Chapitre 9 : Strike
Lundi 18 octobre 2004
Mon cher journal,
Je ne suis pas née de la dernière pluie, même si parfois j'aimerais m'en contenter. Mais voilà, il est une chose, je ne suis pas naïve. J'ai beau être laide, gentille, intello, ou même de mauvaise humeur, je ne suis pas neuneu et je sens le poignard qui commence à me transpercer le dos. Pourquoi je dis ça ? Mais attend, prépare toi cher journal, je vais me faire un plaisir de te le dire.
Comme 2 et 2 font 4 ou comme Harry Potter est la meilleure saga du monde, les gens jolies se mettent ensemble. C'est ainsi, c'est d'une logique implacable. Alors bien sûr, je ne vais pas te le rappeler, tu le vois assez bien chaque jour lorsque j'écris sur tes pages, la nature ne m'a pas gâté... Sauf que certaines personnes que je côtoie le sont. Prenons par exemple, ma sœur Sabrina, ma voisine Cécé ou bien mon amie Agathe. Elles sont belles ! Mais certains sont carrément canons, et c'est le cas de ma meilleure amie Andréa. De ce fait, elle ne sort qu'avec les plus beaux garçons du collège et même parfois des biens plus grands qu'elle. Et là si tu n'es pas trop bête, tu me vois venir. Comment ça non ? Attends voir, je vais te le dire moi ! Il me semble t'avoir déjà écrit que Thomas était la personne la plus incroyable du monde. Tu ne crois pas que ces deux-là vont finir par se rapprocher ? Le pire dans tout ça, c'est que je le sens arriver...
La seule chose qui sauve mon cœur c'est que Théo est le meilleur ami de Thomas, et aussi l'ex d'Andréa. Et il est bien une règle : on ne vole jamais l'ex d'un ami ! Ouuuuuuuuf ! Sans ça je voyais bien l'orage arriver. Pourtant, je ne suis pas si rassurée que cela... Et d'un autre côté je me demande comment elle pourrait me faire cela à moi, sa best friend for life.
Suite au message de Thomas, il est inutile de dire que je n'ai pas bien dormi... Lorsque j'arrive au collège, je ne pense qu'à retrouver mon lit. Et pourtant, il me reste assez d'énergie pour imaginer ma prochaine discussion avec l'édit de mon cœur.
La première moitié de la matinée est terriblement longue, je souffre de fatigue et je ne savais même pas que cela pouvait exister. Le cours de mathématiques m'achève littéralement, mais comme une sauveuse, la sonnerie retentit enfin et me libère.
À l'heure de la récréation, j'espère que Thomas viendra me retrouver dès qu'il me verra. Le premier pas ne fait pas partie de mon mode de vie. Aussi, je préfère attendre et espérer que de foncer et me fracasser la tête contre un mur.
Accompagnée de mon acolyte Andie, nous décidons de rejoindre le préau pour manger un petit encas. Je fais quelques pas et je le vois de loin, lui et sa beauté naturelle. Je fais comme si de rien n'était et j'attends qu'il vienne à moi, mais il ne semble pas vouloir déloger de là où il se trouve. C'est-à-dire au milieu de dix bécasses qui roucoulent à son contact. Mon humeur s'assombrit, comme le temps qui devient pluvieux. S'ajoutent à cela, mes cheveux lissés de ce matin qui commencent à se rebeller dangereusement. Pendant ce temps-là, mon amie me raconte son week-end, mais je ne l'écoute guère et elle finit par le remarquer.
— Je t'ennuie Ma’ ?
— Non, excuse-moi j'ai mal dormi. Tu disais ?
Habituellement, je lui aurais raconté le message de Thomas, mais aujourd'hui quelque chose m'en empêche et c'est bien la première fois que je lui cache. Elle profite de mon silence pour m'étaler sa séance shopping du samedi et toutes ses petites emplettes. Bizarrement, je suis jalouse et ça aussi c'est une première. La récréation devient elle aussi trop longue et je ne me fais pas prier pour rejoindre mon cours de Français. Pendant près de deux heures, je bois les paroles de ma professeure et écoute attentivement la leçon. Il faut bien que je récupère ma passable note sur la lecture de Victor Hugo. Un 8/20 en Français ne va pas plaire à mon père, d'autant plus que c'est la matière dont j'excelle le plus habituellement.
À midi, je suis soulagée de retrouver ma tante Mimi. Enfin, un moment de joie ! Même si nous ne faisons rien de spécial, je profite de ce moment de répit pour souffler.
Devant le miroir, en me lavant les dents après un délicieux repas, je me regarde avec insistance. Dans mes yeux, je perçois quelque chose que je n'avais jamais remarqué, mais je ne saurais dire quoi. On dirait que j'ai perdu quelque chose et que je l'aurais remplacé par une autre. Ce changement ne me plaît pas forcément et pourtant il semble nécessaire. Troublée, j'arrête de me regarder et me dis que ma laideur doit me rendre complètement dingue. Je dois sûrement posséder les gênes de ma mère. Aussi, je promets de ne plus me regarder longuement dans un miroir.
Avant de partir, ma tante m’interpelle et me tend un petit album photo en cuir marron.
— Donne-le à ton père, s’il-te-plaît me dit-elle. Il ne prend jamais la peine de venir voir sa petite sœur.
Attristée, je lui promets de le lui remettre le soir même. Puis je fourre le vieux carnet dans mon sac, sans ménagement.
Ma pause douceur prend fin et je regagne la cour de l'école. En arrivant, un effroyable spectacle s'offre à moi. Au loin, je vois mon amie proche, beaucoup trop proche de ... Thomas. Bon sang, comment cela a pu arriver ? J'avance lentement jusqu'à eux... Ils ne me voient toujours pas. À moins de 10 mètres d'eux, elle finit par me remarquer, elle se retourne et s'écarte instantanément de lui.
Dès lors, j'enfile mon plus beau masque, le "comme si de rien n'était" et leur souris. Tous deux m'accueillent chaleureusement, mais Andréa ne reste pas et prétexte une envie soudaine d'aller aux toilettes. Seule avec Thomas, un courage inconnu s'empare de moi :
— Tu voulais qu'on discute ?
Assez surprit, il me répond :
— Oui en effet, j'en discutais avec Andréa à l'instant. Ce serait cool, qu'on se voit tous les 4 un week-end avec Théo.
Perplexe, je réponds par la positive et c'est ainsi que l'on se met d'accord pour un bowling le samedi suivant. Le temps pour nous de demander l'accord à nos parents. Me concernant, je n'en ai même pas besoin. Mon père n'est jamais là le week-end et lui comme moi on se fiche de ce que l'autre peut faire.
En cours de SVT, je retrouve Andréa qui se comporte bizarrement, mais je ne lui pose aucune question et lui dis qu'elle est invitée à une partie de bowling. Timidement, elle me sourit et me confirme qu'elle sera là. J'écris à Thomas et lui envois la nouvelle. Instantanément, il me répond par un pouce. La journée se poursuit péniblement. Le soir en rentrant chez moi, je me douche, mange et m'abandonne dans mon lit pour une belle nuit sans rêve.
Les jours passent et se ressemblent, si ce n'est que je n'ai jamais revu Thomas et Andréa ensemble. Cette dernière semble être redevenue à la normale, ce qui n'est pas pour me déplaire.
La veille de notre sortie "bowling", je suis prise d'une crise de panique, je crains d'être ridicule et de ne plus savoir jouer. La dernière fois, je devais avoir sept ou huit ans et c'était avec les parents de Célia. Je n'étais pas mauvaise, mais depuis les choses ont dû probablement changer.
Pour me distraire, je réfléchis à ma tenue vestimentaire, mais ce n'est pas glorieux... J'appelle Andréa et lui demande de l'aide. Je n'ai rien à me mettre et espère qu'elle aura un petit haut à me prêter. Nous passons le reste de la soirée au téléphone et je finis par retrouver un rythme cardiaque à peu près stable.
Une heure avant de retrouver les garçons, je rejoins la maison d'Andréa en bus. Nous profitons du temps qu'il nous reste pour me faire une beauté. J'enfile un tee-shirt kaki qui met, je dois l'avouer, mes yeux en valeurs et ose un fard à paupière pourpre. Même si je me l'étais promis, je me regarde dans la glace et me trouve moins pire que d'habitude. Un peu mieux dans ma peau, je me sens prête à "striker" !
Dora, la mère d'Andie, nous dépose devant le bowling, nous entrons et nous dirigeons directement vers Thomas et Théo que nous voyons dès notre arrivée. La suite, je ne l'ai plus vraiment...
Elle commande un diabolo fraise et lui à la menthe. Elle n'arrive pas bien jouer, alors il s'approche d'elle pour l'aider. Elle plisse les yeux tout en souriant, il est très proche d'elle. Elle s'apprête à lancer, il se poste derrière elle presque à l'enlacer. Elle lance, tombe deux quilles, il applaudit. Elle s'assoit, il se met tout à côté.
C'est mon tour, je balance ma première boule et renverse l'intégralité des quilles. Silence. Je me retourne, ils sont plus proches que jamais. Théo regarde ailleurs. J'ai mal au ventre. Je ressens comme une énorme boule à l'intérieur de moi. Strike ! D'un seul coup, ils renversent à eux seuls mes derniers rêves. C'est cela que j'avais vu dans le miroir quelques jours plus tôt, tout espoir en moi a disparu et à la place une armure implacable a pris place.
En rentrant dans ma chambre ce soir-là, je donne un violent coup de pied dans mon sac, au point de me fendre le gros orteil. Le contenu se répand sur la moquette bleu clair. Parmi les objets éparpillés, j’aperçois l’album que Mimi m’a confié. La culpabilité me serre la gorge : je n’ai pas tenu ma promesse.
Dépitée, je le ramasse, le pose sur mon bureau sans même le regarder, puis m’allonge, vidée.
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