Chapitre 1 : Chemin de fer

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 Quel mal de chien ! Après presque deux ans, je ne m’habitue toujours pas. En plus de m’avoir défigurée, ce truc est en train de me bouffer de l’intérieur. Malgré tous mes efforts pour le dissimuler, il continue de me narguer avec sa longue série de bagues argentées sur chacune de mes dents. Rien à faire, je subis. Et à chaque fois que je sors de chez l’orthodontiste, la nuit qui s’ensuit est terrible tellement je souffre.

 Mais ce n’est rien face aux incessantes moqueries de ma sœur Sabrina. Et croyez-moi tout y passe : « chemin/masque de fer », « sourire d’enfer », ou bien encore « robocop ». La peste ne manque pas d’imagination. Néanmoins, je ne me laisse pas abattre et je respecte à la lettre les directives dentaires. Aussi, je porte assidument mes élastiques, et lave mes dents trois fois par jour. Bien évidemment, il serait impensable de nettoyer mes précieuses quenottes dans l’enceinte du collège. Les autres se moqueraient de moi et me prendraient pour une maniaque de l’hygiène buccale — ce qui n’est, soit dit en passant, pas totalement faux.

 Alors, j’ai fait des pieds et des mains pour manger chaque jour chez ma tante Mireille, dite " Mimi ", qui habite à deux pas de l'école. Et depuis maintenant deux ans, du lundi au vendredi, je déjeune chez elle et lave soigneusement mes dents tout en imaginant le jour miracle où j’enlèverai cette foutue ferraille.

 Aujourd’hui, comme chaque vendredi, nous savourons des palets de légumes et j’adore ça. D’ailleurs, je crois que c’est un peu pour ça qu’elle en prépare chaque semaine. En revanche, ce qu’elle ne sait pas, c’est que c’est idéalement mou pour mes gencives qui subissent en ce moment même une véritable guerre froide. Mastiquant méticuleusement, je prends soin de ne pas me coincer des bouts de légumes dans l’un de mes élastiques et je songe au cours redoutable de cette après-midi : Anglais. Une nouvelle fois, je dois réciter ma leçon à l’oral et parler devant tous mes camarades de classe…

 Tels des félins qui guettent leur proie, je les imagine déjà me regarder avec leurs yeux dévorants, n'attendant qu'une chose : que je craque.
Le pire c’est qu’à chaque fois que je passe au tableau, je vire au rouge et il est quasi impossible d’éteindre le feu qui brûle mes joues.
Cette pensée s’intensifie lorsque j'entrevois l’aiguille de l’horloge pointer dangereusement du côté obscur.

Bon sang, je vais mourir. Arrêtez tout, je ne veux pas y aller…

 — Marie, il est bientôt l’heure de partir.

 À ces mots, je regarde désespérément ma tante et me prépare à la catastrophe. J’enfile cette affreuse parka dont je me passerais bien, je l'embrasse et quitte tristement son coquet appartement.

 Lentement, je descends les innombrables marches, et j’occupe mon esprit à essayer de les compter. Quarante-deux, quarante-trois, quarante-quatre... Je sors de l’immeuble et traverse la rue piétonne. Plus que 100 mètres avant le supplice. Silencieuse, je répète ma leçon dans ma tête et encore une fois, je bute sur le même mot. Ça s’annonce mal, terriblement mal…

 Beaucoup trop vite à mon goût, j’arrive devant cet établissement scolaire particulièrement austère. Je franchis le grand portail et gagne ce préau délabré par le temps. Les épaules voûtées, je suis prête à…

 D’un seul coup, je suis stoppée net par deux furies qui se dirigent droit sur moi. J’ai à peine le temps d’entrouvrir la bouche qu’elles me hurlent tout en me chuchotant — oui c’est possible :

 — Marie, Mariiiiie tu ne vas pas en croire tes yeux ! Je te jure c’est diiiingue !

 — Mais qu’est-ce qui vous arrive ?

 Ni une ni deux, mes deux amies m’embarquent vers le banc le plus proche, me forcent à m’asseoir et me supplient de regarder vers un supposé groupe de … garçons.

 À vrai dire, de là où je suis je ne vois strictement rien. Mais je suis curieuse de comprendre le pourquoi d’une telle euphorie. Sans avoir le temps de poser la moindre question, Audrey se lance dans une véritable tirade.

 — Je n’avais encore jamais vu un siii beau visage. Marie, je te jure, sur la tête de Brad Pitt, c’est un ange. Et ces yeux, oh ses yeux ils sont tout simplement magnifiiques. Je crois que j’ai un coup de foudre, que dis-je, c’est un coup de foudre. Je suis amoureuse. Mariiie, mais regarde, ce n’est pas humain d’être aussi beau. Le pire, c’est qu’ils sont plusieurs à être comme ça. S’il n’y en avait qu’un, mais là ils ne sont pas loin de cinq. Mais, lui, LUI, luiiiiiiiiiiii ! JE L’AIME.

 Bon ok, j’ai oublié de vous dire, Audrey est une grande romantique et s’emballe un peu trop vite. Mais là, elle me fait rudement peur. Pour me rassurer, je regarde Agathe qui ne se laisse jamais méprendre. Malheureusement, cela ne me réconforte absolument pas. Elle est aussi obnubilée que sa consœur. Elles m’inquiètent sacrément les deux.

 Interloquée, je les regarde... Perplexe. D'un coup, leur visage change. Une bande de garçons se dirige droit vers notre trio. L’un d’entre eux s’avance vers nous et nous lance un :

 — Salut !

Le plus naturellement possible. Je crois que dès cet instant, mon coeur s'arrête.

 — Marie Horstad au tableau. Mademoiselle ? Marie enfin, réveillez vous!

 Après quelques coups de coude de ma voisine, je réalise enfin que je suis en classe d’anglais. Bon sang, mais que s’est-il passé depuis tout ce temps ? IL m’a parlé, il m’a dit bonjour, il est nouveau, et il est en classe de sport et il ...

 — MARIE !

 — Pardon Madame.

 — Vous êtes en plein rêve ou quoi ? Dépêchez-vous de réciter votre leçon !

 Bien sûr Madame, je nage en plein rêve, ai-je envie de répondre. Mais, je ne suis pas en position de force. Comme Jeanne d’Arc allant au bûcher, je gagne à contre cœur le tableau noir et récite piteusement ma leçon. Une nouvelle fois j’essuie les nombreuses critiques de la professeure d’anglais et regrette amèrement le jour où j’ai accepté d’aller en classe « anglais renforcé ». Quelle idée !

 La sonnerie sonne. Je retrouve Andréa, ma meilleure amie de toujours. Avec ses grands yeux verts, elle me regarde interrogative. Même avec cet air-là, elle est absolument radieuse. Elle m’impressionne de beauté, et pourtant je ne ressens aucune once de jalousie. Je me dis simplement que la vie est comme ça, il y a des gens naturellement beaux, et d’autres un peu moins…

 Bien évidemment, je fais partie de la seconde catégorie… Mes yeux ressortent dangereusement, mon cou est affreusement long, ma poitrine est inexistante, mes pieds ressemblent à ceux des sœurs de Cendrillon et l’on peut faire du tremplin sur mon nez... Avec ça, il n’y a pas grand-chose à faire. Et pourtant, Andréa ne cesse de me regarder comme si j’étais la septième merveille du monde. Je ne comprendrai jamais. Enfin, il est temps de lui expliquer pourquoi j’ai ce sourire béat sur le visage, car d’aussi loin que je me souvienne, elle ne m’a jamais vu de la sorte, pas même en maternelle avec mon premier émoi pour un certain Victor.

 — Tu as une drôle de tête aujourd’hui. C’est à cause de l’anglais ? me demande-t-elle.

 — Peut-être, j’étais un peu stressée.

 — C’est bizarre, on dirait qu’il y a autre chose…

 Comment lui mentir, elle me connait par cœur. C’est fou cette facilité qu’elle a à me déchiffrer de la sorte. Aussi, je me lance.

 — Tu vas me prendre pour une folle Andie, mais je crois avoir vu un ange.

 — Tu es tombée sur la tête ou quoi ? Soit un peu plus explicite Ma’ ! s’empresse-t-elle.

 — Après manger, Audrey et Agathe ont débarqué vers moi telles deux follasses pour me dire qu’il y avait de nouveaux élèves, un groupe de garçons. Tu connais Audrey, elle tombe amoureuse aussi vite que Carrie Bradshaw (cf. Sex and the City) change de partenaire. Mais là, elle était complétement tarée. J’ai à peine eu le temps d’ouvrir la bouche que ces garçons sont venus vers nous. Et là, je l’ai vu…

 — Wow ! Ma’ ! Enfin, tu parles de garçons, j’ai cru que ça n’allait jamais arriver. Merci mon Dieu.

 — Ce n’est pas un simple garçon Andie. C’est lui !

 — Wow, t’as pris un éclair en pleine tête ou quoi ?

 — Il m’a parlé, tu imagines, à moi. Aucun garçon ne vient me parler habituellement ou alors simplement pour me demander une feuille.

 — N’importe quoi, tu es trop dure avec toi-même. Mais qu’est-ce qu’il t’a dit ?

 — " Bonjour ", mais ce bonjour c’est le plus beau que j’ai jamais entendu.

 — Ah… et a-t-il dit autre chose ? À quoi ressemble-t-il ?

 — Non, je ne crois pas. Je n’ai fait que le regarder. Il est blond, mince. Il a un visage parfait, un regard à tomber, une jolie faussette. Il est parfait Andie.

 — Ah oui quand même. Et Audrey a le béguin pour le même garçon que toi ?

 — Non je ne crois pas, car lorsqu’elle m’a parlé, elle a évoqué des yeux bleus. Et le mien a les yeux marrons.

 — Le tien ? On en est déjà là ! Eh bien j’ai hâte de voir ça !

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