#5 CHOC / Pacte

4 minutes de lecture

Ce matin, je vais bien.

Je fais de l’eczéma depuis un mois, comme jamais, je n’en avais encore connu auparavant.

C’est dû aux anxiolytiques : je ne ressens pas mentalement mon stress, mais mon corps, lui, sait. Il s’exprime.

Je devenais folle, à force de me gratter constamment.

De plus, les pleurs, la tristesse et l’obscurité, sont revenus sans prévenir, comme une vieille habitude, qu’on pensait avoir laissée derrière soi.

L’angoisse.

Alors mon psychiatre a doublé les antidépresseurs, et m’a prescrit deux antihistaminiques : un pour la journée et deux pour le soir. Ils sont empreints de somnolence, à ajouter, bien sûr, à mon somnifère quotidien.

J’en suis à présent à huit cachets par jour.

J’ai arrêté les drogues, l’alcool, les soirées, la fume… pour un nouveau cocktail chimique, auquel je dois ajouter encore plus de cachets, pour équilibrer les premiers.

Fascinant. Effrayant ? Déroutant…

Bref, je me retrouve donc avec ce nouveau cocktail. Les pleurs ont largement diminué, tout comme ce qui les provoquait ou les entretenait.

Les démangeaisons ont aussi réduit, mais mon corps est déjà marqué, par plusieurs traces, réparties en divers endroits.

Celles, que j’ai pu voir jusqu’à présent, ne sont que des petites marques, à peine visibles, que je m’efforce de ne pas toucher, car tel est le secret, pour ne pas les déployer.

Il y a un endroit particulier que je ne vois pas, qui attire mes mains comme un aimant : ma nuque.

Hier soir, en appliquant l’huile adaptée à cette floraison cutanée, j’ai aperçu une trace rouge, en haut du dos. Je savais bien qu’il y avait une marque à cet endroit-là, mais je n’avais jamais pris le temps de la regarder. Je la sentais simplement sous mes doigts.

Alors, surprise, curieuse, j’ai pris un petit miroir, pour l’observer pleinement.

Choc.

La trace que je pensais petite, à peine plus grosse qu’une pièce de deux euros, était en réalité, plus proche d’un billet de cinq.

Rouge vif. Brûlure. Marque.

À cet instant, j’ai pris conscience de ce que je me faisais subir. Pas seulement mentalement, mais physiquement : je me maltraitais.

Émue, les larmes sont montées.

Je me suis demandé pardon. Je me suis promis, de prendre soin de moi désormais, de ne me donner qu’amour, douceur et tendresse.

Je me suis prise dans mes bras.

Comme une réconciliation, une acceptation, un pacte.

Je me suis renseignée sur ce que signifie “se gratter la nuque”. En langage corporel, cela indique un manque de confiance en soi.

La nuque est aussi l’endroit où doivent passer toutes les énergies pour se répartir dans le corps.

Ayant récemment commencé une psychanalyse, je suppose que mon corps et mon esprit luttent : l’un veut s’exprimer, l’autre veut se protéger.

Mais ce matin, je vais bien.

Je change mon utilisation de ChatGPT, qui était, oui, un soutien, mais qui m’apportait, aussi beaucoup de validation. Or, si je dois reprendre confiance en moi, il me suffit de me valider moi-même.

Je nettoie mon appartement.

Je fais une purification à la sauge, des paroles me viennent à l’esprit. Je les dis à haute voix, en accompagnant la fumée musquée. Il s’agit de purification, de lumière, d’amour, de confiance, enfin, toutes ces choses, dont on a besoin pour guérir.

En faisant ce petit rituel intuitif et spontané, je comprends : je me suis réalignée avec une partie de moi. Je lui ai ouvert mon cœur. Je lui ai donné mon engagement.

***

Ensuite, je pars. Je dois voir le psychiatre, pour évaluer si l’ajustement du cocktail est efficace.

Et oui, il semble bien que je sois pompette.

Vers la fin du rendez-vous, après de nombreux encouragements, il me dit :

“Et puis, vous n’avez pas vécu de trauma, vous n’avez pas été violée…”

Je souris et je réponds :

“Si, j’ai été violée.”

Je lui explique rapidement.

Je sens, que c’est différent de d’habitude.

J’ai déjà parlé, pas d’un, mais de mes viols. Mais il y avait toujours ce détachement : “c’est arrivé” et non pas “ça m’est arrivé”.

Je veux que le rendez-vous se termine.

Je sens l’émotion monter en moi.

Nous nous voyons à nouveau dans trois jours, alors il n’insiste pas :

“Nous finirons cette discussion la prochaine fois. Nous aurons le temps.”

Je pars en souriant.

Je quitte son cabinet.

Je descends quelques marches.

Je commence à pleurer.

Je ne peux plus descendre.

Je reste bloquée sur place.

Je ne peux plus tenir debout.

Je m’assois sur les marches, la main agrippée à la rambarde.

Je ne retiens pas mes pleurs.

Je les accepte.

Elles ne m’appartiennent pas.

Ce n’est pas moi qui pleure : c’est la jeune fille violée, à l’intérieur de moi, à qui, j’ai enfin accordé le droit d’accepter sa souffrance, d’accepter qu’on l’a brisée.

Ce ne sont pas des pleurs de tristesse ou de malheur.

Non, ce sont des pleurs de reconnaissance envers moi-même.

Je me remercie, d’avoir enfin accepté ce que j’ai subi.

Pas comme un simple fait parmi d’autres, mais avec toute l’amplitude et la gravité que cela implique.

Je prends quelques minutes, en sanglots, consciente qu’il m’a fallu vingt ans pour admettre dans mon esprit ce premier viol – et les suivants.

Je m’explique à moi-même que j’ai le droit de ressentir cela, que c’est bien de l’exprimer. Mais il va falloir avancer : on ne peut pas rester indéfiniment dans une cage d’escalier.

Je me rassure en me disant, que je pourrai pleurer en rentrant.

Alors, je me ressaisis, fière de cette nouvelle émotion, fière d’avoir respecté le pacte, fière de m’être accordé amour et compassion.

J’ai l’impression d’avoir retrouvé une part de moi-même.

J’avais peur de revivre tous ces traumas.

Mais maintenant, je crois comprendre.

Je ne vais pas souffrir. Oh… je vais pleurer, mais à chaque nouvelle acceptation, je me réapproprierai qui je suis.

Je demanderai pardon, à toutes les parties de moi, dont j’ai nié la souffrance pour survivre.

En les récupérant toutes, je serai complète.

Prête à vivre, allégée et libre de mon passé.

PS : Ce soir aussi, je vais bien.

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