Chapitre 6

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— Laissez-moi vous raccompagner, me dit-il en m’orientant vers le couloir de droite.

Je m’exécute et passe devant les chambres et leurs portes numérotées dont les couleurs pastel, toutes différentes les unes des autres, apportent une douceur nécessaire à la situation.

— Je suis navré, lui dis-je. Navré de ne pas avoir pu vous aider.

— Il ne faut pas. Faire le déplacement jusqu’ici est déjà beaucoup et je vous en remercie.

— C’était la moindre des choses, même… si ça n’a pas été très utile.

— Ne dites pas ça, m’interrompt-il.

— Pourquoi ?

— Parce que nous n’en savons rien. C’est ce qui détermine cette maladie : nous ne faisons que l’explorer. En quelque sorte, nous ne sommes que spectateurs. Peut-être que ce contact avec vous réveillera des choses en lui. Demain, dans une semaine… ou jamais, avoue-t-il avant d'emprunter l’escalier principal.

 À mi-étage, une femme en blouse le salue. Elle ramasse des cartons tombés de sa poche. Sur l’un d’eux, le mot « arbre » est écrit sous une représentation graphique simpliste. Arrivés dans le hall, nous dépassons une femme au regard ahuri, reconduite par deux aides-soignantes. La dame dévisage chacun de nous, tantôt craintive, amusée ou curieuse à la vue de nos figures. Comme si elle découvrait l’espèce humaine et sa façon de communiquer.

Le professeur s’arrête alors face à moi et pose sa main sur mon épaule.

— Écoutez, ici, nous nous gardons de toutes conclusions hâtives. C’est notre façon à nous de préserver un peu d’espoir.

— Je comprends…

— Ce que nous nous bornons à faire, c’est prendre soin de nos patients et les étudier. Et dans le cas de monsieur Benatar, nous faisons bien plus que l’observer, concède-t-il d’un sourire juvénile.

— Oui. j’ai vu. Vous l’admirez. Comment pourrait-on faire autrement ?

Le chef de service acquiesce puis sort de sa poche une carte de visite.

— Si vous pensez à quelque chose, n’hésitez pas à m’appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. C’est mon téléphone personnel, me dit-il avant de consulter son bipeur. Je suis désolé, je dois reprendre mon service. J’espère que votre venue ici ne vous aura pas trop affecté.

— Difficile d’y être insensible. Toutefois, sachez que j’aurais tout fait pour revoir mon maître une dernière fois.

— Je comprends. Merci encore pour votre intervention. Et n'hésitez pas à m’appeler, termine-t-il en faisant taire son appareil.

 Les portes du sas s’ouvrent. Je fais un dernier signe à Hosch puis quitte les lieux, la tête basse, impuissant. Je traverse le petit jardin d’agrément, sous une pluie qui saura peut-être me faire reprendre mes esprits, me redonner un peu d’énergie.

 Au portail, un couple s’est arrêté. « Il m’a vouvoyé… me reconnait plus… » bredouille la femme avant de s’effondrer en larmes contre l’homme qui la serre dans ses bras.

 Le contact physique. C’est peut-être ce qui reste quand la raison nous quitte, quand les mots ne suffisent plus. Je l’espère en tout cas. Oui, j’espère que mon embrassade vous ouvrira à moi, sénior.

 Je range méticuleusement la carte de visite du professeur dans ma poc… Quoi ? Mais comment est-ce possible ? Des pièces de monnaie errent dans ma veste ! Dix exactement. Cinq centimes, et autant d'euros. J’étais pourtant à distance. J'ai beau me passer en revue toutes les hypothèses de transferts et de détournements, aucune ne semble viable !

 Ces pièces, dans ma poche… Elles remettent tout en cause, me raccrochent à la folle hypothèse que j’avais pourtant aussitôt écartée. Je pensais tout connaître, tout maîtriser, avoir tout apprit de moi comme de vous, mais, de toute évidence, je me suis trompé. Je n’ai pas cru ce qu’il fallait voir. Cet éclat dans votre regard, il était identique à celui de chacun de vos spectateurs. Le reflet d’une âme d’enfant. Vous sembliez émerveillé par ce qui se produisait comme si vous étiez spectateur… de votre propre tour !

 Dehors, la rue continue à s’agiter, inconsciente de ce qui vient de se produire dans cette clinique. Avant que le porche ne se referme derrière moi, je regarde une dernière fois ce lieu où vous produisez sans doute votre dernier numéro, Sénior. Un numéro parfait, puissant, qui vous habite autant que vous l’habitez. Un tour au secret bien gardé, enfoui dans les profondeurs de votre esprit, scellé par l’oubli.

Le spectacle, unique, d’une vie.

Pure magie.

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