Clyde Harris est un travailleur passionné. Depuis vingt ans déjà, il pratique son art avec un amour qui n’a jamais faibli. Il n’est que le petit rouage d’une gigantesque institution, mais sa dévotion demeure totale. Si on lui demande, Clyde ne sais plus si cet emploi est celui qu’il a toujours voulu faire. En revanche, il est certain à présent que c’est celui qu’il veut pratiquer jusqu’a sa mort. Ce que Clyde aime par-dessus tout ? Préparer et tenir son petit espace pour ses clients.

Son nid.

C’est lui qui les appelle « clients », en réalité c’est bien plus que ça. Clyde est médecin, mais le terme patient ne lui plaît pas, pas dans les conditions dans lesquelles il exerce. Un patient subit, un client est roi. Son cabinet est petit, mais il est vital pour lui et doit inspiré sécurité et sérénité à ceux qui passent entre ses mains. Les effluves d’huiles essentielles flottent dans la petite pièce carrée, tantôt pin de Sibérie, tantôt séquoia de Californie. Ce sont les humeurs vagabondes de Clyde qui décident de l’ambiance olfactive de son sanctuaire. Les murs sont d’un blanc immaculé, pure, comme un manteau de neige fraîchement déposé aux lueurs de l’aube. Il n’y a que deux choses au mur : son diplôme, dans un cadre d’ébène contrastant avec la clarté du mur et les lettres d’or qui citent son nom. La vitre qui protège le précieux sésame est impeccable, pas une trace, pas le moindre signe de poussière. Il est parfaitement aligné, parfaitement centré, à l’exact milieu du pan de mur où il se situe. Clyde y veille : chaque heure passée dans son antre, il y jette un coup d’œil soucieux pour s’assurer qu’il est toujours exactement à la place à laquelle il doit être.

Sur le mur adjacent, un paysage. Un paysage sublime et époustouflant d’un coucher de soleil sur les montagnes de Virginie-Occidentale. Sa région, son cœur, son âme. Le cadre est plus fin que celui de son diplôme, d’une essence foncée aussi, il enferme parfaitement ce tableau d’or et de feu se liant aux contrastes infini de verts. Clyde n’a que rarement le bourdon, mais lorsqu’il sent la mélancolie lui venir, il n’a qu’à prendre une profonde inspiration devant ce chef-d’œuvre de la nature et tout redevient calme et appaisé en lui. Une porte, et un grand miroir achève la pièce qui entoure l’outil du maître : sa table d’examen.

Pour rendre l’ambiance encore plus chaleureuse, Clyde a lui meme changé les ampoules pours des une lueur plus chaude. Sa table trône fièrement devant le grand miroir. Le matelas, d’un cuir brun d’une extrême tendresse, appelle à la détente, on peut en sentir l’odeur, en imaginé la fermeté. Les surpiqûres, légèrement plus claires, dessinent ses contours avec une délicate élégance. Mais il n’est déjà plus le moment de contempler son havre : son client suivant est là.

Il l’accueille sans un mot, simplement un sourire plein de complaisance, d’une empathie sincère. Il les transporte près de la table. Pour que tout se passe au mieux, il leur ôte leurs bijoux, chaînes et bracelets et les invite à s’installer. Au besoin même, il les aide. Suivant les conditions, ce n’est pas toujours aisé, mais des gens sont là pour l’y aider s’il le faut. Une fois son client allongé et apaisé, il peut commencer. C’est là qu’il entre véritablement en action, c’est ici qu’il exerce son art. Avec la plus absolue douceur, il lie ses patients à sa table, aux jambes, au bassin, au torse. Il faut le comprendre : le voyage peut parfois être tumultueux. Ils le savent, il le sait, c’est mieux ainsi.

Ensuite, il relève une de leurs manches. Désinfecte la zone avec un soin particulier et entre l’aiguille dans la veine. Personne n’a jamais rien senti : le talent de Clyde dans cette discipline est tout simplement hors du commun. Il ne lui reste plus qu’à pousser le piston de la seringue et son client part, c’est fini.

Le client s’apaise.

Clyde est heureux.

De l’autre côté du miroir, les familles des victimes sont soulagées.