1 - Cette rencontre n’atteint pas ses espérances

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— Vous n’êtes pas Sacha ? répondit Simon en réaction à cet homme venant de lui affirmer qu’il était dans l’erreur. C’est avec lui que nous sommes entrés en contact. Il nous attend. Pouvez-vous nous conduire à lui, ou au moins le prévenir de notre arrivée ?

— Ah, je suis désolé. Il ne pourra pas vous recevoir. Hélas, il n’est plus parmi nous. Un malencontreux accident, vous voyez…

Simon cachait sa surprise, bien plus importante que ce qu’il laissait paraître. Tara l’avait remarquée uniquement parce qu’elle le pratiquait depuis longtemps. Elle aussi ne montrait qu’un visage impassible. Le comité d’accueil à l’entrée, c’était devenu monnaie courante dans la plupart des endroits hors du réseau, une preuve d’une organisation locale dans un monde où chaos et sans-foi-ni-loi remplaçaient institutions et gouvernements. Et depuis le démarrage des missions d’exploration, ils en avaient rencontré un paquet, des comités d’accueil, qu’ils soient attendus ou non. C’était toujours un moment critique, l’attitude des arrivants comme des locaux se révélant cruciale, le moindre faux-pas pouvant tout faire déraper. Alors comme d’habitude, et par prudence, elle gardait l’œil ouvert, prête à tout. La parlotte, elle la laissait à Simon. Il valait d’ailleurs bien mieux que ce rôle ne lui incombe pas. Elle aurait été bien capable de provoquer des guerres sans le vouloir. Chacun son truc. Elle, le sien, c’était le nettoyage des humains qui avaient oublié de l’être. À la grande surprise de Yahel, son amie de jeunesse qui avait tout fait pour la retrouver et la mettre en sécurité quelques mois avant l’effondrement, sauf que rien ne s’était passé comme prévu. Mahdi, lui, l’avait bien cernée, et désormais, Tara faisait partie de l’avant-garde de cette unité offensive, alors que Yahel visualisait tout ce que l’œil artificiel de Tara et les autres caméras du groupe transmettaient sur ses écrans, bien à l’abri dans un camp à distance.

Mahdi devait justement être auprès de Yahel, en ce moment. Tara se demandait pourquoi il était venu ce coup-ci. Il était leur roi, certes, mais pas comme on pouvait l’entendre. Il n’avait rien d’un dirigeant, encore moins d’un despote. Pour eux tous, et pour la plupart des gens du réseau, il était plus un ami, un conseiller, voire un guide. Il était en effet celui qui aurait été l’étincelle, le déclencheur, le preneur de conscience qui avait mené à la fondation du réseau. Durant les premières missions, il allait vers les gens, les invitait à l’écouter, et il les écoutait. Son titre de roi prenait alors son sens sur l’aspect diplomatie. Il représentait cet ensemble de communautés unies dans un objectif de partage et d’échange, dans un esprit associant liberté et bienveillance. Et ce grand gaillard, avec son côté rasta bodybuildé sans les accessoires bariolés, avec sa voix, son sourire, sa chaleur, il avait tendance à provoquer un effet bœuf. Mais depuis, avec l’augmentation exponentielle du nombre d’unités dragons et de convois partant à la découverte de ce qui restait dans ce monde de l’après, d’autres avaient endossé la responsabilité.

Pour Tara, Mahdi avait été un petit peu plus que tout cela. Ils avaient partagé une certaine… intimité, et elle avait aimé le contraste de leurs corps entremêlés. Jusqu’à la petite tension concernant les territoires de l’ouest. Elle l’avait alors évité au maximum, se trouvant d’autres partenaires de jeux. L’humanité ne manquait pas de spécimens tout aussi plaisants. Puis le temps s’était écoulé, la colère avec. Elle s’autorisait juste une petite pique de temps à autre. Et pourtant, jamais elle ne s’était départie du profond respect qu’elle ressentait pour cet homme.

À l’entrée de cette cité, un groupe les avait attendus en faction. Que des hommes. Comme ils avaient gardé les armes à la main, canon pointé vers eux, Simon s’était avancé seul, expliquant de suite l’objet de leur venue. Un des types leur avait fait signe d’attendre, avait reculé pour contacter quelqu’un par talkie. Seulement alors, leurs hôtes se décidèrent à les laisser passer, mais pas seuls. Là aussi, une habitude comme une autre. Par prudence, qui serait assez sot pour laisser entrer une armée chez soi. Et une unité de dragons, même leurs armes rangées dans leurs étuis, ce n’était pas rien. Ils furent donc guidés, prévenus qu’ils resteraient en joue, arguments à l’appui. Et c’est ainsi qu’ils s’étaient retrouvé devant ce fameux petit bonhomme semblant suer toute la graisse qu’il avait consommée par son front, le reste marinant dans son ventre. Et Simon qui avait dû lui ressortir son laïus, certes amélioré.

— Oh, je suis navré de l’apprendre.

— C’est moi qui le remplace. Il m’avait bien parlé en effet d’un autre groupe prêt à nous rencontrer, mais sans plus. Pas par manque de volonté, comprenez-le bien. S’il avait pu de lui-même… Bref, c’était pour parler accords commerciaux, c’est cela ?

— Je dirais plutôt libre échange…

— Oui, bref, heu… Venez, vous allez m’expliquer tout cela.

Le petit homme libidineux les invita à entrer en se frottant machinalement les mains, alors que leurs accompagnateurs baissaient leurs armes dans le même temps. Les dragons suivirent leur hôte, qui resta encadré par d’autres hommes déjà présents auprès de lui, ceux-là sans armes mais au regard suspicieux. La garde locale resta dehors.

— Tu en fais une tête, dit Tara à Simon en aparté, de façon à ce que leurs hôtes ne les entendent pas. C’est la première fois que je te vois aussi méfiant dès le départ. Tu piques mon rôle.

— Il ne m’inspire vraiment pas. Je ne sais pas d’où il sort celui-là, ni les autres. Cela ne correspond en rien à la description des lieux que m’avait fait Sacha, ni à l’ambiance qu’il m’avait vanté.

— C’est sûr que l’atmosphère qui règne dans ce bled n’est vraiment pas des plus attrayantes. Sans parler de la tronche qu’ils tirent tous, excepté nos chers hôtes. On se croirait dans une reproduction des périodes ségrégationnistes de certains pays.

— Hein ?

— À part les soldats, regarde qui bosse ici. Tu n’as pas fait attention en passant dans la rue ? Ou c’est moi qui suis parano ?

— Maintenant que tu le dis…

— Yes. Déjà que la parité, c’est pas ce qui étouffe les rangs de cette milice, mais dans la rue… Peu de monde. En majorité des hommes ou des couples modèles, parfait pour une pub sur les avantages de la middle class. Le reste, quelques femmes seules, des blacks, des miels, regard timide ou fuyant, aucun qui s’arrête pour rester nous observer. Et aucun dans cette salle commune !

Sans parler des grimaces retenues par certains de ces hommes devant leurs compagnons au taux de mélanine un peu plus élevé. Elle ne comprendrait jamais cette réaction, se demandant si c’était par bêtise ou par jalousie. Comme si les humains étaient responsables de leur génétique, fruit de la longue histoire de l’adaptation.

— C’est quand la dernière fois que tu es entré en contact avec le fameux Sacha ?

— Cela fait bien des mois. C’était juste avant notre départ.

— Je me demande si ce n’est pas une chimère…

— Non, on a discuté durant des semaines ensemble. On a bien accroché, je le sens bien. Je lui ai promis de passer durant notre périple, lui précisant juste la période approximative et comment nous reconnaître. Mais quand j’ai tenté un nouveau contact pour le prévenir, j’ai eu quelqu’un d’autre m’ayant juste dit qu’il n’était pas disponible de suite, mais qu’il transmettrait. C’est pour cela que nous avons préféré scinder le groupe.

— Mmm… J’espère que ça sera suffisant. Tu es sûr qu’on devrait pas mettre une oreillette, histoire que nos amis entendent aussi ce qu’il se passe ?

— Non, trop tard. Si ceux-là le remarquent, cela risque d’affaiblir leur confiance envers nous.

— Comme si nous devions en avoir envers eux… dit-elle plus bas.

— Tara, s’ils nous avaient voulu du mal, ce serait déjà fait.

Ils venaient d’entrer dans un bâtiment style petit manoir, probablement une ancienne mairie. Le rez-de-chaussé s’ouvrait sur une vaste pièce aux murs ornés de tentures usées conservant le souvenir de couleurs chaudes. Des grandes tables réparties sur le fond laissaient un espace suffisant pour accueillir du monde. Des gens s’affairaient à les remplir.

— Excusez une nouvelle fois notre accueil quelque peu cavalier, mais comprenez-moi, je ne vous attendais pas. Il vaut mieux être prudent lorsqu’un groupe armé débarque, surtout à l’improviste. Mes amis et moi-même n’allions pas tarder à nous mettre à table. Si vous voulez bien patienter un peu, nous allons ajouter des couverts et des victuailles, vous pourrez vous sustenter.

— Ce n’est pas la peine, tenta Simon. Nous pouvons nous rencontrer plus tard si cela vous arrange. Nous reviendrons alors une autre fois.

Ou pas ! pensa Tara.

— J’insiste. Vous venez de loin, à ce qu’il me semble.

— Effectivement, nous sommes sur la route depuis quelque temps, et nous avons encore du chemin à faire, ainsi que d’autres rencontres à assurer. Et inutile de vous déranger pour nous, nous avons ce qu’il nous faut.

— Non, restez, joignez-vous à nous. Nous allons discuter, en attendant. Autant faire ce qui était prévu.

Tara laissa Simon et les autres se mélanger à ce groupe d’hommes ayant l’air de diriger la place. Bien que la tension ait disparue, la détente gagnant l’assemblée, elle préféra rester au milieu, gardant ses distances, faisant librement, comme à son habitude, son petit tour d’observation de la salle et des gens, les mouvements de chacun. Elle remarqua qu’elle n’était pas la seule à agir de la sorte. D’autres amis de cet individu au ventre trop rebondi et au front dégarni trempé de sueur, s’amusaient à les scruter avec insistance, échangeant parfois quelques mots entre eux en rigolant. Elle préférait ne pas savoir ce qu’ils se disaient. Elle allait s’éloigner lorsque l’un de ceux qui ne l’avaient pas quitté du regard depuis un moment décida de s’approcher.

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