles l’arrière du champ de bataille ou semblait apparaître une colonne de soldats.

Reculant sa monture, Charles vint se placer à côté de son cousin en prenant la parole.

— Tu reconnais les couleurs ?

— Non, elles sont trop lointaines, mais à leur tête ce n’est pas le pourpre du Cardinal ?

— On dirait que le vieux renard nous sort l’un de ses tours…

— Il semblerait et cela arrive à point nommé.

Les nombreux soldats composant la réserve, qu’ils soient cavaliers ou fantassins, étaient maintenus dans un état combatif depuis trop longtemps. Eux aussi voulaient attaquer pour aider leur frère d’armes en mauvaise posture. Ces renforts allaient peut-être enfin les envoyer sur le champ de bataille.

Ainsi, la troupe en approche progressa sous le regard de tous jusqu’à atteindre les hommes composant les troupes de Charles. Lui et son cousin purent alors admirer de près les combattants envoyés par le royaume de Kahélonia.

En tête chevauchaient les chevaliers de ce royaume, reconnaissable à leur casque atypique et à leur couleur orange. Les drapeaux étaient nombreux et affichant l’insigne du dragon royal. En tête de colonne progressait un noble, arborant quant à lui un chaperon oh combien basique dans son agencement. Identifiable dans sa fonction uniquement par le lourd et travaillé collier d’orée qu’il arbortait.

Il devait s’agir là de l’envoyé personnel du roi Berimund. À ses côtés, venaient deux hommes du Cardinal. L’un visage découvert l’air plutôt amical et l’autre, un véritable fantôme d’acier. Un homme qui avançait ventail fermé avec aucune partie de sa peau visible. Une sorte de statue d’acier qui n’inspirait aucune confiance.

— Messieurs, fit Charles en un salut de tête face aux nouveaux venus qui arrivaient à sa hauteur.

— Nous voilà arrivés au bon moment, répondit l’homme du Cardinal. Vulmard, vaguemestre des manteaux pourpre, s’empressa-t-il de dire pour se présenter. Voici l’un des hommes de confiance du Cardinal, continua-t-il en désignant son camarade qui ne bougea pas plus que lors de sa venue. Et enfin, laissez-moi vous présenter le seigneur Olhezka, envoyé de sa Majesté le roi Berimund.

— Trêve de palabres fit l’intéressé avec un ton qui coupa net les éloges et autres échanges de courtoisie. Nos ordres sont d’attaquer et de remporter la victoire en ce jour ! et il fit signe à ses proches chevaliers de le rejoindre.

— Et vous, quels sont vos ordres ? demanda Vulmard à Charles et Odger.

— Aucune nouvelle, mais si vous lancez l’assaut, je pense que nous devrions joindre nos forces.

— Charles, dit Odger pour attirer cette fois le regard de son cousin vers un cavalier qui s’approchait.

— Il suffisait d’en parler pour voir nos ordres arriver.

Échangeant avec le messager, Charles fut alors informé de l’ordre d’attaque.

—Seigneur Olhezka, reprit-il. Nous avons ordre d’attaquer. Je vous propose de joindre nos forces. Vous voulez l’honneur de la charge ?

— Que vos cavaliers se joignent aux miens, dit le noble Kahéloniens éludant la question d’un geste de mains comme pour imposer la chose.

La colonne de renforts en nombre égale à la réserve d’armée du roi Léonard mélangea ainsi ses rangs pour former un seul et imposant bloc de combattants.

Un solide détachement de chevaliers et sergents prenait place face aux piétons et aux cris de guerre Kahéloniens les épées furent dégainer en une cacophonie qui balaya les rangs des soldats.

Il n’y avait nul cérémoniel, c’était là bien les méthodes Kahélonienne. L’assaut allait simplement être donné.

Observant le noble et les envoyés du Cardinal faire avancer leur destrier, Charles fit à son tour progresser sa monture par un coup sec d’éperons.

Un mélange d’excitation et de peur se réveillait en lui. Son cheval était pris dans l’élan général tandis que les diverses bannières étaient fièrement brandies de part et d'autre de la formationq qui avancait au trot.

Le dragon du nord flottait à présent sur les plaines et venait prendre sa dîme de sang.

Malgré ses mois passés au combat, Charles était toujours pris par ses sentiments au moment d’une charge. La peur de l'inconnue, la clostrophobie de l'armure, la mort... Mais faisant fit de tout cela, il avait abaissé son ventail et serrait fermement son épée. Car les mois de combat lui avaient appris a faire aussi le vide en lui.

La distance les séparant de la mêlée fut bien vite parcourue et les chevaux avançaient à présent à bonne vitesse. La forte respiration de Charles résonnait dans son heaume, connecté au monde extérieur par les quelques ouvertures de son ventail qui y laissait entrer la lumière.

Au bout de quelques foulées nécessaires pour passer du trot rapide au galop. Les cavaliers firent trembler le sol et quelques combattants prit dans les affres de l’affrontement tournèrent leur tête pour observer l’origine de tout ce bruit. Ils se tournèrent seulement pour voir la mort ou la salvation fondre sur eux selon leur camp d’origine.

Les cavaliers heurtèrent ainsi de plein fouet les combattants ennemis reconnaissables à leurs couleurs. La clameur du choc fit un tel bruit qu’on l’entendit jusqu’au point d’observation du roi Léonard.

Repérant un cavalier qui arborait l’insigne de la compagnie Écarlate sur son plastron, Charles pressa les flancs de sa monture pour le charger. L’homme abaissa en réponse sa lance à la manière des duchés du Sud et chargea Charles à son tour. Mais il n’avait pas l’intention de respecter les règles de la chevalerie. Quelques pas avant l’impact, il abaissa quelque peu son arme et vint ficher sa lance dans le corps du destrier de Charles.

La bête mortellement blessée fut comme une marionnette à qui on avait coupé les fils et se stoppa net dans sa course pour s’écraser au sol. Catapultant Charles qui vit le cuir de ses étriers céder sous son poids.

Soulevé dans les airs, le choc qui suivit ce moment fut brutal pour le jeune homme. Le sol parut dur comme de la pierre et Charles lâcha une plainte sourde lorsqu’il sentit comme une douleur froide le lancer dans tout le corps.

Durant un instant, toute force l’avait quitté, le souffle coupé et les idées embrumées par la douleur.

Cherchant au fond de lui des forces qu’il pensait jusqu’alors absente, il se mit péniblement sur ses genoux, mais un coup violent à son casque l’arrêta net pour lui faire regagner le sol.

Un goût de fer, un goût de sang lui avait pris la bouche.

Et les coups se répétaient, grognant de douleur et d’énervement face a ces assauts, le jeune chevalier privé de toute vision par la boue tâtonnait de ses deux mains libres le sol alentour à la recherche d’une arme.

Pressant ses gestes à chaque coup qui venait déformer son armure. Il trouva enfin le manche de quelques couteaux salvateurs et, se mouvant sur lui-même, se retourna au sol pour planter la lame dans la jambe de son assaillant.

Ressortant le couteau de ce dernier, les coups cessèrent et Charles prit d’une rage animale se redressa pour se jeter sur son assaillant en usant la lame avec acharnement.

Les coups se multiplièrent encore et encore contre le pauvre homme qui l’avait attaqué. Charles cessa uniquement lorsqu’il fut épuisé. Incapable de continuer ses attaques bestiales avec son souffle haletant et difficile.

Débarrassé de son adversaire, Charles observa le monde autour de lui en reprenant son souffle. Ce dernier n’était que bruit et mouvement.

Reprenant bien vite ses esprits, il chercha au sol une épée et trouva la sienne non loin de son ancienne monture.

Prenant l’arme, il vit par chance le cheval qui lui fondait dessus et la lance qui lui était destinée en ne lui laissant décidément aucun répit. Roulant sur le côté, l’arme se planta dans le cheval déjà mort et Charles se releva grâce à sa lame qui lui servie de béquille.

Observant un mercenaire retirer son épée du corps d’un homme du Haut Corvin. Charles l’attaqua sans réfléchir.

La parole était absente à ce stade, seul l’acier des armes chantait.

Les passes d’armes se succédaient avec son opposant, mais l’entraînement supérieur de Charles fut bien vite visible et déviant l’épée de l’homme le transperça de la sienne en lâchant un cri salvateur dans l’action.

Prit enfin dans un moment de pause après tant d'efforts, Charles observa les piétons de la réserve et des renforts Kahéloniens rallier l’affrontement.

Les voyant charger dans la mêlée, Charles les rejoignit porter par cette vague irrésistible qui balaya les combattants ennemis.

Il n’y avait plus aucune stratégie à ce point.

Une ligne d’affrontement se dessinait difficilement au milieu et les hommes tentaient de tenir leur position.

Nombreux étaient les chevaliers et autres cavaliers à se battre à présent au sol. Entre les corps des nobles, servants et anciens destriers.

Tous égaux.

Pris à partie par un noble adverse, Charles n’eut pas le temps d’échanger plus de coups avec lui qu’un cavalier Kahéloniens faucha l’ennemie de Charles en l’écrasant par sa monture.

Prenant un pas de recul face à la brutalité de la chose et face au sinistre craquement d’os et d’acier qu’il avait entendu. Il acontinua d'avancer

La scène irréaliste aurait pu choquer, mais au cœur du combat ce spectacle était bien anodin.

Charles était venu pour sauver son frère et dans tout ce chaos, il ne le vit pas. Il ne pouvait que prier les trois pour protéger Emmon et combattait à présent pour sauver sa propre vie dans cette lutte à mort.

Les hommes combattaient debout et meme au sol. Toute civilité ou chevalerie était perdue, car sous les pieds des belligérants se mélangeaient à présent le sang et la boue formant une mélasse difficile à arpenter.

Déviant les coups qui le visèrent dans son avancée, fauchant les vies pour protéger la sienne, Charles rallia un groupe de combattant qui protégeait des couleurs du Haut Corvin.

Ils étaient tel un îlot salvateur dans cette mer agitée de colère et de mort.

Lorsqu’il rejoignit ce point, nulle personne ne parla. Les morts étaient comme un effort superflu et seuls les signes de tête lui furent échangés comme salut.

Se plaçant avec ces combattants, ces hommes de tout horizon. Charles lutta épaule contre épaule pour maintenir ce point. Cet encrage du Haut Corvin sur le champ de bataille.

Charles ne pensait plus qu’à une chose, tuer pour ne pas l'etre.

Dans tout ce chaos, lui revenait pourtant à l’esprit son frère, son cousin. Odger était-il encore en vie lui aussi ? Mais il chassa bien vite ses idées, car toute son attention était requise pour défendre sa position et les couleurs que les hommes portaient derrière lui.

— Chevalier ! crus-t-il entendre. Chevalier !

Et mettant fin à la vie de son adversaire, Charles se retourna. Malgré la boue, les coups et le sang qui couvraient son armure les hommes d’armes l’avaient identifié.

Suivant du regard le fauchon du soldat, Charles put voir le centre de l’affrontement.

— Chevalier ! reprit l’homme. La ligne va flancher !

Le centre de l’affrontement était bien sûr disputé, mais l’homme avait raison. Un noyau dur de la compagnie Écarlate avait fait jonction avec des chevaliers du Bas Corvin et il semblait prendre l’avantage sur le centre.

Bien, se dit Charles en serrant fermement son épée. Que Beorth me guide.

Progressant vers le porteur des drapeaux et le centre des combattants alentour, il leva son ventail.

— Avec moi soldats, pour le roi !

Porté par ses propres mots et les guerriers qui l’entouraient, Charles courut vers le centre des combats qui prenait ce côté du champ de bataille.

Une fois de plus, il fit étalage de ses talents. Son épée devait les coups et attaquait avec rapidité.

À présent au centre du carnage, Charles n’avait plus d’échappatoire.

Il n’était plus acteur, mais simple figurant dans ce macabre spectacle qui faisait disparaître les hommes.

Il n’était plus question que de vaincre ou mourir.

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