11. Emma

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Emma ouvrit la porte qu'elle s'était jurée ne plus jamais toucher. Des débris de bouteilles éclatés s'enfoncèrent sous ses talons épais. La musique s'était arrêtée, il ne subsistait que des mots étouffés, des personnes qui s'apprêtaient à partir. Elle traversa le salon et monta les escaliers, les joues chauffées de panique. Et elle retrouva William sur le lit, le même lit où elle et Simon dormaient.


— Oh mon dieu, étouffa-t-elle avec sa main.


Elle se précipita à ses côtés, touchant son visage trempé. Il ouvrit faiblement les yeux. Le soulagement de le voir vivant lui provoqua des frissons. Elle l'avait pensé mort. Quand Léandre l'avait appelé, prononçant son nom accompagné des mots "overdose" et "piscine", c'était la première chose qui lui avait traversé l'esprit. Mais il était bel et bien vivant. Elle caressa sa tempe blessée, retenant les larmes.


— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle enfin à celui qui occupait la chambre.


Léandre. Elle aurait voulu ne plus jamais entendre sa voix.


— Johan l'a vu sortir. Il tremblait et il ne marchait pas droit. Puis il est tombé dans la piscine.


— Tombé ?


— Il n'a pas bronché ni rien. Il s'est juste... jeté dans l'eau.


Il avait été assez lucide pour pouvoir marcher. Avait-il cherché à se tuer ? Il fut pris d'une toux soudaine. Ses paupières luttèrent pour s'ouvrir à nouveau, mais il y arriva à peine.


— Pourquoi vous ne l'avez pas emmené à l'hôpital ? s'énerva-t-elle.


— Ils auraient découvert de la drogue dans son sang. Il aurait été dans la merde après.


— Ah ouais ? Et comment tu sais qu'il s'est drogué ? William n'a pas touché à de la came depuis des années.


Elle affronta l'ex meilleur ami de Simon dans les yeux.


— C'est pas ce qu'on m'a dit, lâcha-t-il après quelques secondes de silence.


Il l'agaçait. William aurait pu mourir sur son lit qu'il n'aurait rien fait pour le sauver. Elle l'appela par son nom, tapant un peu ses joues pour l'aider à se réveiller. Il luttait violemment, elle le voyait bien. Et il arriva à ouvrir les yeux, même si le fait qu'il y voit clair restait encore à déterminer.


— Ça va, murmura-t-elle. C'est moi, Emma.


Son regard se mêla à de l'incompréhension. Il la dévisagea un long moment, le souffle rauque. Emma eut l'impression d'avoir face à elle un enfant qui venait de faire un cauchemar. Sauf que cette fois-ci, le cauchemar avait été réel. Il aurait pu mourir. Penser à cette possibilité étouffa son cœur.


Soudain, son torse se contracta et du vomi jailli de ses lèvres. Une toux incontrôlable le saisit.


— Mes draps, merde ! s'exclama Léandre.


— Tu veux bien la fermer ? Tu ne vois pas qu'il est pas bien ?


— Ah ouais, c'est ma faute peut-être ?


— La ferme j'ai dit ! Emmène-moi une bouteille d'eau au lieu de rester ici à rien faire !


Il étouffa plusieurs jurons et sortit. William continuait de se vider, secoué de convulsions. Elle glissa sa main entre ses doigts et les serra. Ses vêtements étaient trempés, il était tout bon pour attraper un rhume. Il fallait absolument qu'elle l'emmène dans la salle de bain. Mais avec sa corpulence, elle n'y arriverait jamais seule.


Léandre revint avec une bouteille d'eau en plastique. Elle aida le brun à se redresser, ignorant l'odeur pestilentielle du vomi. Une partie de son jogging en était recouvert. Mais l'important était William. Il écarta son visage en vue de l'eau, mais elle le força à la boire. Il céda sous son manque de force.


— Aide-moi à le porter jusqu'à la salle de bain, ordonna-t-elle sèchement.


Elle passa son bras autour de ses propres épaules et, grâce à Léandre, parvint à le mettre debout. La vérité fut que Léandre porta la quasi totalité de son poids, mais le savoir contre elle la rassurait. Il le posa dans la douche et revint avec des serviettes et des vêtements à lui.


— Tu veux un pantalon ? proposa-t-il en inspectant son bas.


— Euh, ouais. S'il te plaît.


Une fois qu'il disparut, elle ferma la porte à clef. Puis souffla. Elle haïssait sa présence. Qui l'empêcherait cette fois-ci de se jeter sur elle pour la violer ? Elle jeta un coup d'œil vers William. Non, certainement pas lui.


Lui enlever son tee-shirt et son pantalon fut laborieux. Peu à peu, il semblait retrouver ses sens et l'aida en se soulevant légèrement, mais aussitôt, une grimace déforma ses traits. Elle alluma l'eau chaude, déversa sur un gant la moitié du gel douche. Puis elle le lava, comme une mère le ferait avec son enfant. Elle le soupçonnait d'apprécier la situation, surtout quand elle massa son cuir chevelu. Mais elle ne sut l'affirmer avec certitude. Son teint était blanc, virant au vert.


— Emma... articula-t-il d'une bouche pâteuse.


— Quoi ?


Son ton sec avait été volontaire. Il était quatre heures du matin et elle se retrouvait dans la salle de bain de Léandre à le laver comme un gamin. La peur de le voir mourir dans ses bras avait laissé place à de l'agacement.


— Elle m'a... elle m'a empoisonné...


Sa main qui frottait son bras s'arrêta net. Est-ce qu'il délirait ?


— Qui ?


Il fronça furtivement les sourcils, fixa ses mains inertes.


— Ou je... j'ai peut-être rêvé...


Un soupir d'exaspération franchit ses lèvres. Elle reprit son mouvement, termina de le rincer. Après avoir installé un tabouret face à l'évier, elle l'aida à se lever et s'asseoir dessus. Il parvint à se maintenir droit, plus ou moins.


— Sèche-toi et change de boxer, lui ordonna-t-elle en plaçant le nécessaire dans ses mains. Je vais chercher la bouteille d'eau.


— Je ne veux pas d'eau, murmura-t-il avec un brin de colère.


— Tu fais ce que je te dis.


Léandre était en train de mettre de nouveaux draps quand elle entra dans la chambre. Elle s'empara de la bouteille, placée de l'autre côté du lit et s'apprêtait à repartir quand elle entendit la porte claquer. Léandre se tenait devant. Et merde.


— Qu'est-ce que tu veux ?


La panique commençait déjà à la submerger, mais elle tenta de la contrôler. Elle s'imaginait déjà hurler dans l'espoir que quelqu'un au rez-de-chaussée l'entende. Il allait lui faire du mal. Elle le savait. C'était ce qu'il voulait faire depuis longtemps.


Mais il leva instantanément les mains en l'air.


— Je ne vais pas te toucher. Ne me regarde pas comme si j'allais te tuer.


— Ah ouais ? Et je devrais penser quoi à ton avis ?


— J'ai sauvé ton copain. Tu peux prendre cinq minutes pour m'écouter ?


Son copain. Elle avait oublié leur petit jeu. Et à présent, ça lui semblait tellement absurde. Pourtant, c'était cette raison qui avait poussé Léandre à l'appeler elle. Ou peut-être y en avait-il une autre.


— J'ai été un connard, admit-il. Un véritable connard, et je suis profondément désolé pour ça. Je ne sais pas si j'aurais vraiment été capable de le faire dans le fond, j'étais juste jaloux. Mais après votre départ, j'ai eu du temps pour réfléchir. Et je le répète. Je suis désolé.


— Tu crois que trois mots vont excuser ton acte ?


— Non. J'en suis conscient. Je veux juste que tu transmettes un message à Simon, puisqu'il m'a effacé de ses contacts. Dis-lui que je veux le voir. Que ce soit à Memphis ou n'importe où.


— Tu rêves, lâcha-t-elle avec un rire nerveux.


— S'il te plaît Emma. Écoute, Simon est mon meilleur ami. J'ai passé toute ma putain d'enfance avec lui. J'ai été con de laisser une fille nous séparer, alors qu'il avait confiance en moi. Je veux au moins savoir si j'ai une chance de me racheter.


Elle marqua un temps d'hésitation.


— Est-ce que c'est vrai ce que tu m'as dit ? Qu'il voulait me partager ?


La tristesse envahit son regard.


— Non. J'ai tout inventé.


Alors elle lui balança la bouteille. Il s'écarta à temps, les yeux écarquillés de surprise. Le plastique cogna la porte et s'écrasa au sol.


— J'aurais pu mourir en le haïssant ! s'exclama-t-elle. Tout ça à cause de toi !


Il ne répondit rien. Il savait. Et il s'en voulait pour cela, entre tous les regrets qui le rongeaient. Elle aurait pu le détester avec facilité, lui ordonner de disparaître et de ne jamais s'approcher de Simon. Mais elle savait dans quelle position il se trouvait. Le moment où on regarde en arrière et on maudit notre propre existence. Pour des erreurs qu'on aimerait effacer. Elle connaissait le goût amer du regret. Elle connaissait aussi l'espoir immense que tendaient les deuxièmes chances.


— J'espère pour toi que tu as changé, reprit-elle.


— Oui. Je te le jure.


Si désespéré.


Elle s'avança vers la bouteille et la ramassa.


— Laisse-moi passer maintenant, il faut que j'aille voir comment il va.


— Ton pantalon, lui rappela-t-il en lui tendant le vêtement. C'est à Simon, il l'avait oublié.


Rassurée qu'il ne s'agisse pas d'un des siens, elle s'en empara et activa elle-même la poignée.


— Comment il va d'ailleurs ? demanda-t-il. Je ne l'ai pas vu à Memphis ces derniers jours.


— Il a la grippe.


Elle ferma bruyamment la porte de la salle de bain et fut soulagée de voir William sec. Il avait meilleure mine. Quand elle ôta son jogging pour revêtir celui de Simon, une réalisation vint la percuter de plein fouet. Léandre savait qu'elle vivait encore avec Simon. Il avait parlé comme s'ils étaient en couple, sans se préoccuper de savoir comment ils avaient cassé après la nomination du Mur.


Tout le monde n'était donc pas si dupe.


— Je ne t'avais jamais vu en culotte, fit remarquer William.


— C'est la drogue qui te rend con ?


Elle noua le lacet autour de sa taille au maximum. Certes, elle n'était pas de bonne humeur. Comment l'être dans une situation pareille ?


— Eh, commence pas à m'attaquer.


Il rattrapa de justesse la bouteille qu'elle lui lança. Il avait retrouvé sa mobilité, même si ses gestes restaient lents. Elle inspecta son visage, ses pupilles. Celles-ci étaient encore grosses. Emma s'appuya contre le rebord de l'évier, se permettant une brève pause. Le silence lui parut alors de trop.


— Pourquoi t'as replongé ?


Son regard tomba.


— J'en sais rien.


— Si tu sais. Regarde-moi.


Il se passa plusieurs secondes avant qu'il ne relève la tête. Alors elle comprit. C'était tout simplement évident.


— Liam.


— Non, enfin oui mais non, lâcha-t-il précipitamment. C'est moi qui y ai touché, il ne m'a pas forcé. C'était juste devant moi alors je... je n'ai pas pu résister. Je n'ai pas pu.


Elle détourna elle-même le regard, sentant l'irritation la submerger. Elle avait vraiment pensé qu'il s'en sortirait. Il avait adopté une attitude si désinvolte face aux drogues qu'elle l'avait cru capable de rester clean le restant de sa vie. Mais le destin nous ramenait toujours à nos origines, n'est-ce pas ?


— Pourquoi est-ce que tu l'as revu ?


— Je lui avais promis, avoua-t-il. Quand il est venu nous demander de l'argent, à Chloé et à moi, il a pété un plomb. Il a menacé Chloé, menacé avec son flingue sur son ventre et elle était enceinte, je ne pouvais pas le laisser faire. Alors j'ai dit que je ferais ce qu'il voudrait, à condition qu'il la relâche.


Si elle avait payé Liam, elle qui avait beaucoup plus d'argent que lui, jamais il ne se serait retrouvé dans cette situation. Elle aurait prétexté à son père une collection de sacs Chanel et il lui aurait permis de sortir la somme qu'elle voulait. Des erreurs. Toujours des erreurs.


— Et ensuite ? Qu'est-ce qui t'as poussé à traîner autour de lui ?


Il se tut. Elle voulait qu'il parle. Qu'il lui dise. Et s'il fallait qu'elle hurle pour cela, elle hurlerait.


— William, l'appela-t-elle d'une voix qui commençait à vriller.


Alors il lui jeta un regard désolé.


— Il m'a fait une proposition. Je vendrais de la came pour lui. Et il te protègerait.


Sa gorge s'assécha. Pour elle. Il s'était jeté dans la gueule du loup pour elle.


— Pourquoi tu as fait ça ? souffla-t-elle.


— Parce que j'avais peur, voilà pourquoi, s'énerva-t-il. Le réseau de Liam est vaste, il sait tout ce qui se passe dans les moindres recoins de Cannes, il est plus efficace qu'une armée entière de bodyguards. Je ne veux pas te voir mourir une seconde fois dans mes bras, tu comprends ça ?


— Non, lâcha-t-elle en voyant sa vue se brouiller. Pas ça, pas à cause de moi...


— Eh, je t'interdis de penser ça.


Il agrippa sa cuisse et la força à s'approcher. Elle s'effondra sur ses genoux et posa son front contre son épaule. Quand est-ce que son cauchemar s'arrêterait-il ? Quand est-ce qu'elle arrêterait d'être la cause de tous les malheurs ? Il enroula un bras autour de sa taille, la serrant de toutes ses forces restantes contre lui. Les mots "je suis désolée" se bloquèrent dans sa poitrine. Désolée d'exister, désolée d'être qui elle était. Elle avait l'impression de ne faire que s'excuser, ces derniers temps. C'était un espoir vicieux : espérer que trois mots arrangent les choses.


— C'était mon choix, ok ? l'entendit-elle prononcer contre son oreille. C'est moi qui me suis lancé là-dedans, tu n'as pas à t'en vouloir. Je sais ce que tu penses maintenant mais c'est faux.


Elle tenta de faire un effort, mais les mêmes mots tournaient en boucle dans sa tête. C'est ta faute. C'est ta faute. Elle eut l'impression d'étouffer. Et elle se serait acharnée sur son épaule s'il ne l'avait pas repoussé gentiment, balayant son visage de mèches blondes.


— Tu n'aurais pas dû faire ça.


— Je ne voulais pas prendre le risque de dire non.


Les souvenirs de l'après-midi qu'ils avaient passé ensemble, à se jeter des tas de farine sur la face, lui revinrent en mémoire. Il lui avait dit qu'il l'aimait, d'une manière qu'il n'arrivait pas à définir. Et dans ses mots, elle y avait lu "je serais prêt à tout pour toi". Mais elle n'avait pas mesuré l'étendue de ses propos.


— Et si je te perds toi, à la place ?


Son expression changea. Il n'y songeait pas. Il n'était qu'un égoïste. Qu'est-ce qu'il pensait faire, se sacrifier ? Est-ce qu'il savait que sans lui, elle ne serait plus la même ? Elle se releva, échappa à son contact.


— Habille-toi, je te dépose chez Alex.


— Je ne peux pas retourner là-bas.


Elle le dévisagea.


— On s'est disputés, expliqua-t-il. Il a découvert la drogue et m'a viré.


— Tu te rends compte que tu es en train de tout perdre pour cette merde ? Est-ce que tu regrettes au moins ? Non parce que tu as dit ça comme si le fait de le quitter ne te faisait rien.


— Pourquoi tu t'énerves ?


— Parce que tu fous tout en l'air, voilà pourquoi ! s'exclama-t-elle en enfonçant ses ongles dans le tee-shirt plié.


— Parce que c'était plus facile pour toi de résister quand j'étais en couple ?


Il l'avait achevée. Elle posa violemment les vêtements sur ses genoux et gagna la porte.


— J'ai plus le temps pour ces conneries.


Elle s'adossa contre un des murs du couloir après avoir refermé la porte. Qu'allait-elle faire de lui ? Sûrement pas le ramener dans son appartement. Simon était malade, et savoir William sous le même toit que lui le rendrait plus malade encore. Erwin avait autre chose à faire que s'occuper d'un junkie. Il avait la tête assez pleine avec Madden. Il restait Lucas. Peut-être accepterait-il de le loger pour une nuit, après tout ces deux là étaient amis.


Elle prit son téléphone et l'appela. Ce ne fut qu'au troisième bip qu'elle se rendit compte de l'heure. Mais il décrocha au moment où elle allait raccrocher.


— C'est quoi ce bordel ? grommela-t-il d'une voix endormie. Il est quatre heures du matin putain.


— Écoute, c'est une petite urgence. William a fait une overdose, bon il s'est à peu près rétabli mais pour ce soir j'ai besoin de...


— Je ne veux pas écouter plus. Si ce connard met un pied chez moi je le bute.


Sa bouche s'ouvrit silencieusement sous la surprise.


— Quoi ?


— Il a vendu de la came à ma mère. Je ne veux plus le voir.


Elle se frotta les yeux, exaspérée et agacée à la fois. Contre William, contre la tête butée qu'était Lucas et contre le monde entier.


— Et je fais quoi moi ? Simon n'acceptera jamais qu'il passe une nuit chez nous.


— Il a un copain non ?


— Ils se sont disputés.


Elle crut entendre un rire moqueur.


— Bien fait pour sa gueule.


— Arrête. C'est difficile de se défaire de ce genre de choses, ok ? Si on te disait d'arrêter de fumer tu réagirais comment, hein ?


— Ne le défends pas. Personne ne l'a obligé à en vendre, et encore moins à ma mère sous son propre toit. Maintenant si tu veux bien, j'ai envie de dormir.


Et il raccrocha. Sans lui laisser le temps de répondre. Elle eut envie de jeter son téléphone contre le mur. La fatigue l'assaillait et toute l'inquiétude soudaine de cette nuit lui retomba sur les épaules. Elle aussi avait envie de dormir, merde. Au bord de la crise, elle descendit au rez-de-chaussée, passa à côté des quelques personnes qui restaient. Des corps étaient étendus sur les canapés, complètement ivres. Elle retrouva Léandre dans la cuisine, en train de passer du sopalin sur le sol. Il aurait passé sa soirée à nettoyer du vomi.


— Je déteste te demander de l'aide, mais j'ai besoin que tu me fasses une faveur.


— Je t'écoute, dit-il en arrachant une deuxième feuille d'essui-tout.


— Est-ce que William pourrait dormir ici ? Je le récupérerai demain, promis.


Il prit le temps de désinfecter le carrelage, de passer une seconde fois sur un sol plus que propre avant de répondre.


— Uniquement si tu me promets de parler de ma proposition à Simon.


Pourquoi est-ce que ça ne l'étonnait pas ?


— Oui, accepta-t-elle, agacée. Donc, c'est bon ?


— Prends la chambre où je l'ai couché. Les draps sont propres.


— Merci, lâcha-t-elle dans un soupir de soulagement. Merci vraiment, je ne savais plus quoi faire.


— Il peut rester plusieurs jours si ça t'arrange, continua-t-il sans la regarder. Ça ne me dérangera pas.


— Non, ça va. Il faut juste que je récupère les clefs de l'appartement de Leila.


C'était Madden qui les avait, à ce qu'elle se rappelait. Et puis, mieux valait ne pas laisser William dans cette ambiance de "fête". Il y circulait certainement des substances.


— Ok. Comme tu voudras.


William s'était changé quand elle remonta à l'étage. Elle lui expliqua la situation, et sans demander plus, s'effondra sur le lit. Il s'endormit si rapidement qu'elle le crut mort. Mais il se mit à ronfler et elle comprit. Elle rabattit une couverture sur lui, posa la bouteille d'eau sur la commode et sortit de la villa, épuisée.


Dans la voiture, elle se rendit compte avoir oublié d'informer Anderson de ses mouvements mais se rassura en songeant aux propos de William. Liam la surveillait dans l'ombre. Et elle savait qu'il s'appliquait, surtout si les ventes de son cousin lui rapportaient. Quand ça allait dans un sens, ça allait dans l'autre. C'était sa philosophie. Après s'être garée devant chez elle, elle envoya un message à Madden lui demandant de déposer les clefs de l'appartement dans la boîte aux lettres. Comme elle en avait besoin pour le lendemain, et parce que Madden méprisait de plus en plus son téléphone, elle envoya le même message à Erwin. La liste de choses à faire s'agrandissait. Le lendemain, elle devait aller au commissariat pour parler des photos à l'inspecteur. Puis Mr Korel l'attendait chez lui pour ses cours d'économie, dix jours avant les partiels. Et elle devrait étudier.


Trop, trop de choses. Elle allait craquer.


Certaine qu'une bonne nuit de sommeil allait arranger les choses, elle monta le bâtiment et entra dans l'appartement. Le salon était allumé et Simon était assis sur le canapé, un plaid enroulé autour de lui. Une boîte de mouchoirs gisait à côté de son genou.


— Pourquoi tu n'es pas au lit ? s'étonna-t-elle en le rejoignant.


— Je ne savais pas où t'étais partie.


Ses lèvres craquaient, elle détestait le voir comme ça. Si vulnérable. Elle toucha son front. Il était brûlant.


— Je vais te préparer un ibuprofène.


Quand elle emplit le verre d'eau, elle voulut pleurer. Les nerfs. Le stress. Les partiels qui arrivaient. La pastille pétilla dans l'eau. Elle revint dans le salon et le lui posa dans les mains, le regarda boire. William était si certain que si elle avait le choix, elle le choisirait. Simon avait été son issue de secours au début, c'était vrai. Mais après son passage à l'hôpital, il avait été son pilier. Il l'avait forcée à reprendre une alimentation normale, l'avait conduite dans des restaurants. Il l'avait empêché de boire à plusieurs reprises, et même dans les soirées où ils s'étaient rendus, il l'avait surveillée. Et peu à peu, il avait instauré l'espoir en elle. L'espoir d'une vie normale. Meilleure. Dénuée de douleur et de problèmes. Et si aujourd'hui elle arrivait à s'occuper des autres, c'est parce qu'il s'était occupé d'elle  avant.


Jamais elle n'oublierait cela.


— Alors ? demanda-t-il après avoir reposé le verre. Tu étais où ?


Elle lui raconta brièvement les événements. Il hocha lentement la tête, toujours emmitouflé dans ses couvertures. Sur un élan de confiance, elle lui avoua même les détails. Sa dernière phrase, celle où il avait sous-entendu qu'elle se jetterait sur lui s'il était libre. Simon l'observa avec des yeux brillants.


— Et tu as dit quoi ?


— Que je n'avais pas le temps pour ces conneries. Honnêtement, pas le temps et pas l'énergie.


C'était la première fois qu'elle refusait de lui cacher des choses. Et elle se sentit bien. En paix avec elle-même. Il prit sa main, la serra faiblement. Sans qu'il n'eut besoin de prononcer un mot, elle sut. Ils venaient de franchir un cap. Celui de la confiance. Et peut-être qu'il arrêterait d'être jaloux s'il comprenait qu'elle resterait ouverte à lui. Peut-être que c'était ça la solution, finalement.


Simon se sentit mieux en se levant le lendemain matin, et même s'il restait un peu pâle, il avait meilleure mine. Alors elle lui parla de la proposition de Léandre, chose qu'elle avait omise la veille pour ne pas trop le perturber. Son visage se ferma, il écouta mais ne répliqua rien. Puis il dit simplement "je verrais". Elle avait tenu sa promesse, le reste ne dépendait plus d'elle.


Elle descendit vérifier la boîte aux lettres, où elle y trouva les clefs de l'appartement. Erwin avait effectivement lu son message mais n'y avait pas répondu. Il y avait aussi une enveloppe. Elle la saisit, piquée par la curiosité. Pas d'expéditeur. Pas de destinataire. Son cœur s'emballa. Elle déchira le papier, sortit le contenu d'une main tremblante.


De nouvelles photos. Dans la cafétéria même, en compagnie d'Erwin, les anciens clichés en main. Avec Simon qui l'embrassait. Des preuves. Des preuves que son couple avec William n'était que mensonge. Puis il y eut une dernière photo.


Hier soir, là où elle se tenait à l'instant. S'apprêtant à rentrer dans la bâtisse.


Elle releva brusquement la tête, analysa les environs. Et s'il était là ? S'il la voyait paniquer et s'en délectait ? Et au fond, s'il pouvait la prendre en photo à tant d'occasion, qu'est-ce qui l'empêcherait de la tuer ? Une arme, une balle, un drame arrivait vite. Sa vie se suspendait à un fil, à la volonté d'un homme dont elle ignorait l'identité. Elle courut vers l'intérieur, terrifiée à l'idée de se trouver en terrain découvert. Ses pieds frappèrent contre les escaliers. Elle débarqua dans le salon ; Simon buvait toujours son mug de café et fronça les sourcils à son arrivée.


Elle jeta les photos sur la table.


— Je veux une arme. Je m'en fous si c'est illégal, j'en veux une, je...


— Eh, eh, calme-toi ! s'exclama-t-il en levant une main.


Il reposa le récipient et observa les clichés. L'inquiétude creusa ses traits. Elle avait l'impression que son persécuteur se trouvait dans la même pièce, en train de l'épier, la prendre en photo. C'était un cauchemar, un pur cauchemar.


— Écoute-moi, reprit-elle, Liam est capable de me donner de quoi me défendre.


— Pourquoi tu parles de Liam ?


— Est-ce que tu as retenu ce que je t'ai dit hier ? s'énerva-t-elle.


— Emma. Calme-toi.


— Je suis calme, je suis très calme mê…


Il se leva et l'enveloppa dans ses bras, lui coupant la parole. Alors elle s'accrocha à son tee-shirt. De toutes ses forces. Son cœur parut vouloir sortir hors de sa poitrine. Et s'il était en train de les regarder ? Et s'il en faisait une photo ?


— On ne va pas se procurer une arme, dit-il en la serrant toujours contre elle. C'est de la folie et c'est dangereux. Pour l'instant, il ne prend que des photos. Ne lui donne pas d'importance, parce que c'est ce que cette personne cherche : te faire du mal. T'isoler.


Il l'écarta un peu et encadra son visage de ses mains froides.


— Et quand on vise une proie, on l'isole. Continue de vivre normalement. Fais comme s'il n'existait pas.


— Je ne suis pas sûr d'en être capable.


Il déposa alors un baiser sur son front et laissa ses lèvres posées sur sa peau pendant plusieurs secondes. Elle prit une profonde inspiration. Il avait raison. Elle devait faire l'effort, se montrer forte. Et alors son persécuteur aurait plus de mal à la blesser.


— Bien sûr que si.


Il demeurèrent longtemps entrelacés, respirant l'odeur de l'autre. Dans ses bras, elle se sentit en sécurité. C'était comme si, durant ce court instant, elle ne pouvait pas mourir. Parce qu'il était là. Parce qu'il l'aimait. Lui, la seule personne qui ne l'avait jamais abandonné.


Deux minutes plus tard, William l'appela pour lui dire qu'il pouvait rentrer seul. Comme ça l'arrangeait, elle accepta, lui ordonna de sonner ici pour récupérer les clefs puis prit son manuel d'économie pour se rendre chez son professeur. Comme Simon lui avait conseillé, elle fit abstraction de sa peur et se glissa dans la voiture d'un air relativement calme. Anderson lui souhaita le bonjour et démarra.


Mr Korel vivait aux abords de Cannes, dans un quartier fait de maisons blanches, grandes et spacieuses. Des enfants jouaient sur les trottoirs et des chiens aboyaient au passage de la voiture. Elle sonna à la porte, sentant le regard d'Anderson surveiller ses environs depuis le véhicule. Elle lui avait demandé de ne pas l'escorter jusqu'à l'intérieur, après tout il était son professeur. Elle le voyait tous les jours et il ne lui avait jamais fait de mal.


— Ah, Emma, sourit-il en ouvrant la porte. Pile à l'heure.


Un miracle, songea-t-elle. Il l'introduisit dans le salon où des feuilles d'exercice étaient déjà posées. Puis il lui demanda d'attendre deux minutes, car son téléphone sonna et il devait prendre l'appel. Alors elle en profita pour observer la décoration. Une bibliothèque de livres anciens, des fleurs séchées en guise de décoration. Elle pencha la tête pour lire les titres. Nietzsche. Marx. Rousseau. Quatre étagères de philosophes, une seule de poésie. Les reliures étaient anciennes et elle les trouva magnifiques, même si les livres n'étaient pas sa passion favorite. Sur les murs, plusieurs photographies en noir et blanc étaient accrochés. De l'architecture, des plantes, des portraits. Puis elle observa le dessus du meuble, les deux bougies à la cire fondue et la photo. Emma fronça les sourcils.


Elle saisit le cadre et inspecta le visage. C'était une femme d'une vingtaine d'années. Souriante. Un regard dénué de douleur, l'innocence même. Elle la trouva magnifique. Mais elle lui disait quelque chose. Son air et surtout la forme de son visage et de son nez. Elle l'avait vue quelque part. Son attention dériva vers une autre photographie. Il y avait Mr Korel jeune, la femme à ses côtés, et quelqu'un de coupé. Le cadre cachait la troisième personne qui les accompagnait. Elle reconnut Memphis en arrière plan.


— C'était ma sœur.


Elle fit volte-face, surprise par son retour si rapide. Mais elle se détendit aussitôt face à la douceur de son visage.


— Lana Korel. Elle avait vingt et un ans quand elle est morte.


— Je... je suis désolée. Mais elle était très belle.


La cause de sa mort piqua sa curiosité, mais le demander aurait été impoli. Alors elle reposa le cadre à sa place. Ce meuble paraissait être un altar à sa mémoire. Il avait dû souffrir de sa perte.


— Nous devrions commencer, proposa-t-il.


— Oui, bien sûr.


Au moment de s'asseoir, un détail attira son regard. Posé sur un des meubles de l'entrée, il y avait un appareil photo.


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