Extrait 2

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Deux personnes en sortent précipitamment. Des ombres plus que des hommes : en noir, de la cagoule jusqu'aux baskets. Chacun d'eux porte un sac. Le premier est alerte. Il scrute les alentours. Il fixe la voiture. Il traverse la rue au pas de charge. Une berline freine pour le laisser passer. Le second est hagard. Le second ne lui file pas le train. Le second n'a pas rangé son arme.

Jérémy pense « Qu'est ce qu'il fout ? » Jérémy pense « Bordel ! » Il s’apprête à sortir. Le premier surveille machinalement ses arrières. Il voit le retardataire. Jérémy reste derrière le volant.

Le premier stoppe sur le passage clouté. Il hurle quelque chose. Le véhicule à l'arrêt s'impatiente. Une deuxième voiture se met à la file. Le second surveille la rue comme un enfant avant de traverser. Jérémy s’agrippe au volant. Jérémy dit « Aller ! ». Son intestin cherche à le divertir. Son intestin lui fait le coup du nœud magique. Son intestin est un piètre illusionniste.

La berline à l'arrêt hésite à déborder sur la voie centrale. Ce n'est pas une voie de circulation, elle est neutralisée par un zébra sur la majeure partie l'avenue. À cet endroit elle offre un dégagement aux véhicules venant du centre pour leur permettre de s'engager sur la place. Pas de voiture venant à l'horizon. La berline s'engage.

Le second traverse enfin la route. La voiture pile. Le second n'avance pas assez vite. Le premier le rejoint. La citadine restée à l'arrêt sur la voie de circulation démarre en trombe. Le premier arrache l'arme du second. Le premier la glisse à sa ceinture. Le premier l'attrape par le bras et le fait avancer.

La berline change ses plans. La berline retourne sur sa voie de circulation. La berline leur passe sous le nez. La gomme effleure les orteils des piétons. Jérémy retient son souffle. Le premier lance un regard noir à la voiture, mais il n'a pas le temps de se laisser aller à l'insulte.

Les deux hommes traversent la rue. Jérémy dit « Aller ! ». Les hommes approchent. Trop long. Jérémy gagne du temps. Jérémy presse le bouton de démarrage. La place est ceinturée sur trois de ses côtés par une voie à sens unique. Jérémy l'emprunte à contre-sens. Jérémy va à la rencontre de ses complices. L'économie réalisée s'estime entre rien et pas grand-chose.

Le premier lâche son acolyte et ouvre la portière arrière gauche. Il balance violemment son sac contre la portière opposée et se glisse sur la banquette pour le rejoindre. Le second monte à son tour. Jérémy démarre. Le second n'a pas encore fermé la porte. L’accélération brusque manque de le mettre dehors.

Jérémy écrase le frein. Pas pour ça : un véhicule venant de la droite cherche à s'engager sur la place. Il a déjà entamé son virage et occupe largement la file opposée. La conductrice s'agite en reproches derrière son volant. Elle n'a pas l'habitude d'utiliser son klaxon. Elle appuie à côté et pas assez fort. Le véhicule arrivant par la gauche, auquel elle coupe la route, se charge de lui venir en aide.

La portière arrière se ferme enfin. Jérémy n'a pas assez de place pour passer. La femme ne reculera pas. Elle a calé sous le coup de la surprise, écrasant le frein en oubliant l'embrayage. Jérémy monte sur le trottoir. Jérémy fait claquer son rétroviseur droit sur le poteau des panneaux de signalisation. Le bruit qui en résulte joue la démesure par rapport à l'incident : le rétroviseur se rabat simplement sur la vitre.

Un klaxon se lance à sa poursuite. Djimmy se retourne. Le klaxon n'est pas pour eux, il s'adresse à la voiture restée en travers de la voie.

Jérémy pousse brièvement l’accélérateur : le feu est rouge à cinquante mètres. Il laisse le frein de côté et rétrograde. Le moteur hurle. Djimmy quitte la lunette arrière. Djimmy dit « Qu'est-ce que tu fous ? » Jérémy ne répond pas. Jérémy fixe le feu. Jérémy fixe le pare-choc arrière du véhicule immobilisé une dizaine de mètres devant. Jérémy caresse le frein. Jérémy fixe son rétroviseur. Djimmy se retourne à nouveau. Pas de mouvement venant de la boulangerie.

Le moteur tousse. Jérémy l'apaise à coup d'embrayage. Le véhicule en travers de la route redémarre et s'engage sur la place. L’agité du klaxon démarre en trombe.

Le feu passe au vert. Jérémy reste en seconde. Jérémy écrase l’accélérateur. La voiture démarre poussivement. Le véhicule de devant les distance. Le feu passe au jaune vif. Pas le feu, c'est le rétroviseur qui s'enflamme : appels de phares. L'excité de derrière remonte l'avenue à fond. Il tripote compulsivement la manette à gauche de son volant. Jérémy plisse des yeux. Jérémy passe le rétroviseur en mode anti-éblouissement. Jérémy a vu la marque du véhicule. Jérémy à vu le modèle. Cela lui suffit pour se faire une idée sur le conducteur. Djimmy vocalise la conclusion « Qu'est-ce qu'il fait ce connard ? »

Jérémy laisse le moteur monter dans les tours. Ils rejoignent le véhicule les précédant. Leur poursuivant les rattrape. Jérémy colle la voiture devant lui. Leur poursuivant leur fonce dessus. Le klaxon accompagne désormais les appels de phares. Jérémy donne un coup de volant. Les passagers sont chahutés : ils n'ont pas bouclé leurs ceintures.

Jérémy dépasse la voiture sur le zébra central. Le conducteur hurle quelque chose derrière son volant. Le conducteur secoue la tête. Lui non plus n'est pas un habitué du klaxon. Le véhicule qui leur colle au train imite la manœuvre. Le véhicule ne les lâche pas. Le chauffeur veut régler ça aux mains. Le chauffeur veut les forcer à s'arrêter. Benoît se retourne à son tour. Benoît panique.

— Merde, c'est qui ce type ?

— Un putain d'enculé ! répond Djimmy.

Un juron plus tard il passe la tête entre les sièges avant.

— Décroche nous ce connard vite-fait !

Jérémy ne répond pas. Il sait ce qu'il a à faire. Le chauffard est un aimant à flic, et cet aimant leur colle au cul. Jérémy projette son regard au prochain carrefour. Il guette le passage à l'orange. Il veut le semer au rouge, comme dans les films.

Le vert s'efface. Ça y est. Jérémy écrase l’accélérateur. Le moteur grogne. Les passagers comprennent.

— Qu'est-ce que tu fais ? s’inquiète Benoît.

Jérémy ne répond pas. Benoît fixe Djimmy mais celui-ci a déjà choisi son camp. Il fixe le feu tricolore. Ses lèvres dessinent des mots fantômes. Benoît traduit : « Aller, aller, aller. » Benoît boucle sa ceinture. Jérémy surveille ses arrières. Leur poursuivant a saisi la manœuvre. Il force l'allure à son tour.

Le feu passe au rouge. Jérémy se crispe. Jérémy évalue la distance. Jérémy pense « Comme au cinéma. » Jérémy pense « Fais chier ! ». Il freine brusquement. Il surprend son poursuivant : celui-ci est obligé de se déporter sur la gauche pour ne pas le percuter. Il surprend ses passagers, également. Djimmy doit s’agripper aux sièges avants pour ne pas basculer sur le tableau de bord.

— Passe-moi ton flingue, demande posément Jérémy.

Djimmy met un certain temps à percuter. Leur poursuivant s'est immobilisé à côté d'eux. Jérémy réitère sa demande. Le stress est plus palpable cette fois-ci. Leur poursuivant ouvre sa portière.

— Attend, déconne pas ! s'alarme Benoît.

Jérémy ignore l'avertissement : ce ne sont que des jouets après tout. Jérémy tend sa main au niveau de son épaule. Djimmy lui glisse l'arme qu'il a repris tantôt à Benoît. Leur poursuivant sort de sa voiture, prêt à en découdre. Jérémy entrouvre sa fenêtre. Jérémy pointe son arme sur le type façon gangsta rap. Le type s'avance. Le type voit le canon. Le type panique. Il se précipite dans sa voiture. Il ne prend pas le temps de fermer sa portière. Il ne prend pas le temps d'attendre le feu. Il ne fait pas six mètres. Le carrefour forme une patte d'oie. Il se fait percuter par une voiture venant de la gauche.

Le feu reste rouge. Jérémy démarre. Il avance à allure réduite jusqu'à l'accident.

— Merde… lâche Benoît.

Jérémy ne dit rien mais n'en pense pas moins. Il préfère ne pas regarder. Il met la gomme une fois assuré que le passage est libre. Djimmy ne quitte pas la scène des yeux. Djimmy retire sa cagoule. Il exulte :

— Dans ta gueule putain !

Le braquage a chargé ses veines d'adrénaline. Il est en plein trip. Jérémy se sent décoller à son tour.

L'euphorie ne dure pas. Moins d'une minute plus tard une lueur bleue jaillissant au loin l'aide à reprendre pied. Gyrophare et deux tons.

L'habitacle se glace de tension puissance trois. Jérémy fixe le véhicule arrivant en sens inverse. Benoît ne dit rien. Djimmy dit « Fonce ! ».

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