Papa.

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Papa. J’ai envie de lui écrire le matin, un sms rapidement, du genre “hello comment va aujourd’hui ?”, … j’ai envie de passer chez lui à l’improviste, j’ai envie de lui téléphoner parfois, de lui annoncer que j’ai acheté un appartement, que je me suis fait tatouer, … mais je ne peux pas. Quelque chose m’en empêche, quelque chose que même au bout de trente ans je n’ai pas réussi à surmonter. Ton mauvais caractère, papa, et la peur qu’il a créé en moi.


Il m’aime, je le sais, je suis tout pour lui. Il me l’a dit. Plusieurs fois. Mais de cet amour découle une autre force : je suis aussi celle qui peut lui faire le plus de mal. Au monde. De tous. Je suis sa plus grande déception, sa plus grande source de douleur, en plus d’être sa plus grande fierté.Je le sais, il me l'a dit. Sa plus grande déception. Toujours.


Il a toujours voulu le mieux pour moi, et a toujours essayé de me le donner. Mais il ne s’est jamais demandé si le meilleur de ce qu’il voulait pour moi correspondait à ce que je pensais moi être le meilleur pour moi-même. Alors voilà, on a passé trente ans à ne pas se connaitre. “Tu es un monstre”, un jour m’a-t-il dit. Peu importe le contexte. “Tu es un monstre”. Je suis un monstre ? Vraiment ? J’imagine à peine la profondeur de sa douleur pour que ces mots si durs aient pu sortir de sa bouche.


J’ai pas voulu, papa. J’ai pas voulu te faire du mal, j’en suis tellement désolée. Mais j’essayais de me dépatouiller dans ma vie, j’essayais de me faire une place dans ce monde, et c’était tellement dur… quelqu’un a dû en faire les frais, ç’a été toi.


Mon père me fait peur.
Chaque mot que je prononce, je le tourne sept fois dans ma bouche avant de le lui dire, car j’analyse tout ce qu’il pourrait en sortir de mauvais… toutes les critiques qu’il pourrait me faire… Je n’ose pas m’affirmer, je n’ose que trouver des mots neutres qui j’espère ne provoqueront pas son courroux…

Chaque vêtement que je porte, j’essaie de faire en sorte qu’il soit neutre, un jeans droit, un pull large, car je ne supporte pas son regard sur moi. “Tu as grossi”, “”ton pull est moche”, “tu as des baskets de débile”, “ta jupe c’est un rideau de douche”... (je n’ai plus jamais remis de jupe en sa présence après cette dernière remarque, qui a eu lieu vers 1997).

Quand je vais chez mon père, je n’ose pas lire ce que je veux, car si ma lecture ne lui convient pas, je reçois des remarques désobligeantes. Je n’ose pas écouter de la musique. Je n’ose même pas utiliser mon téléphone portable car ça l’énerve qu’il ne soit pas le centre de mon attention.
En bref, je suis totalement bridée, pas moi-même, et je hais ça.
Ca me provoque une telle tension intérieure qu’en partant de chez lui, je pourrais hurler, frapper, détruire… C’est difficile à contenir.


Difficile à contenir. Mais je continue d’essayer. Je continue d’essayer parce que j’aime mon père. Il est de ma famille, c’est mon papa, et je l’aime. Pour tout ce qu’il fait pour moi, même s’il le fait en le détruisant.
Mon papa m’a emmenée en vacances au ski toute ma jeunesse.
Il m’a toujours donné l’argent dont j’avais besoin.
Il s’est toujours arrangé pour que je n’aie rien à lui reprocher matériellement, et je l’en remercie. Mais bordel, c’est pas du matériel que j’avais besoin, c’était de la tolérance, de la bonne entente, pas ce climat de peur constante !


Mon meilleur souvenir avec toi papa… je ne m’en rappelle pas. Pourquoi ? Parce que je refuse de penser à toi, je refuse d’essayer de me rappeler, parce que je veux t’occulter de ma tête, je ne veux pas avoir ton image devant les yeux, c’est trop douloureux. Mais je n’y arrive pas. Mon meilleur souvenir… quand j’étais toute petite, et que j’assistais aux repas que tu faisais avec tes amis, ces grandes tablées d’amis, et je t’admirais tellement, je me disais, “quand je serai grande moi aussi je serai comme mon papa, avec plein d’amis…”


Mon pire souvenir avec toi papa… idem. Idem. Je ne veux pas me rappeler. Je veux oublier. Mais je n’y arrive pas. Mon pire souvenir. Quand tu as appris que j’allais être infirmière. La seule chose pour laquelle tu t’es réjoui, c’est de te dire (et de me dire) que si un jour tu seras grabataire, au moins je pourrai “agir”. Dans le sens, abréger ta vie, ne pas te laisser souffrir. Voilà. Merci papa. Tu me mets une pression ultime, là. Je te hais pour ça.


Je souffre tellement de cette situation. Tellement. Parce que je n’arrive pas à me débarrasser de cette amour que j’ai pour lui. Je n’arrive pas à m’en foutre, je n’arrive pas à passer outre, je n’arrive pas à laisser couler, … tout ce que je voudrais c’est réussir à lui faire comprendre à quel point je l’aime et à quel point je voudrais que tout se passe bien entre nous. Mais ça n’arrivera jamais. Je le sais. Ca ne m’empêche pas de toujours espérer, et donc toujours souffrir, mais je l’aime mon père, et je ne laisserai pas tomber. Je continuerai à essayer.
Je continuerai à essayer de te ramener des cadeaux de Noël qui ne te plairont pas.
Je continuerai à essayer de t’annoncer des bonnes nouvelles que tu détruiras en un mot.
Je continuerai à essayer de te raconter des bribes de ma vie que tu vas dénigrer.
Je continuerai à essayer de faire des efforts envers toi que tu me feras regretter en quelques minutes.


Quand j’avais 16 ans, je me disais, “allez, quand j’aurai 18 ans je me libérerai de son joug, ça ira”... Quand j’avais 18 ans, je me disais, “ok, je suis encore jeune, à 20 ans ça ira mieux…”
Etc, etc… ça n’a jamais cessé… maintenant j’ai 30 ans… et je sais que toute ma vie sera comme ça, avec tes colères, mes peurs, jusqu’à ce que l’un de nous s’en aille.

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