Miss Tattle-Crow était une bien étrange voisine.

Elle ne se vêtait que de vêtements à rayures, dont elle possédait six fois chaque ensemble afin de composer très précisément six tenues, une pour chaque jour de la semaine.

Miss Tattle-Crow, tous les matins à huit heure, sortait de chez elle et effectuait la même promenade, sans que jamais on ne l'ai vue une seule fois emprunter un autre chemin. A huit heure et trente deux minutes du matin, les pas de Miss Tattle-Crow la conduisaient jusqu'à un large carré de terre brune recouvert de feuilles mortes, en plein milieu du vieux jardin public désaffecté du petit village qu’elle se voyait habiter depuis toujours, comme le disaient tout du moins les anciens. Alors, elle s'y plantait, droite comme un piquet, et ne bougeait plus d'un millimètre. Miss Tattle-Crow restait ainsi plantée à absolument ne rien faire pendant une heure très précisément. Après quoi, à neuf heure et trente-deux minutes de la matinée, elle reprenait sa ballade comme si de rien n'était, et disparaissait ainsi pour le reste de la journée. Aux heures où la lune s'élevait dans le ciel, d'aucuns disaient l'avoir plusieurs fois aperçue à la plus haute fenêtre de la sinistre demeure qu'elle habitait, jetant sur les environs un regard aussi mystérieux que sa personne.

Miss Tattle-Crow habitait en effet une très grande tour d'exactement vingt-treize mètres de haut, et qui comptait en tout et pour tout pas moins de mille-huit-cent-huit marches. A chaque heure de la journée l'on pouvait entendre les bruits de pas montant ou descendant ces quelques milles-huit-cent-huit marches, même lorsque Miss Tattle-Crow était absente de chez elle. Elle se rendait parfois tout en bas de sa tour pour y ouvrir la porte d'un cellier, qui menait à une très grande cave d'exactement vingt-treize mètres de profondeurs, et qui comptait en tout et pour tout pas moins de mille-huit-cent-huit marches. A chaque heure de la journée l'on pouvait entendre les bruits de pas montant ou descendant ces quelques milles-huit-cent-huit marches, même lorsque Miss Tattle-Crow était absente de chez elle.

Miss Tattle-Crow tenait au village un petit commerce, qu'elle ouvrait tous les dimanches entre midi et minuit, et de cinq heure à six heure de l'après-midi les autres jours de la semaine, à l'exception du mercredi. Miss Tattle-Crow confectionnait et vendait des vêtements à rayure noires et blanches identiques à ceux qu'elle portait, et n'exposait dans son magasin que les pièces qu'elle était absolument sûre de ne jamais vouloir porter, c'est à dire presque toutes. Tous les dimanches, Miss Tattle-Crow ajoutait à son étal des lunettes rondes et noires, pareilles à celles qu'elle portait en permanence; car le dimanche était un jour de chasse, et nul ne pouvait chasser sans lunette d'après les clairvoyantes estimations de Miss Tattle-Crow.

Miss Tattle-Crow tous les dimanches, avait pour habitude de se rendre à la chasse entre minuit deux et sept heure trente-deux du matin, après quoi elle prévoyait toujours un temps de retour nécessaire avant d'aller effectuer sa sempiternelle promenade matinale. Miss Tattle-Crow partait ainsi chasser tout ce sur quoi le défilé des saisons lui donnait chaque mois l'occasion de jeter ses explosifs, car elle chassait à la bombe, et possédait même une habileté et un talent dit-on jusque là inégalés dans cette pratique. Toutefois, nul n'avait jamais été en mesure de voir les fruits de sa récolte, mais personne ne doutait pour autant qu'elle devait être abondante et fructifiante, à en juger la réputation de Miss Tattle-Crow en matière de chasse et de maniement des bombes et autres explosifs létaux.

Miss Tattle-Crow parfois, aimait à accommoder les vêtements qu'elle cousait et vendait de quelques éléments de ses prises nocturnes, et c'était d'ailleurs grâce à cela qu'on ne douta point qu'elle était une excellente chasseuse. Sa dernière confection était par exemple une longue jupe évasée de la taille aux mollets, et dont les immanquables rayures verticales noires et blanches avaient ici été réalisées en rangées de plumes -ni l'étiquette ni la vendeuse ne précisaient de quel volatile- savamment cousues les unes aux autres. Elle avait récemment, dans le même esprit, mis en vente à prix d'or un élégant couvre-chef fait entre autre à partir d'un canard entier, soigneusement étripé et empaillé pour l'occasion. Le chapeau s'était d'ailleurs vendu très cher à une femme très coquette, si bien que le succès de cet entreprise persuada Miss Tattle-Crow d'en confectionner davantage à l'avenir.

Miss Tattle-Crow avait beau alimenter de nombreux mystères, de par sa nature même comme celle de ses actes, il ne pouvait cependant se démentir que ses talents de couturière égalaient bien ceux qu'elle avait de chasseuse. Aussi son petit commerce rencontrait-il toujours un fort succès. Néanmoins, Miss Tattle-Crow faisait toute une entreprise que de ne jamais révéler le moindre détail de sa vie privée qui ait pu expliquer aux curieux de tels talents. Quand les clientes et clients venaient parfois à lui demander quel était son secret pour coudre d'aussi beaux habits avec le produit de chasses aussi fructueuses, Miss Tattle-Crow ne répondait jamais autrement que par un clignement d'yeux parfaitement indistinct, puisque dissimulé sous ses lunettes aussi noires que les rayures agrémentant ses confections.

Miss Tattle-Crow n'était pas sans se voir être l'étendart de nombreuses rumeurs plus farfelues les unes que les autres à son sujet. Beaucoup se demandaient par exemple pourquoi donc se plantait-elle au milieu de nulle part de huit heure trente-deux à neuf heure trente-deux du matin, mais jamais personne n'avait osé à ce jour la déranger dans cette inaction, craignant de terribles répercussions. Pour sûr, il était chose délicate que de cerner le caractère de Miss Tattle-Crow, étant donné que cette dernière ne donnait à voir d'elle-même qu'une image reflétant plus de questions qu'elle ne pourrait jamais apporter de réponses. Les villageois s'y étaient, avec le temps, habitués.

Miss Tattle-Crow, depuis la tour qu'elle habitait, n’était pas sans se voir l’implacable témoin de tous les événements pouvant agiter le village. Aussi était-elle bien informée, au vu de ses observations attentives et judicieuses, des quelques catastrophes qui parfois frappaient les lieux. Approximativement, un malheur sévissait à chaque mois de l'année, et bien vite les superstitions populaires avaient menées les esprits les plus craintifs vers des croyances fantasmagoriques, et autres appréhensions maléfiques. Bien imprudent cependant aurait été quiconque qui soupçonna Miss Tattle-Crow de quelque fait d’une telle nature. Cette dernière, en ces petites bourgades où les rumeurs se propagent plus vite que la poussière dans le vent, aurait après tout fait un bouc émissaire tout désigné à ces malheureuses catastrophes, chacune aussi bizarres et inexplicables que sa personne. Mais, bien au contraire, toute la confiance des villageois se portait vers Miss Tattle-Crow; laquelle ils prièrent un jour, excédés et désespérés des malheurs frappant quotidiennement leur pauvre petit village, de bien vouloir les aider. Il se trouve que d'aucuns lui attribuaient en vérité quelques savoirs et expertises dépassant les frontières du réel et du rationnel, et voyaient dès lors en Miss Tattle-Crow la seule âme qui fût en mesure de les délivrer de leur triste sort.

Miss Tattle-Crow ne portait aucune attention dans les étranges croyance dont elle se voyait être le sujet. Cependant, elle n'en fit pas grand cas et accepta de prêter son aide aux villageois, à cette seule condition que toute sa marchandise lui soit chaque semaine achetée aux prix les plus flatteurs pour son commerce. Bien qu'avec une certaine réticence au début, les villageois n'étant guère riche pour la plupart, et bien que les créations de Miss Tattle-Crow valurent sans hésitation que l'on dépensa une somme respectable pour les acquérir, sa requête fût toutefois acceptée.

Les catastrophes ne diminuèrent pas pour autant. Cependant, persuadés que Miss Tattle-Crow œuvrait désormais de tout son possible à l'anéantissement du mal jugé obscur qui terrassait leur village, jamais les habitants ne cessèrent de faire honneur à ses talents de couturière, et étaient toujours au rendez-vous pour lui acheter de nouveau habits; si bien qu'en l'espace d'une année seulement, tout le monde se retrouva vêtu des pieds à la tête de rayures noires et blanches, et de chapeaux en canard empaillé.

Miss Tattle-Crow vivait dans le plus curieux des villages : tous les mois, une maison y explosait, sans personne ne sache pourquoi, ni comment.

...Personne, sauf Miss Tattle-Crow.