Chapitre 4 : La douche froide

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 En sortant de la salle de permanence, une ribambelle de filles m’attende patiemment. Dès lors qu’elles m’aperçoivent, elles se jettent quasi sur moi.

 — Tu le connais ?

 — Pourquoi il s’est assis à côté de toi ?

 — Comment il s’appelle, s’il te plait dis-le moi ?

 — Que voulait-il ?

 — Oh Marie, tu as tellement de chance.

 — Il est encore plus beau de près.

 — Je suis amoureuse.

 Encore choquée de ce qui vient de se passer, je ne sais plus où donner de la tête. Je suis sonnée et je suis incapable de répondre convenablement. Impatientes, mes camarades me lancent des regards furax. Lentement, je regagne mes esprits et je leur explique tout sans omettre le moindre détail. À la fin de mon récit, elles m’acclament telle une reine et crient d’hystérie quand je leur dis que nous avons échangé nos numéros de téléphone. Comme elles, je suis littéralement effarée et mon cerveau a du mal à absorber cette information. Même si nous ne le disons pas, nous pensons toutes la même chose : pourquoi un garçon comme lui serait intéressé par une fille comme moi ? C’est vrai quoi, je ne suis pas belle… Et malheureusement au collège, personne ne dira le contraire, à part Andréa peut-être. D’ailleurs, c’est la seule à être restée en retrait…

 En une journée, je suis passée de totalement insignifiante à la fille qui était assise à côté du plus beau garçon du bahut. Cette popularité me donne des vertiges. Je nage en plein rêve... Pour autant, je suis tout de même contente de rentrer chez moi. Aujourd’hui, c’était beaucoup trop intense pour moi.

 Enjouée, je décide de me plonger dans un grand bain d’eau chaude. Pleine d’espoir, je dépose mon téléphone portable non loin de la baignoire et je l’imagine s’allumer pour m’annoncer la réception d’un nouveau message. Je crois que mon quota de chance est épuisé, il faut que je retrouve la terre ferme, sinon la descente risque d’être vertigineuse.

 Chassant cette pensée, l’écran s’éclaire, ma vie s’illumine, c’est lui. Mon dieu, mon cœur bat, il va décoller. Est-ce que je le lis tout de suite ? Non, j’attends. Ça ne va pas non ! Ni une, ni deux, je déverrouille mon téléphone et lis :

Numéro inconnu : Salut, c’est Thomas. Ça va ?

Question simple, je peux m’en sortir. Réponse simple :

Moi : Ça va super et toi ?

Pas bien originale, mais mes émotions ne supporteraient pas l’originalité.

Thomas : Top. Dit tout à l’heure je voulais te parler d’un truc mais je n’ai pas osé. Je peux t'en parler ?

Choc émotionnel, j’explose, j’ai chaud. Mais que me veux ce garçon ? Je ne réponds pas tout de suite. Je ne suis pas prête pour ce qui va suivre.

Thomas : T là ?

Oulalala il faut que je réponde…

Moi : Oui bien sûr vas-y.

Comme me dit souvent ma sœur ainée Élisabeth : « toujours rester digne ».

Thomas : J’ai eu un coup de cœur pour une fille et je crois qu’elle est dans ta classe, mais je ne sais pas comment elle s’appelle. J’ai pensé que tu aurais pu m’aider. Ça te dirait ?

 Est-ce une blague ? Je ne sais pas, mais à ces mots je sais déjà que ça ne sent pas bon. Ai-je la naïveté de croire que ce garçon pourrait s’intéresser à moi ? Je dois avouer en toute objectivité que non. Dès le début, je savais que les dés étaient pipés. Simplement, pour une fois, j’ai voulu croire que moi aussi je pouvais avoir de la chance. Mais non, la chance sourit aux gens jolies. Et toi ma fille, tu es tout sauf jolie…Comme toujours, je suis et resterai la bonne copine.

Tristement, je réponds : Mission acceptée. Dis-moi un peu à quoi elle ressemble ? Je serai ravie de t’aider ;).

Thomas : Super je savais que je pouvais compter sur toi :D

 Tu m’étonnes, les filles comme moi ne diraient jamais non à un gars comme toi. On est bien trop gentilles pour refuser et bien trop moche pour espérer.

 La discussion s’ensuit de la sorte jusqu’à tard dans la nuit. Elle tourne principalement autour de cette fille brune, élancée, déjà formée pour son âge. Elle s’appelle Déborah, c’est ma voisine de classe et depuis ce jour je promets de la détester à tout jamais.

 Le lendemain matin, je suis chargée d’une mission : avouer à Déborah que mon amour perdu a le béguin pour elle. Sans entrain, je profite de l’heure de mathématiques pour annoncer l’heureuse nouvelle à cette fille qui paraît le double de mon âge. Flattée — comme je le redoutais — elle sait bien évidemment de qui il s'agit. Il ne lui faut pas plus de 5 secondes pour répondre favorablement à la demande du beau blond. Instantanément, mon cœur en prend un coup, mais je ne laisse rien paraître et j’envoie le message à son destinataire.

Moi : Affaire conclu, Déborah aimerait sortir avec toi ;).

La réponse de Thomas fuse : Super ! Je savais que je pouvais compter sur toi :D :D :D.

 Sans déconner, je ne suis bonne qu’à ça, arranger les coups et éloigner mes propres rêves.

 Deux jours plus tard, je les vois au loin, main dans la main, monter les marches de l’escalier pour regagner nos classes respectives. Tout sourire, ils se regardent comme deux amoureux transi… Et moi je les observe au loin comme une spectatrice au fond d’une salle bien obscure.

 Andie ne cesse de critiquer Déborah, mais je ne dis rien… Qu’aurais-je pu faire face à elle ? J’ai déjà eu de la chance qu’il vienne me parler. D'ailleurs, depuis qu’il est avec cette pimbêche — oui j’en suis là — il ne m’a plus adressé la parole.

 Ce soir, en rentrant du collège, mes parents ne cessent de se disputer. Même si cela reste coutumier, aujourd’hui c’est différent. Ils sont presque à s’entretuer.

—Tu crois que je ne te vois pas courir après cette fille, ça fait des mois que ça dure !

— Arrête Giséle, tu dérailles. C'est toi qui m'oblige à dormir ailleurs.

— Tu me prends pour une imbécile. C'est toi qui m'a enfermé dans cet asile de fou, me faisant passer pour folle. Mais je suis pas folle ! Tu mens comme tu respires.

— Lâche ce couteau Giséle ! Bon sang !

VLAN —Le bruit d'un corps qui heurte quelque chose.

CRRRRK — Un objet qui se brise sous la pression.

 Ma meilleure arme : fuir !

 Ni une ni deux, je cours rejoindre Célia, mon amie d’enfance, celle qui habite à deux pas de chez moi.

 Sans surprise, notre soirée tourne principalement autour de Thomas. Avec elle, je ne risque rien. Elle n’est pas dans mon école, aussi, rien de ce que je dis ici ne sera divulgué. Chez elle, je relâche un peu la pression, mais ne dis-rien concernant la maison. Claudia, la mère de Célia, qui me considére quasiment comme sa fille, ne me propose même pas de dîner avec eux. Mon assiette est déjà posée à sa place, autour de cette famille qui n'est pas la mienne. À côté de Célia, je suis entourée de Claudia, Nicolas, le petit frère et Frédéric, le beau-père. Apaisée, je me nourris de cet atmosphére comme si c'était ma propre vie. Les rêves n'ont jamais tué personne, si ?

 Il est prêt de vingt-deux heures lorsque je regagne la maison. Depuis que j’en suis partie, je n’ai eu aucune nouvelle de mes parents. Aucun appel de leur part. Rien. Cela ne me surprend pas. Depuis que nous habitons la maison qui a paraît-il — le plus beau jardin du quartier — je vais et viens comme bon me semble. Personne ne s'en inquiéte. Alors, jen profite pleinement. Je savoure cette liberté , même si elle est née de leur indifférence.

 Á six ans, je sortais déjà dans les rues de mon lotissement jusqu’à tard dans la soirée. À 10 ans, je pédalais jusqu’au supermarché de la ville voisine. À 15 ans, je déserte totalement la maison sans en informer mes deux bourreaux.

Je pousse la porte d'entrée. L'atmosphère est palpable. Pas un cris. Pas un mot. Pas même un souffle. Plus rien ne bouge. Et je le vois enfin : mon père, dans tous ses états. Mais où est donc ma mère ? Je la cherche des yeux. Et je la vois, à terre, inconsciente, complètement ailleurs. D'aussi loin que je me souvienne, je ne l'ai jamais vu dans cet état là. Elle est affaiblie et se recroqueville à même le sol. Je reste figée, abasourdie :
— Qu'est-ce qui se passe ?

Il me répond, sans détour, d'une voix glaciale :

 — Ta mère a tenté de se suicider.

 Chaque mot m’arrive aussi violemment qu’une bonne paire de claques. Sans réfléchir, je prends le combiné du téléphone fixe et appelle ma sœur ainée, ma sauveuse, Élisabeth.

 Plus tard, dans la nuit, elle nous rejoint. Ma mère est dans son lit, complètement assommée par les nombreux médicaments qu’elle a ingurgités. Ma grande sœur essaie, tant bien que mal, de lui faire entendre raison, mais rien y fait, elle parle de quitter ce monde. Pour elle, plus rien ne la retient.

 À ce moment-là, je n’éprouve aucune pitié, je crois même que je la hais !

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