Tous ces mots
Tous ces mots m’appellent, crevant ma solitude, happant mes temps morts, impossibles sirènes, invisibles champs de soleil, ils s’offrent en embuscades, silhouettes évanescentes des peuples de phrases insaisissables, fantômes d’histoires prodigieuses ou spectres fantasques de suggestions imparfaites, je les devine folâtres et taquins, à deux doigts de ma compréhension et pourtant si loin de ma perception.
Esquifs chatoyants, sur des vagues turbulentes, ils s’approchent de la grève, semblent désirer s’ancrer sur le sable et s’enfuient sous l’horizon, laissant s’échouer derrière eux le radeau sombre du vieux Charon. La Mort ne peut les gober, cruels voyous trop lestes pour être condamnés aux syntaxes austères, et doit se contenter, une énième fois, d’abandonner ses velléités à enchaîner ces exaspérants insoumis.
Je les ferai chanter, ces gais lurons impertinents ! Loin des amarrages et des ports aux cafardages trop calmes, je les malmènerai, ces youyous de fantaisie, dans les tempêtes et les vents rageurs, jusqu’à ce qu’ils portent ma voix sur les terres éteintes. À quoi bon posséder le pouvoir de naviguer si ce n’est pour s’immiscer entre les courants rigides et ébranler les rives engorgées ? Chacun d’eux est figure de proue, espadon ou cheval de bataille, ciselé pour vaincre toutes les réticences mal équarries. Je serai leur Éole, ils formeront mon armada, porteront mon Marco Polo, mon Christophe Colomb, voire mon Surcouf au besoin. Ce ne sont que des soldats ; ils redessineront les mers, les côtes et les rivières. La Terre, si je leur ordonne.
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