Soir d'orage

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Le soir tombait, l'air était lourd, le village silencieux, seuls tonnaient derrière la montagne les prémices d'un orage d'été. Nous ramassions le linge ma mère et moi quand il se présenta à notre portail, nous le regardâmes avec surprise, nous qui n'attendions personne. Grimaude notre chatte, méfiante, suspicieuse, s'enroula autour des mes chevilles et tout comme nous, le fixa.


- Va lui demander ce qu'il veut. Me souffla ma mère contrariée.

Je posai alors le panier de linge, puis d'un pas ferme, me dirigeai vers lui. Comme j'arrivais à sa hauteur, il retira son chapeau mettant à nu un visage ruisselant de sueur, des yeux bleus épuisés qu'un sourire qui me sembla sincère, venait souligner. Je le saluai amicalement et, avant même que je pus lui demander ce qu'il voulait, il tendit son index en direction de notre grange. Je lui demandai alors s'il souhaitait passer la nuit là, mais il ne comprit pas, il n'était pas français. Je réitérai donc ma question en mettant mes mains l'une sur l'autre, y posai ma joue tout en répétant le verbe dormir.


- Dormir, dormir, ça dormir, me répondit-il tout heureux.


Je me retournai vers ma mère qui, les bras chargés de linge, attendait stoïque, que je lui fisse part de la requête.


- Il veut dormir dans la grange ? S'exclama-t-elle le visage fendu d'un sourire moqueur.

Le visiteur, voyant ma mère rire, rit à son tour, et se délesta de son bagage qui me parut bien lourd.


- Vas chercher le fils Romeille. Me dit ma mère, peu rassurée par ce marcheur tardif.


Je précisai à l'étranger de ne pas bouger, que j'allais revenir bientôt et m'exécutai partant prestement chez les Romeille.
Ces derniers étaient à table quand je me présentai sur leur seuil. Rapidement, je leur expliquai ma venue et tout aussi rapidement, leur fils Gilbert me suivit.
L'étranger n'avait pas bougé, Gilbert lui tendit la main, tous deux se saluèrent avec gêne, ma mère s'approcha.


- J'ai demandé à Céline d'aller te chercher, ce garçon ne m'inspire pas confiance. Confia-t-elle ne quittant pas des yeux l'inconnu qui ne cessait de nous sourire.

Gilbert acquiesça, et demanda ce qu'on attendait de lui. Ma mère lui glissa alors à l'oreille qu'elle souhaitait qu'il restât avec nous pour la nuit afin de se prémunir des éventuels méfaits que pourrait commettre cet étranger, jetant un regard en direction du poulailler. Gilbert s'amusa des craintes de ma mère mais la rassura cependant en lui confirmant qu'il resterait pour la nuit.

- Parfait. Nous finissons de rentrer le linge et tu viens boire une liqueur. Lui adressa-t-elle m'invitant à rassembler vivement le linge, de grosses gouttes commençant à s'écraser sur le sol. Comme nous nous apprêtions à nous mettre à l'abri à l'intérieur, Gilbert interrogea ma mère quant au nouveau venu.


- Fais-lui déposer son sac dans la grange et amène-le dans la cuisine, lui répondit-elle franchement.


L'étranger et Gilbert prirent place autour de la table pendant que je sortais les verres et ma mère la liqueur. L'orage éclata, un éclair traversa la pièce, je me tournai vers l'étranger dont le visage était fixé sur la fenêtre, je remarquai qu'il n'était guère plus âgé que Gilbert et moi, et me demandai soudainement pourquoi il était venu se perdre dans notre hameau. Gilbert, pars gestes et mots, réussit à lui faire un peu raconter son parcours, et c'est ainsi que nous apprîmes qu'il marchait depuis tôt le matin sur le chemin de saint Régis et que de fatigue, il s'était égaré.

Il racontait son aventure avec une telle innocence, une telle fraîcheur, que je me mis à sourire oubliant les regards assassins que posait sur moi ma mère. Gilbert lui-même fut contaminé par cette bonne humeur et sans demander la permission, remplit son verre et le tendit à l'inconnu. Ma mère grimaça, je vis sa bouche se tordre et ses poings se serrer, mais elle ne dit rien, Gilbert ayant bien gentiment accepter sa requête.

Nous passâmes à table, l'étranger mangea le bouillon et but le vin qui lui furent présentés avec calme, ne levant les yeux de son assiette que pour nous remercier. Le repas terminé, Gilbert et lui, rallièrent la grange, l'orage avait cessé. Je me proposai de les accompagner mais ma mère me retint par le bras, soulignant que cela n'était pas convenable, je demeurai sur pas de la porte les regardant disparaître dans la grange. Le jardin sentait la pierre et la terre mouillées, je soupirai et me retirai dans ma chambre.

Quand la maison fut endormie, doucement je sortis de ma chambre et m'en allai vers la grange dont la porte était entrouverte. Je passai un œil à l'intérieur, les appelai mais personne ne me répondit. Je retournais à la maison quand j'entendis Gilbert crier mon nom.

- Le hollandais et moi prenons le frais. Me dit-il allumant une cigarette.

Le hollandais, puisque telle était sa nationalité, était assis sur des caisses entassées les unes sur les autres et tirait lentement sur sa cigarette. Je devinais les rubans de la fumée blanche dans les rais de lune. Je les contemplai tous deux, ils me firent songer à deux frères, la nuit faisant ressembler leurs traits. Tout à coup, le hollandais sauta des caisses, plongea sa main dans la poche de sa chemise et en sortit une photographie pliée en deux que Gilbert éclaira à l'aide de son briquet. Les visages de deux femmes côte à côte apparurent dans la petite flamme.

-Moeder, zus, nous dit-il les yeux pleins de béatitude, et pointant chaque visage.

Gilbert approcha la flamme pour mieux éclairer les portraits dans lesquels nous retrouvâmes immédiatement notre hôte. Nous le complimentâmes, lui assurant que sa mère et sa sœur étaient très belles. Il souscrit de plusieurs ja reconnaissants dans lesquels je sentis comme une certaine mélancolie. Oui, quelque chose me troubla mais je ne parvins pas à le définir. Il remit la photo dans sa poche et demanda une autre cigarette. Nous restâmes muets un long moment, laissant la fraîcheur nous envelopper, et nos pensées vagabonder.


- Nous devrions aller nous coucher. Suggéra Gilbert que les travaux des champs commençaient à affaiblir.

J'adhérai bien que ma raison et mon envie de rester encore un peu s'y opposaient. Le jeune garçon me saisit la main et la baisa, ce dont je fus surprise mais néanmoins flattée et les laissai rejoindre leur couche.
Quand je pénétrai dans la maison, une étrange lourdeur s'abattit sur mes épaules, je gravis les marches jusqu'à ma chambre le corps et le cœur lourds. Le souffle presque coupé, je me faufilai sous mes draps et plantai mes yeux sur les poutres du plafond. Par ma fenêtre ouverte, je perçus toute la nuit et ses odeurs entrer dans la pièce, la campagne était sur le rebord. L'image du hollandais me baisant la main ne me quittait pas, la chaleur de ses lèvres étant restée sur le plat de ma main.
Je dus finir par m'endormir car ce furent les rayons d'un soleil déjà bien levé qui me sortirent de mon sommeil. Lestement j'enfilai mes vêtements et me précipitai vers la grange, mais le hollandais et Gilbert n'étaient plus là.
- J'ai bien cru que tu ne te lèverais jamais. Me lança ma mère affairée au poulailler.

Sans même lui dire bonjour, je courrai chez les Romeille où je trouvai Gilbert assis devant la maison taillant un manche de pioche.


- Le hollandais est parti. Me dit-il sans cesser son travail.


Désabusée, je restai immobile devant lui, l'amertume au fond de la gorge. Comme je tournai les talons, Gilbert se leva et me tendit ce que je pris tout d'abord pour un morceau de papier, une photographie sur le dos de laquelle était écrit Hannes.


- C'est l'autre morceau de la photo qu'il nous a montrée cette nuit. Me dit-il reprenant son travail. - J'ai hésité à te la donner, mais je savais que ça te ferait plaisir. Ajouta-t-il disparaissant à l'intérieur de la ferme.

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