La mer devient plus noire
Donc cette histoire de tourner autour du PMU sous ecstasy avec Damso aux oreilles (j’aime écouter la même musique en boucle) sans picoler n’allait pas durer bien longtemps. Mon cher Stefano s’agaçait et ne comprenait pas pourquoi je ne l’accompagnais pas avec une bière. Je finis par recraquer. Dans un très mauvais timing, car ma sœur avec mon amie d’enfance Swan m’attendent à Varna sur la côte bulgare de la mer Noire où mon père possède un pied-à-terre.
Je suis ivre dans l’avion, je n’avais pas décollé depuis des lustres et une certaine jouissance m’envahissait Mais l’atterrissage sera brutal, je décevrai Dara qui espérait voir un vrai Stanislas débarqué. Les cinq jours de repos seront néanmoins une réussite. Avec ma famille, je suis toujours exemplaire en vacances. En plus il y a la curieuse Swan qui mettra encore quatre années à dévoiler son orientation sexuelle. Rien de honteux d’être attiré par des femmes, mais pas ma sœur s’il te plaît ! Elle trouvera finalement sa petite amie récemment.
L’eau salée de la mer, la sertraline, les pompes le matin, la bonne bouffe bulgare, les conversations loufoques entre nous trois et l’absence d’alcool… je reprenais des couleurs. Enfin. Mais l’instinct de ma sœur est redoutable, elle sent que quelque chose ne tourne pas rond. Idiotement, par fierté ou pour me rassurer, je leur dévoile le profil de Stefano sur sa page Facebook où on le voit en chef cuisinier. «Il a l’ai violent», estiment-t-elles. Que du bon sens. Et pourtant, avant de partir à Varna, lieu de naissance de ma grand-mère paternelle qui me chouchoutait, j’avais entamé un deal d’héberger Stefano et son ami Dushan, les deux tout juste sortis de la prison de la Santé. En échange de mon hospitalité, on me promettait de boire gratuitement tous les jours. Le retour à Paris sera infernal, asphyxiant et terrifiant.
J’allais affronter désormais le monde de la criminalité, des escroqueries, de la violence mais aussi du savoir-vivre et de la plaisanterie. A l’inverse de mes anciens invités, Stefano et Dushan étaient propres. Avant de quitter le studio, ils se lavaient, se préparaient et se coiffaient pendant quarante-cinq minutes. Ça m’énervait car dix minutes à la salle de bains, j’étais aussi frais qu’eux. Mais les Serbes costauds et beaux-gosses ont beaucoup d’égo et fixent sans scrupule les filles. Enfin bon, au final, ces douches interminables étaient pour envoyer Dushan au charbon dès six heures du matin comme ouvrier au black et Stefano au PMU en début d’après-midi pour tout perdre. Le décalage horaires entre les deux m’obligeaient à me les farcir h24. J’avais plus confiance en Stefano pourtant plus violent. Il picolait sa vodka Absolut devant le PMU, fumait clope sur clope, claquait tout son RSA en quelques heures, me foutait des tartes quand j’essayais de le calmer et il rentrait ivre au studio sans oublier le passage au supermarché d’en bas où il parvenait à sortir avec des entrecôtes et du bon vin rouge bien cachés dans son sac élégant de travail.
Lui, c’était clair : alcool, jeu, sport, violence, vol, aventures avec des nanas, prison. Dushan le renard, était plus qu’ambigu. J’ignorais ce qu’il cherchait vraiment dans le septième alors qu’il partageait un petit studio avec un gothique qui n’est visiblement pas sa tasse de thé. Mais entre dormir par terre chez moi ou dans un lit confortable et clean... je n'aurais pas hésité bien longtemps. La collocation à trois durera jusqu’à l’été indien, Dushan faisant des va-et-vient et Stefano qui effectuera une garde à vue sans m’expliquer les faits, tout en sortant des liasses de billets de sa poche. Encore une fois, rien pour moi, que de l’alcool.
Je suis suffoqué comme jamais dans mon studio, toujours la peur au ventre de me faire frapper, jamais le sentiment d’être libre. Mais vous le comprenez-bien, l’alcool décide de ce destin… jusqu’à aujourd’hui ! La MDMA aussi puisque je finirai en cellule de dégrisement à écouter du Barry White avec les policiers avant d’entrer dans ma cage. Heureusement, j’étais bourré, sinon la D m’aurait rendu dingo dans un périmètre de 5 m2.
Au retour du commissariat, Stefano m’assène un coup de poing aux dents, mais enfin un coup de grâce pour moi : c’est mon agresseur qui se blesse tandis que je l’accompagne à l’hôpital pour qu’il évite une infection. En route, il immerge dans un Franprix à Notre-Dame-des-Champs et dérobe maladroitement une cannette de bière et une demi bouteille de vin. Le responsable nous poursuit «Voilà, voilà, je n’ai pris que ça», s’emporte un Stefano au bord des larmes. Il rend la Heineken mais garde le bon bordeaux que l’on déguste avant d’entrer à Cochin. Mais il y a le fameux savoir-vivre dont j’évoquais. Après un rapport positif du docteur, mon frérot m’emmène au jardin du Luxembourg où on s’allonge sur la pelouse entouré de jolies bourgeoises avec un pack de bières acheté régulièrement grâce à un virement de mon père qui recommence à me faire confiance. Ah c’est tellement plus simple de mentir quand on est loin. Et de souffrir. La collaboration serbo-bulgare trop bruyante et contraignante pour les voisins se terminera par la fermeture définitive de la porte du pauvre studio loué par une avocate, ironie du sort. Mais mon frère slave n’aime pas les échecs (Dushan a disparu de la circulation). Mon père revenu enfin à Paris avec les difficultés à voyager durant cette période décide de tenter l’hôtel pour moi à quatre-vingt euros la nuit. Je me sens rassasier dans cet établissement trois étoiles à l’ancienne. Pas pour longtemps car Stefano m’appelle tard le soir et je n’ose jamais ignorer ou bloquer un appel. Il se présente devant l’hôtel dans le sixième arrondissement de la capitale, dort une nuit mais sera interdit d’y entrer le lendemain… trop alcoolisé. Je serai aussi jeté dehors par le veilleur. Et ce tigre des Balkans a la brillante idée de revenir au studio pourtant verrouillé. Il est une heure du matin et, bourré aussi, je le suis dans son délire. Il défonce cette porte décidément à l’agonie, on s’allonge sur le matelas dans le bail qui respire enfin. A six heures du matin, six policiers nous réveillent. «Est-ce qu’on peut dormir encore un peu ?», supplie comme il le peut Stefano. Zéro négociation avec la BAC. On est arrêté aux aurores. Les menottes aux main, je dois descendre les six étages, croisé le gardien au bout de sa life, et sortir dehors devant les piétons et les automobilistes prêts à aller travailler. Mais contrairement à Stefano qui m’ordonne de dire que c’est moi qui détenais l’idée et le doublon de la clé (qui ne marchait pas car la serrure avait été changée), je passerai la garde-à-vue à l’hôtel Dieu, hôpital situé en plein cœur de Paris. Devant l’O.P.J., je la fais comprendre avec conviction que je suis en manque d’alcool, que je tremble (ce qui est vrai) et que je risque de faire une crise d’épilepsie. J’ai donc le droit à mon Valium toutes les trois heures dans un cadre moins hostile et même reposant. Le lendemain, le Monsieur de l’Office Police Judiciaire m’interroge et son premier constat m’amuse : «Vous devrez être bien shooté avec ces Valium». Drôle mais en plus bénéfique pour moi dans la décision finale du magistrat en février 2021 : relax, car manque de preuves et interrogation sous l’influence d’un médicament addictive pour le suspect. Stefano pouvait me remercier, j’avais monté tout le dossier avec un avocat commis d’office. Comme quoi, parfois l’argent ne fait pas tout.
À ma sortie de l’hôtel Dieu, je rejoignais de nouveau Stefano devant le PMU mais je retraversai la rue aussitôt pour ne plus le revoir jusqu’au tribunal. C’est là que je découvre la rue, c’est-à-dire transporter des grosses valises (dont je laisserai deux abandonnées), faire la manche cette fois-ci pour manger et dormir dans un hall d’immeuble universitaire, dans les escaliers des urgences psychiatriques qui ne voulaient pas me prendre estimant que «ce n’est pas un hôtel» (ils n'avaient encore rien compris) et au jardin de Luxembourg où je serai réveillé par les pompiers car je tremblais de froid en descente d’extasy. Finalement, alors que suis de nouveau sans téléphone, je décide de stopper l’hémorragie. Je reprends des forces et je cherche un hôtel pas trop cher en plein reconfinement. Dis-moi Dieu que ce n’est pas un hasard que l’hôtel Avenir m’ait choisi à Convention dans le quinzième arrondissement ! Je suis surpris que Sarah accepte que j’appelle mon père depuis le fixe pour effectuer un virement à distance de quarante euros la nuit petit déjeuner compris. Cette charmante kabyle me souhaite la bienvenue. Là, j’ai géré.
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