Chapitre 4

3 minutes de lecture

 Le tour est fini. Il relève la tête.

Ses pommettes grises se hissent. Un bref sourire s’esquisse. Comme par automatisme. D’un coup, l’éclat noir de ses pupilles jaillit d’entre les plis et replis de ses paupières. L’empreinte de la malice irradie son visage. Sourcils écarquillés, yeux grand ouverts, il peine à dissimuler son satisfecit. En cet instant, quand l’effet produit a été parfaitement réussi, le vieil homme semble s’épanouir, se rappeler à la vie. Tout ce qui a pu marquer ses décennies parait s’évanouir. Il serait d’ailleurs à deux doigts de nous faire oublier son âge. Je le fixe du regard. Droit dans les yeux. Et pose ma main sur son bras, calmement.

— Sénior ?

Mon appel est sans effet. Il poursuit son cycle, serein. Rien ne semble le perturber.

C’est dans cet éclat de vivacité qu’il reprend, d’une voix claire et maîtrisée en balayant du regard l’assemblée.

— Vous n’avez pas bien vu, je suppose ? Allez, pour vous, je re-co-mmence !, annonce-t-il en insistant par quelques gestes d’à-propos le caractère exceptionnel de son invitation.

Sans attendre, il réitère sa prestation à l’identique. Chaque geste, chaque mot, chaque temps de pause et de concentration est répété avec exactitude. Il tend le bras vers l’audience, à quelques centimètres du regard des spectateurs les plus proches.

— Mesdames et messieurs, regardez bien cette main. Car c’est une main de ma-gi-cien !

Le maestro reprend, indifférent au temps qui passe. Comme s’il en avait la maîtrise.

Alors qu’il entame ses passes avec son centime, je me tourne vers l’autre maître, celui des lieux, pour lui chuchoter quelques mots.

— Ces pièces, là… il les sort de sa poche ? Il en a combien sur lui ?

— Je ne sais pas. C’est un autre mystère. Une chose est sûre : à son arrivée, il y a un an de cela, il n’avait aucune monnaie sur lui, me répond-il, à voix basse.

— Je vois… Et… vous avez déjà essayé de lui changer sa toilette ?

— Chaque semaine. Ça ne change rien. Poche ou pas de poche, il sort ses pièces… de ses doigts en les remuant, comme ça, là, m’indique le chef de service en m’indiquant du regard la prestation en cours.

— “ Vous voyez, je vous le disais : un ma-gi-cien !”.

— Et… vous avez tenté de l’interrompre dans son tour ? En lui prenant la pièce, par exemple.

— C’est contraire à notre éthique et au protocole que j’ai imposé. Mais…

— Mais ?

— La seule fois où un membre de notre personnel l’a fait, mon patient est entré dans une colère noire, en devenant extrêmement violent.

— C’est-à-dire ?

— Il était fou de rage. Il avait une telle énergie qu’il en a fait tomber l’infirmier au sol. C’est une réaction fréquente. Toutefois, je ne m'attendais pas à ça. Notamment de la part d’un nonagénaire.

— “ C’est fou comme on peut s’émerveiller de si peu de chose, n’est-ce pas ? ”, répète le vieil homme, indifférent à nos échanges.

— Professeur Hosch, je pourrais interroger votre agent ?

— Oswald ? Certainement. Mais pas ici. Il ne fait plus partie de l’établissement. Je vous l’ai dit, c’est contraire à notre éthique. Chez nous, nos patients gardent leur intégrité. Quelle que soit la criticité de leur état.

— “Mais les gens restent attirés par l’argent…”

tap

Même le coup qu’il porte à la table semble parfaitement identique aux précédents. Sans surprise, la pièce d’un euro apparaît. L’illusionniste poursuit son tour…

— Il ne s’arrête jamais ?

— Si bien sûr. Quand il n’y a personne dans la pièce. Pas de spectateur. Pas de tour.

Logique.

 Cette nouvelle répétition reste en tous points identique aux précédentes. Le placement de ses pieds, sa gestuelle, son expression orale. Rien ne change hormis les spectateurs qui se dégourdissent les jambes, changent de place — sans doute pour espérer trouver la faille en changeant de point de vue — ou comme le professeur et moi, échangent quelques mots.

 Rien ne perturbe ce cycle que je me refuse de rompre par une intervention étrangère. Non seulement, parce que les conséquences risqueraient d’être aussi désastreuses que la description qui m’a été faite, mais surtout, parce que ça ne se fait pas. On ne brise pas la séquence. C’est ainsi.

Hosch attend un signe de ma part.

 Je baisse les yeux. Je ne trouverai rien. Un bref signe de tête et le responsable semble comprendre l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Eric LAISNE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0