12 -Vacances forcées

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Un gémissement. Ce fut le premier son qu’elle émit le lendemain en essayant de s’asseoir. Elle se retrouvait dans un lit. Elle se prit la tête entre les mains, submergée par un mal de crâne nauséeux.

— Vous êtes réveillée ? Allez-y doucement.

Un coup d’œil vers la voix confirma la présence ressentie dans la pièce. La femme du prince, installée dans un des sièges du petit coin salon de la chambre, s’affairait sur un travail de couture. Cette chambre, Tara la connaissait. C’était la même que lors de sa première visite il y a quelques années de cela.

— J’ai pris le relais de vos amis, continua la jeune femme, ignorant son silence. Vous savez, jusqu’à leur départ, ils ne vous ont pas lâchée d’une semelle. Toujours un présent pour veiller sur vous, au cas où vous iriez plus mal. Mais ils n’ont pas pu vous attendre. Ils préféraient ne pas tarder plus, de peur que ceux qu’ils recherchent ne l’apprennent et s’enfuient.

Toujours le silence. Toujours la tête entre les mains. Toujours à observer sa gardienne, continuant à parler tout en cousant. Au passage, elle avait repéré son barda, avec ses armes posées dessus.

— Ils m’ont confiée un message pour vous. Dès votre réveil, vous devez les contacter. Une oreillette vous attend sur le chevet à votre côté. Juste là.

La femme pointa son doigt. Le regard de Tara suivit sa direction, resta sur la cible indiquée un long moment avant de se décider à prendre le petit appareil en un mouvement forcé. Positionnée, enclenchée, l’oreillette provoqua grimace et recul instinctif à la diffusion des premiers sons : des éclats de voix. D’une voix bien connue.

— Bon sang ! Je peux pas te laisser cinq minutes ?

— Quoi ? J’ai pas le droit de m’amuser ? répondit Tara à Yahel, tout en se frottant les tempes, le visage plissé.

— Tu crois pas qu’il y a mieux ?

— Yahel… C’est bon… J’ai déjà assez de mon crâne pour me rappeler pourquoi je fais pas ça plus souvent.

— Pour ta peine, tu restes où tu es, tu ne bouges pas, et tu attends qu’on revienne te chercher. J’ignore pour combien de temps on en aura.

— Vous allez tout faire sans moi ?

— Ouep ! C’est ta punition. Quelque chose à dire ?

Silence.

— Allez ! Fais pas ta mauvaise tête. Prends ça comme des vacances. Tu verras, ils vont te bichonner.

Soupir.

— Comme si j’avais le choix… Soyez prudent !

Elle retira l’oreillette, la remit à sa place.

— Inès, c’est cela ?

— Oui.

— Désolée, je crois que je me suis un peu emportée, hier. Je ne sais pas ce qui m’a pris…

— Ne vous inquiétez pas. Cela peut nous arriver à tous. Ce cocktail peut être un vrai piège pour ceux qui n’y sont pas habitués !

— Oh, j’avais bien senti sa teneur. J’assume complètement. J’ai commencé à me sentir légère, alors… J’ai pas pensé à la masse vengeresse qui allait me retomber dessus le lendemain ! Merci à vous d’avoir rattrapé le coup.

— Pourtant je vous ai menti ! Je ne vous en ai pas apporté dans votre chambre, comme je vous l’avais dit, expliqua Inès.

— Encore heureux. Dans ce cas, j’aurai cru que vous vouliez m’achever.

Enfin, Tara lui fit un petit sourire. Après tout, cette femme n’était en rien responsable de cette affaire. Avant leur arrivée, elles ne se connaissaient même pas, et pourtant son accueil s’était révélé tout aussi chaleureux et ouvert que celui de son mari.

La jeune Inès posa son ouvrage, s’empara d’une théière et d’une tasse sur la petite table.

— Je vous ai préparée un remède, n’hésitez pas à en profiter. Au moins une bonne tasse, insista-t-elle en s’approchant et lui en versant une avant de la lui tendre. Vous verrez, ça ira mieux. Vous voulez que je vous apporte quelque chose à manger ?

— Non merci. Je n’ai pas vraiment faim pour le moment.

C’était vrai. Son estomac lui précisait combien c’était trop tôt. Ou son cerveau…

— Alors je vous laisse vous reposez tranquillement. Faites comme chez vous, vous connaissez la maison. Si vous changez d’avis, vous trouverez ce que vous voulez aux cuisines.

La jeune femme se dirigea vers la porte.

Par la suite, Tara se retrouva au milieu des femmes. Dans la cuisine, en cherchant à manger. Dans l’eau, la tête dépassant à peine, après avoir été entraînée aux bains. Dans un salon commun, pour le thé, agrémenté de douceurs sucrées, spécialités locales qu’elle avoua très bien apprécier. Trop bien. Des femmes, continuellement, et quelques jeunes enfants, baignant dans le bonheur simple d’une vie paisible et sécurisée. Elle eut besoin un moment de retrouver du calme, réussit de justesse à se sauver pour la nuit.

Le lendemain, pas la même chanson. Elle rusa. Une balade dans la ville dès le matin pour se faire oublier, puis pause dans le jardin de la maison. Ce grand jardin surplombant la cité.

Le prince apparut, portant un plateau.

— J’aurai dû me douter que je vous trouverai ici. C’était votre endroit préféré.

— Ça l’est toujours. C’est si tranquille.

— Vous êtes rentrée depuis quand ?

— Un certain temps…

Il s’agenouilla, posa le plateau dans l’herbe, tenta encore diverses approches pour engager la conversation. Cela ne donna pas grand-chose. Il fut presque soulagé de l’apparition de sa femme quelques minutes plus tard.

— J’ai entendu que vous étiez là aussi en arrivant, alors je suis partie chercher un petit complément. Nous avions prévu de prendre un thé ici tous les deux, j’espère que nous ne vous dérangeons pas, continua-t-elle en posant le contenu de ses bras sur le plateau.

— Non, vous êtes chez vous.

— Où étiez-vous ? Je ne vous ai pas vu de la journée, lui demanda Inès.

— S’isoler peut parfois avoir du bon, dit Tara après lui avoir expliqué.

Le prince s’affaira. Il versa la boisson fumante et parfumée dans les petites tasses, en tendit une à sa femme, entreprit de s’installer dans l’herbe à côté de Tara pour lui donner la sienne. Aussitôt, Tara se releva, se dirigea vers le muret bordant le jardin, protégeant des chutes. Elle grimpa lestement dessus, regarda au loin, tour d’horizon, le vent chaud jouant avec les quelques mèches éparses fuyant ses cheveux noués.

— Que faites-vous ? Faites attention ! s’inquiéta le prince.

— Peut-être que je peux les voir…

— J’ai l’impression qu’ils vous manquent, constata doucement Inès.

Son silence valut toutes les réponses.

— Vous avez des nouvelles ?

Elle secoua la tête à destination du prince.

— Vous non plus, apparemment, lui répondit-elle.

— Non. Mais je ne m’inquiète pas trop. Les vôtres ont l’habitude, et ils sont forts. Ils sauront guider les miens pour les assister.

— Et vous, vous êtes resté ici, bien à l’abri.

— Vous aussi, répondit-il à sa pique.

Soupir.

— Moi, c’est le prix de mon erreur… Peut-être…

Elle ne les regardait déjà plus, les yeux de nouveau perdus vers l’horizon. Inès avait mit une main sur le bras de son mari pour l’inciter à se taire. La promesse de pâtisseries accompagnant le thé la fit revenir parmi eux. Elle s’installa assise en tailleur, en face, à distance.

— C’est vraiment trop bon. Ces douceurs vont me manquer, il ne faut pas que je m’y habitue.

— N’hésitez pas à vous mettre à l’aise, l’invita Inès, l’air de rien. Vous devez avoir chaud avec tous ces vêtements. Nous somme entre nous.

En plus d’un vêtement cachant ses bras, Tara portait une étole conçue dans un tissu de fabrication local. Pour appuyer son invitation, Inès retira son voile, libérant une magnifique masse de cheveux noirs, doucement bouclés.

— Merci, ça ira. Je suis très bien comme ça.

Le prince ronchonna gentiment auprès de sa femme, alors qu’elle bifurquait dans la direction opposée à leur chambre.

— Attends, je vais juste voir quelque chose.

— Tu vas la déranger à cette heure-ci ? rétorqua-t-il, comprenant où elle allait.

Inès frappa doucement, pas de réponse. Elle entra sans bruit, laissa la lumière du couloir éclairer la pièce. Son époux la suivit, intrigué.

— Qu’est-ce que tu fais, chuchota-t-il. Elle dort, tu vas la déranger.

— Je voulais juste vérifier qu’elle en a bu. Je l’ai surprise errant dans nos murs la nuit dernière avant d’aller se balader dans le jardin.

— Qu’est-ce que tu lui as donné ?

— Rien de mauvais, rassure-toi. Juste une infusion de mon cru, pour se relaxer.

Après de longues minutes, ils se figèrent tous les deux. Tara, endormie, bougea dans son sommeil, grimaça, râla, rua, fut prise de mouvements brusques un instant, avant de replier ses jambes contre elle, de s’accrocher dans l’inconscient, agrippant le drap qui la recouvrait.

La jeune femme fronça les sourcils, poussa son mari dehors, referma la porte.

— Tu vas me dire ce qui t’inquiète ?

— Je ne sais pas encore…

Elle lui expliqua ce qu’elle pensait, à quoi elle associait certains détails, les accordant à son expérience, aux histoires qui se racontent parmi les femmes. Elle lui rappela sur quoi les dragons travaillaient en ce moment-même. Il écarquilla les yeux, secoua la tête, effaré.

— Elle ? Impossible ! Quoique… Cela expliquerait certaines choses. Je pensais qu’elle agissait comme ça par pudeur ou respect envers toi, ou par jalousie peut-être… Des millénaires de civilisation, et ce genre d’horreur continue toujours !

Inès tapota gentiment la joue de son mari, resta la main en caresse amoureuse. Elle adorait sa naïveté.

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