Dernière nuit africaine

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Jojo a réussi à convaincre un passeur de nous permettre de partir. Une fois arrivés en Europe, il faudra qu’on le rembourse et ça risque de nous prendre plusieurs mois, mais franchement, vu notre situation, c’est le mieux qui pouvait nous arriver.

— Tu es sûr qu’on peut lui faire confiance ? lui demandé-je lorsqu’il m’apprend la bonne nouvelle.

— Non, mais nous n’avons pas le choix. Il n’a pas une mauvaise réputation, au moins, et il investit sur nous. Je pense qu’il n’a pas intérêt à ce qu’il nous arrive quelque chose.

— Et comment on sait quand on va pouvoir partir ?

— Dès qu’il a assez de monde pour remplir un bateau. Demain, peut-être. Ou après-demain. Après, ça dépend aussi du temps et des tournées des policiers marocains.

De ce que nous ont dit les autres personnes qui attendent, la traversée est particulièrement dangereuse. Et si on se fait prendre par les autorités marocaines, c’est au mieux un retour à la case départ, au pire, un emprisonnement dont on ne sait pas quand il finira. Mais sans argent, sans source de revenu, sans possibilité de faire demi-tour, notre seul choix est d’aller de l’avant. Toujours. Quel que soit le risque.

Lorsque nous recevons le signal de départ, le lendemain en fin de journée, l’appréhension monte. Nous devons nous rendre près de la plage sans nous faire prendre par les milices marocaines qui patrouillent dans la montagne. Nous nous mettons en route et je suis Jojo qui prend le temps de s’arrêter pour m’aider à gravir un rocher ou pour me soutenir moralement. A plusieurs reprises, nous sommes obligés de nous cacher dans un ravin ou derrière un rocher car nous entendons des bruits de pas. C’est effrayant de se dire que le moindre bruit pourrait nous faire repérer et mettre fin à notre tentative de fuite.

Nous parvenons enfin au point de rencontre où attendent déjà une vingtaine de personnes. Je regarde mes compagnons d’infortune en me disant que nous formons une bien triste troupe. Il y a quelques jeunes qui me regardent comme s’ils voulaient faire de moi leur partenaire du jour, mais heureusement, Jojo veille. Il y a ces familles qui ont l’air aussi épuisé que nous. Quelle idée de partir avec des enfants aussi jeunes. Quels risques sont pris par ces personnes ! Il faut vraiment que leur situation soit désespérée pour tenter l’impossible.

Nous entendons un gros véhicule s’approcher. Tout le monde se tait et se cache à l’abri des buissons. Heureusement pour nous, ce n'est que le passeur qui ramène notre embarcation. Un bateau gonflable qui semble avoir déjà bien vécu. Il le dépose devant nous alors que d’autres candidats à la traversée nous rejoignent. Déjà à vingt, on aurait été un peu serrés sur ce navire de fortune, mais là, je ne sais pas comment on va faire pour tenir à quarante.

— Je ne sais pas nager, murmuré-je à Jojo doucement, pour ne pas que les autres nous entendent.

— Moi, non plus, Mina. Ce n’est pas grave. Dieu nous surveille et grâce à son aide, nous sommes arrivés ici. Il ne va pas nous abandonner maintenant.

— Pourquoi on n’a pas de gilet de sauvetage, nous ? lui demandé-je en montrant les familles qui en ont revêtu un.

— Eh bien, il fallait payer pour s’en acheter. Nous n’avons plus un sou. Je… Je suis désolé, Mina, j’ai fait ce que j’ai pu.

Il a vraiment l’air de s’en vouloir de ne pas avoir pensé à ce détail mais je le rassure.

— Ne t’en fais pas. Comme tu l’as dit, le bateau est sécurisé, le passeur n’a pas intérêt à ce qu’on coule. Tout ira bien. C’est déjà incroyable tout ce que tu as réussi à faire.

— Oui, mais ça ne sera pas assez. Les dés sont jetés, on passe ou on meurt, demain.

Il est dur dans ses propos, mais je sais qu’il a raison. Nous avons fait tout ce que nous pouvions, le reste ne dépend plus de nous. Je le vois avec d’autres faire le tour du bateau et son air inquiet ne me dit rien qui vaille. Pourtant, lorsqu’il vient s’installer près de moi pour attendre les lueurs de l’aube, il essaie de me rassurer et m’entoure de ses bras protecteurs.

— Tout ira bien, Mina. Je suis là, me rassure-t-il alors que je m’assoupis dans ses bras.

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