Chapitre 6 : Enchaînement progressif

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Nous vous proposons un morceau hardtrance de 1997 assez planant pour ce chapitre : Rage de Cocooma

Notre cours avance bien trop vite à mon goût ; alors que quand je suis seul, les minutes s’égrènent lentement, imperturbables, avec une régularité rassurante, aujourd'hui, les aiguilles de l’horloge surplombant le tableau ont décidé de s’enhardir, battant la mesure avec fougue, me mettant de plus en plus mal à l’aise. La nervosité de mes doigts est accentuée par les grands gestes ininterrompus d’Alan, qui gesticule encore plus lorsque le prof lui donne la parole pour répondre à une de ses questions, et qui n’en rate pas une pour se plaindre ou pester sur le contenu du cours.

Je finis par me surprendre à éprouver une certaine honte vis-à-vis de mon stress anormal et de l’humidité qui s’amasse sous mes aisselles. Je bloque mes doigts et concentre tous mes sens sur la dernière question du TD : quel peut bien être l’impact de la crise monétaire mexicaine sur la balance commerciale des Etats-Unis ? Alan semble très peu concerné par la question, enfilant déjà sa veste et attendant négligemment que le prof nous laisse partir. Il n’y a pas besoin de chercher très loin pour comprendre pourquoi ce nigaud n’a toujours pas commencé sa dissertation... Malgré tout, maintenant que je lui ai assuré que je l’aiderai, je m’en voudrais de ne pas honorer ma promesse. J’ai toujours respecté mes engagements, le fait que j’ai affaire à une espèce de stéréotype gay à l’égo surdimensionné n’y changera pas grand-chose. Par contre, je tiens absolument à ce qu’on ait fini avant 15 heures : ma grand-mère ne se remettrait pas du fait que je ne l’appelle pas à l’horaire prévu pour son anniversaire.

Alors que j’espérais pouvoir bénéficier d’un minimum de répit après une heure et demi à essuyer les questions constantes d’Alan, qui ne portaient que trop rarement sur les travaux dirigés, ce dernier m’entraîne d’un pas décidé vers le restaurant universitaire, me proposant au passage de me payer mon repas en échange du service que je lui rendrai. Bien que mon compte en banque tende à devenir aussi vide que les caisses mexicaines évoquées précédemment, je refuse poliment et vais me servir pour échapper quelques secondes à sa présence oppressante. Peut-être devrais-je lui dire que je n’apprécie pas tellement son comportement ? Et puis non… je vais prendre sur moi quelques heures et il estimera peut-être ensuite ne plus avoir besoin de mes services à l’avenir… non pas que ça ne me dérange de l’aider mais, enfin bref…

Il m’entraîne d’un pas qui m’a l’air bien trop enthousiaste dans l’optique de travailler sur une dissertation : j’arrive à peine à le suivre ! Comme je m’y attendais, nous nous dirigeons vers une des résidences les plus luxueuses du quartier, au 27 avenue Hendrix. J’essaie de ne pas montrer de jalousie en entrant dans son ‘sanctuaire’ comme il se plaît pompeusement à l’appeler : on peut familièrement dire qu’il se met bien.

Nous ne tardons pas à nous installer dans ses agréables fauteuils aussi design que confortables. Je m’affaisse de plus en plus dans l’assise, faisant reposer mon bras droit sur l’accoudoir, puis lui indique d’un air qui se veut supérieur, à l’instar de Jules César, de sortir le nécessaire pour son travail. Il faut bien pour une fois que je profite de cette supériorité ! Je commence à discerner le plaisir que peut éprouver Alan en abordant n’importe qui, n’importe quand, avec un naturel qui en devient gênant. Enfin, j’espère vraiment que je suis ‘n’importe qui’ pour lui : je ne risque pas d’oublier qu’il n’a ressenti aucune gêne, même plutôt un amusement presque malsain, à me toucher ostensiblement les fesses à la sortie de l’amphi l’autre jour.

Je distille mes explications au compte-goutte, faisant attention à ce que son cerveau n’atteigne pas tout de suite un surrégime non désiré, qui ne ferait que rallonger le temps que je suis obligé de passer ici. De temps en temps, je suis également contraint de le remettre sur les rails lorsqu’il se met à commenter le look d’étudiants qui passent dans la cour… Après une bonne heure d’explications assez unilatérales, il se lève, va effleurer le plafond du bout des doigts en s’étirant, puis soupire :

— Ah, je crois qu’on est largement bon, non ?

— Euh, mais on n’a pas fini tous les arguments de l’antithèse…

— Je pense vraiment que ça va, au pire je chercherai sur Internet si j’arrive pas à faire quelque chose d’assez long. Tu veux quelque chose à boire ?

— Oui, pourquoi pas, merci !

— Je vais te faire un petit Mojito maison ! Tu m’en diras des nouvelles !

— Euh… tu commences à boire à deux heures de l’après-midi ?

— Haha, c’est rien ça, je te jure, mais je t’en fais un léger si tu veux !

— Oui, c’est mieux.

Alors qu’il se met à fouiller dans ses armoires et tiroirs à la recherche des ingrédients nécessaires, un « ding » retentit ; il me réclame alors de lui apporter son téléphone. Malheureusement pour lui, le message qui s’affiche confirme sans ambiguïté que je suis bêtement tombé dans son piège : un de ses potes lui a déjà envoyé son travail…

Dans l’intervalle de temps que me laisse les quelques pas qui me séparent de lui, j’ai le temps de passer de l’irritation vis-à-vis de lui et son stratagème à l’exaspération concernant ma naïveté.

Il me remercie avec un sourire que je ne peux m’empêcher d’interpréter comme faux, et suis à deux doigts de prendre congé de lui lorsqu’il me tend un verre harmonieusement agrémenté de quelques feuilles de menthe exhalant leur parfum frais si caractéristique.

— Je t’avais promis de te montrer ma salle de musique, tu viens ?

— Oui…

— Tu as réellement de la chance, je ne montre pas ça à tous mes invités !

— Quelle sorte d’invités ?

— Bah tu sais bien, des amis, des amis… plus intimes.

— Et moi, tu me classes dans quelle catégorie ? demandé-je d’un ton incisif, espérant le déstabiliser et lui montrer que j’ai du discernement.

— Toi, t’es un futur membre de mon groupe !

Au moins, il est assez gentil pour ne pas me faire remarquer que ma question était finalement assez idiote… Malgré tout, j’ai du mal à croire qu’il ait autant envie de me voir, uniquement dans ce but ; je crois qu’il a une personnalité bien trop complexe pour moi. Heureusement, il ne pourra pas me retenir plus d’une demi-heure !

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