Chapitre 4 ~ Routines, rires et poussières

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  Le matin suivant, Charlie arriva au réfectoire en même temps que Sally et Beth, arrêtant sa course juste avant de leur rentrer dedans. Les deux filles lui lancèrent un regard surpris avant d’hausser les épaules et de passer la porte. La rouquine murmura un rapide mot d’excuse, le souffle court. Il s’en était fallu d’un cheveu, mais elle était arrivée à temps pour le petit déjeuner. Tâchant de calmer les battements de son cœur, elle respira une grande bouffée d’air avant de suivre Sally et Beth à l’intérieur de la salle.

  La majorité des résidents de Greywall était déjà installée devant leur petit déjeuner, constitué comme à l’accoutumée d’un bol de porridge gris et grumeleux. La jeune fille se hâta d’aller chercher sa pitance insipide auprès de la cuisinière, et alla s’installer à sa place habituelle, en bout de la dernière table au fond de la pièce. Ce n’est que quand elle se fut assise qu’elle parvint enfin à se détendre. Son séjour nocturne était, une fois de plus, passé inaperçu. Rassurée, elle entama son repas, qui avait pour seul mérite de remplir son estomac. Tout en mangeant, la jeune fille laissa son regard glisser sur le réfectoire. Elle aperçut Beth et Sally, à trois chaises de distance occupées à discuter calmement entre deux cuillères de porridge. À côté d’elles étaient assis Otto, Wes et Alice. Ils étaient parmi les cinq plus jeunes de l’orphelinat, âgés entre cinq et huit ans. Le trio avait le nez plongé vers la table, tentant en vain de se retenir de pouffer de rire. Fred, attablé à la table adjacente de la leur, grimaçait de façon grotesque dans le but d’imiter la cuisinière derrière son chariot. Charlie eut peine à retenir un sourire tant ses mimiques étaient ridicules. Tiph et Ed se trouvaient près de lui, sourire aux lèvres et chuchotant, penchés l’un vers l’autre. Nick s’était joint à eux ce matin, et semblait très animé par la conversation. À eux quatre, ils formaient «La Resistencia», comme se plaisait à le dire Tiph. Ils ne rataient jamais une occasion de s’attirer des ennuis, et à en juger par leur mine de conspirateurs, ils n’allaient pas tarder à exécuter un autre de leurs plans farfelus et malicieux en vue de rendre folles Miss Grant et les éducatrices. Le quatuor constituait une distraction de choix dans le quotidien morose de Greywall.

  Le reste des orphelins étaient d’un calme irréprochable, comme d’accoutumée. Victor était aux basques des éducatrices, toujours aussi mielleux et insupportablement serviable. Max, assis seul en bout de table, semblait manquer d’appétit. Nolan devait probablement lui manquer. Liz, Pete, Zach, Molly, Dom, Gill, Iris, Helga, Janet, Kay, Queenie, Ugo et Yrina avaient le nez plongé dans leur bol, discutant de temps à autre. L’absence de la directrice laissait planer dans l’orphelinat une atmosphère de sérénité. Charlie, ainsi que tous les résidents de Greywall, sauf peut-être Victor, étaient décontractés et paisibles, comme le témoignait la rumeur des conversations. Savoir que la Directrice ne se trouvait pas dans l’enceinte des murs avait quelque chose de rassurant. L’orphelinat pourrait presque en paraître accueillant, comme un véritable foyer.

  Charlie planifiait sa journée dans sa tête tout en finissant son repas. Elle devrait tout d’abord faire ses corvées, comme chaque orphelin le faisait chaque jour. Mais aujourd’hui peut-être pourrait-elle parvenir à s’éclipser quelques instants avant le dîner, pour aller au grenier. Risqué en plein jour, mais faisable sans la Directrice sur le dos. Elle devrait veiller à redescendre à temps pour le dîner. Ensuite, la journée suivrait son cours avec les leçons de Miss Grant…

- Bonjour, les enfants ! J’ai une très bonne nouvelle à vous annoncer, avant que vous ne partiez faire vos corvées habituelles.

  La rouquine tourna la tête vers la voix de Miss Grant, étonnée de la voir dans le réfectoire aussi tôt dans la journée. Elle était d’ordinaire occupée à préparer ses leçons du jour – du moins c’est que la vieille femme faisait croire. Tout Greywall savait pertinemment que lorsque sa supérieure était absente, Miss Grant en profitait pour rester dans son bureau, en robe de chambre, et prenait son petit déjeuner en lisant sa vieille correspondance amoureuse. Si certains des orphelins en faisait un sujet de plaisanterie occasionnelle, cela ne dépassait jamais les limites de la méchanceté gratuite. Tous savaient que sous ses airs revêches, Miss Grant avait bon fond.

  Charlie continuait de manger tout en attendant cette excellente nouvelle. Plusieurs orphelins étaient pendus aux lèvres de l’enseignante :

- Elle est peut-être partie pour toujours ? suggéra Fred à voix basse.

- Ou alors elle est morte ? renchérit Otto qui avait entendu Fred.

- Oui, et on va nous annoncer que du gâteau au chocolat est prévu pour le dîner tant que vous y êtes? Ne rêvez pas.

  C’était Tiph qui avait mis fin aux divagations des deux garçons, d’une voix ferme. Elle restait réaliste. Mais cette dernière écoutait également attentivement Miss Grant qui reprenait enfin la parole après s’être entretenue brièvement avec Benjamin. Charlie reporta son attention sur la vielle femme, une cuillère de porridge à mi-chemin entre son bol et sa bouche.

- J’ai le plaisir de vous annoncer l’arrivée d’un nouveau camarade parmi nous ; j’ose espérer que vous lui ferez un bon accueil. Il est arrivé hier soir, et aura grand besoin de votre aide pour prendre ses marques dans notre cher établissement. Je compte sur vous.

  Il fallut quelques secondes à Charlie pour comprendre pleinement ce que ces mots signifiaient. Elle en lâcha sa cuillère, qui tomba sur la table dans un tintement sourd. Non. Impossible. Elle l’avait raccompagné elle-même jusqu’au soupirail. Elle n’avait croisé personne sur le chemin du retour, empruntant le plus long chemin pour vérifier que Benjamin ne lui tomberait pas dessus dans l'immédiat. Simple coïncidence. Robbie était loin. La jeune fille sentit plusieurs regards se tourner sur elle, mais elle n’avait d’attention que pour la silhouette qui se dessinait derrière Miss Grant. Grand, dégingandé, déjà vêtu de l’uniforme gris de Greywall, c’était bien Robbie qu’elle avait devant les yeux. Il avait la mâchoire serrée, et le regard qui sautait d’un bout à l’autre de la salle, parcourant les tables, avant de s’arrêter sur Charlie. Il lui adressa un clin d’œil avant de reporter le regard devant lui. La jeune fille crût même voir sa mâchoire se détendre et un mince sourire imperceptible étirer le coin de ses lèvres.

- … Voici donc Robbie. Je suis sûre que vous deviendrez tous très vite amis.

  Miss Grant posa sa main sur l’épaule de l’adolescent qui se crispa de nouveau. Ses yeux lançaient des éclairs. Miss Grant ajouta quelques mots, répétant l’espoir qu’elle mettait dans le bon accueil de Robbie, avant de l’envoyer s’assoir et de souhaiter une bonne journée aux orphelins. Charlie n’avait rien écouté ou presque de la fin de l’annonce de la vieille femme. Elle avait les yeux braqués sur Robbie ; elle étudiait la moindre de ses réactions, essayait malgré elle d’accrocher son regard de nouveau. Toujours aussi raide, à la seconde où Miss Grant relâchait son étreinte, Robbie se dégagea et avança en direction de la cuisinière, prit son bol de porridge en la remerciant chaudement. Puis, ses yeux de glace toujours fixés droit devant lui, il marcha jusqu’à sa place.

  Charlie avait toujours les yeux braqués sur lui quand elle se rendit compte qu’il venait s’assoir en face d’elle. Les chuchotements reprirent dans le réfectoire, les yeux des orphelins faisant des aller-retours entre leur porridge et le nouveau assis en face de la rouquine.

- Salut.

  Charlie, sortant enfin de son immobilité, lui lança un regard noir. « Salut » ? C’était tout ce que ce sombre idiot trouvait à dire ? Elle maintint son regard quelques instants, éprouvant une once de satisfaction en voyant Robbie se tortiller sur sa chaise, mal à l’aise sous son apparente désinvolture, puis repris sa cuillère tombée un moment plus tôt, et continua de manger, ignorant complètement le garçon. Ou du moins, tâchant de l’ignorer, le regard absorbé dans son bol de porridge encore à moitié plein. La jeune fille entendit Robbie prendre lui-même sa cuillère et supposa qu’il commença à manger, lui aussi. Son intuition se confirma lorsqu’elle l’entendit souffler :

- Pouah ! C’est infecte ce truc !

  Charlie ne répondit pas, ne leva même pas le regard. Mais malgré son agacement, quelque part au fond d’elle, elle ne put retenir un sourire – qu’elle se garda bien de montrer, évidemment. Elle reprit une cuillère de porridge. En supprimant le fait de l’habitude, elle devait bien admettre que Robbie avait raison : cette bouillie informe était vraiment dégoûtante.

  Le silence se réinstalla un bref instant.

- Comment tu fais pour manger ça ? Ils vous servent ça tous les matins ?

  La rouquine releva enfin la tête vers lui, ses yeux aussi flamboyants que ses cheveux. Elle vit Robbie tressaillir légèrement mais n’en avait cure.

- Qu’est-ce que tu fiches ici ? lança-t-elle.

- Moi aussi, je suis content de te voir.

- Je croyais que tu ne restais pas ? C’est bien ce que tu as dit, non ? Alors qu’est-ce que tu fiches ici ?

- La visite guidée du bossu m’a donné envie de rester, je prolonge le séjour, rétorqua-t-il.

  Charlie perçut le sarcasme à peine dissimulé, et cela ne fit que l’agacer davantage, leur échange ressemblant de plus en plus à celui de la veille. La jeune fille inspira profondément. Perdre son calme en plein réfectoire était le meilleur moyen de s’attirer des ennuis. Et il était hors de question que cela arrive à cause de Robbie. Celui-ci se tortillait sur sa chaise, comme s’il cherchait quoi dire. La rouquine crut même percevoir une pointe de regret dans ses yeux de glace, mais cela ne suffit pas à l’adoucir.

- Écoute, reprit-il. Je sais que je suis un crétin. Je suis désolé. Mais essaye de me comprendre, qui voudrait passer sa vie ici à manger cette chose pâteuse tous les matins ? Même toi tu sais que j’ai raison…

  Robbie ne termina pas sa phrase. Il étouffa un grognement de douleur lorsque le pied de Charlie s’abattit en plein dans son tibia. La jeune fille accueillit le regard d’incompréhension de sa cible avec un sourire placide, mais ses yeux ne souriaient pas.

- Pas mal pour une minable qui attend que la vie passe, tu ne trouves pas ? murmura la jeune fille.

  Robbie ne répondit rien, mais son expression se voila. Et Charlie sut qu’il pensait la même chose qu’elle à cet instant : il ne l’avait pas volé. Elle se leva de table, à l’instar d’autres orphelins, pour aller déposer son bol sur le chariot avant de quitter la salle, droite comme un « i », sans un regard en arrière pour Robbie et son tibia meurtri. Finalement, elle n’avait pas réussi à garder son calme, pas totalement. Une pointe de honte mélangée à un soupçon de regret apparut dans sa poitrine, mais elle les chassa l’un et l’autre.

  « Bien fait pour lui, pensa-t-elle. »

  Après tout, qu’est-ce qu’il faisait encore là ? Il avait l’air tellement paniqué la veille à l’idée de devoir rester, et voilà que ce matin, il débarquait avec un sourire et son sarcasme habituel. Sans oublier sa mine renfrognée. Pourquoi était-il resté ? Car c’était évident qu’il avait pris lui-même la décision. Si c’était Benjamin qui l’avait découvert en pleine nuit, une seconde fois, au pied du soupirail, nul doute que son accueil aurait été beaucoup moins chaleureux que celui que lui avait fait Miss Grant ce matin, devant le reste de Greywall. Charlie n’osait imaginer ce que cela aurait donné si la directrice avait été là. Elle réprima un frisson. Heureusement pour lui, il n’était tombé que sur Miss Grant…

  Charlie dût interrompre le fil de ses pensées. Elle était de corvée de sanitaires cette semaine, et elle venait d’arriver dans l’aile est, long couloir froid et gris, comme l’entièreté du domaine Greywall. D’un côté les garçons, de l’autre les filles. La jeune fille se dirigea vers le placard où elle saisit serpillères et torchons, tout le matériel nécessaire en somme pour rendre cet endroit humide et miteux le plus accueillant possible pour la toilette des résidentes de l’orphelinat – chose difficile étant donné l’état de décrépitude originel de la pièce. Des taches d’humidité et d’autres plus douteuses encore, impossible à récurer entièrement malgré les centaines de passages ménagers. Les robinets qui ne fonctionnaient que lorsqu’ils le décidaient, la tuyauterie qui émettait des grincements inquiétants. Et la température de l’eau était aussi aléatoire que les humeurs de Benjamin ; surprise garantie à chaque fois, quand l’eau voulait bien s’écouler, évidemment.

  Il en allait tout autrement concernant les salles d’eaux du corps enseignant et du personnel, lieux où les orphelins étaient également tenus de faire le ménage. Des carrelages impeccables, où la moindre tache était remarquée au premier coup d’œil et priée de disparaître, une tuyauterie en presque parfait état en comparaison de l’ancêtre présente dans la vieille aile est. Sans oublier de l’eau chaude à souhait ; un luxe interdit aux orphelins, et qui en révoltait plus d’un.

  « Il y en a un de plus qui pourra s’en révolter, maintenant, se dit Charlie. »

  Robbie avait tout à fait ce qu’il fallait de fierté pour s’outrer d’être traité de cette façon. Sa réaction face à ce qu’on leur servait en guise de porridge le matin même en était la preuve. Et la jeune fille soupçonnait que le garçon pourrait bien avoir le cran de protester tout haut. Sans se préoccuper des conséquences. Conséquence étant un séjour à l’Isoloir, à durée indéterminée. Charlie elle-même y avait passé un certains nombres d’heures, horribles et glaciales, dans cette pièce isolée au milieu des caves de Greywall, avec pour seule compagnie une ribambelle de rats à l’air famélique. Ces heures passées étaient pour elle une véritable torture, moins à cause des potentielles morsures des rongeurs affamés et hostiles que parce que la jeune fille avait l’impression d’étouffer sous le poids de Greywall, dans une obscurité constante, sans ouverture aucune sur l’extérieur et donc sur le ciel tellement réconfortant à ses yeux.

  Certains orphelins, cas rares certes, n’y avaient jamais mis les pieds. Les plus jeunes résidents, ainsi que Victor, le lèche-botte attitré de Miss Grant, qui trouvait même grâce aux yeux de l’impitoyable directrice. Un mystère pour la plupart de ses congénères, la trahison d’une raclure pour une poignée d’autres. « La Resistencia ne fait preuve d’aucune pitié pour les traîtres qui envoie ses propres congénères à la potence. », pour citer Tiph.

  Charlie ne put retenir un sourire tandis qu’elle s’acharnait sur le sol autrefois blanc à coups de serpillère. Elle travaillait vite et efficacement. À ce rythme-là, elle aurait davantage de temps au grenier que ce qu’elle avait prévu initialement. Elle savourait déjà le sentiment de bien-être qui l’entourerait lorsque l’atmosphère confinée de son antre l’envelopperait, comme un cocon…

  « SCHKLIIIIINK ! ».

  La rouquine sursauta, et se retourna vers le couloir. Des raclements et des bruits stridents continuaient leur concert cacophonique. La serpillère toujours à la main, Charlie sortit des sanitaires des filles. La porte du placard était grande ouverte, les seaux et les serpillères s’étalaient sur le sol autour des pieds d’un garçon. Les bras ballants, l’air complètement désabusé, il contemplait le carnage à ses pieds d’un regard vide.

- Hé merde, murmura-t-il pour lui-même, ne s’étant pas encore aperçu de la présence de Charlie derrière lui.

- Dom, tu veux un coup de main ?

  Ce fut au tour de Dom, dix ans, de sursauter. Il se retourna brusquement, une pointe d’inquiétude dans le regard qui disparut dès qu’il reconnut la rouquine.

- Salut, Charlie.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

- J’ai essayé de tout embarquer d’un coup pour gagner du temps, mais j’ai trébuché, et heu… voilà, répondit-il en tendant les bras devant lui pour englober le matériel au sol.

- Tu veux de l’aide pour tout remettre ? proposa la jeune fille, un sourire de sollicitude au lèvres.

  Dom était à un âge compliqué quand on vivait à Greywall : plus vraiment considéré comme un petit mais pas encore tout à fait un grand, il se voyait confier des corvées pas toujours adaptées. C’était comme ça pour tous, passé un certain âge, il fallait « gagner sa pitance » à Greywall, ordre de la Directrice, qui ne supportait pas de voir cette jeunesse abîmée se tourner les pouces toute la journée. De l’esclavage ou presque, l’unanimité des orphelins voyait cela de cette façon. Pas le choix d’obéir cependant. C’était soit ça, soit les sentences. De la plus légère – privé de repas – à la plus sévère – séjour à l’Isoloir, voire pire – le choix était vite fait. Question de survie.

  Charlie vit Dom hésiter, et suivit son raisonnement dans ses yeux d’enfant. Accepter son aide, c’était la retarder dans ses propres corvées ; il y avait aussi son désir de montrer qu’il pouvait y arriver par lui-même, qu’il pouvait lui aussi mettre la main à la pâte ; le désir d’être grand pour qu’on soit fier de lui tout en souhaitant qu’on ne le laisse pas seul.

- On ferait mieux de se dépêcher avant qu’une éducatrice débarque, ou Benjamin. Ça a sûrement dû résonner dans les étages du dessous.

  En voyant que le garçon s’apprêtait à protester, elle ajouta :

- Je te file un coup de main pour le placard, ensuite tu pourras t’attaquer à ce qui sert de douches ici, d’accord ? Personne n’en saura rien, le rassura-t-elle.

- D’accord, acquiesça Dom.

  Les yeux éclairés par le soulagement, Dom s’appliqua à la tâche avec un enthousiasme qui mit du baume au cœur de Charlie. Ni vu ni connu, le placard fut remis en état en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, encore mieux rangé qu’à l’origine.

- Merci, Charlie !

  La jeune fille lui sourit.

- Ça va aller maintenant ?

- Je pense que oui, dit Dom en souriant à son tour.

  Le garçon se saisit d’un seau, d’une serpillère et avança prudemment vers le côté des garçons.

- Ah oui, au fait, laisse les taches dans les coins tranquilles, tu gagneras du temps, lança la rousse.

- Oui, Fred m’a prévenu, rigola Dom avant de disparaître dans les sanitaires.

  Charlie retourna du côté des filles et s’appliqua à terminer le nettoyage. Même si elle n’était pas aussi proche des autres orphelins qu’ils pouvaient l’être entre eux, ces petits moments de complicité fugaces la coupaient dans sa solitude. Ces moments la faisaient se sentir presque à sa place. Dès que l’occasion se présentait, elle saisissait ces instants, parfois même inconsciemment. Toujours prête à porter secours, à prendre la défense de ses camarades. Cela lui avait d’ailleurs valu d’innombrables séjours à l’Isoloir : contrarier l’autorité de la Directrice n’était guère conseillé si vous désiriez mener une existence paisible. Mais c’était plus fort que Charlie. Elle ne pouvait pas rester les bras croisés devant l’injustice et la cruauté gratuite dont les orphelins étaient la cible constante. Alors, elle se révoltait ouvertement, elle qui était pourtant d’un naturel calme et silencieux. Elle aurait très certainement pu faire partie intégrante de La Resistencia si elle n’était pas si refermée sur elle-même dans d’autres circonstances.

  L’adolescente haussa les épaules en déposant seau et torchons dans le placard fraîchement rangé. Bien qu’elle se sente seule parfois, sa situation pourrait être pire. Elle avait ses échappatoires au grenier, des livres par dizaines pour s’évader, elle avait son étoile. Robbie vint se glisser dans son esprit, mais elle le chassa rapidement. Elle ne voulait pas penser à cet idiot pour le moment. Elle glissa un coup d’œil du côté des garçons pour voir comment se débrouillait Dom. Ce dernier leva la tête au moment où elle passait.

- T’as déjà fini ? demanda-t-il, légèrement envieux. Comment tu fais ?

- Des heures de pratique. T’en fais pas, ça va venir.

- Combien d’heures ?

- Pas tant que ça, sourit Charlie, en lui faisant signe de la main.

  Elle arpenta les couloirs, prenant la direction de l’aile sud, attentive à ce que personne ne la remarque. Elle grimpa ensuite les escaliers quatre à quatre, et poussa un soupir de béatitude en passant la trappe du grenier. En prenant Peter Pan là où elle l’avait laissé la veille au soir, Charlie se demanda brièvement à quelle corvée Robbie avait été assigné et comment il se débrouillait. Puis elle ouvrit son livre et se replongea dans sa lecture. Qu’importe la tâche, elle était sûre d’une chose : Robbie passait un sale moment. Sa certitude se confirma à l’heure du dîner lorsque le garçon entra dans le réfectoire, l’air à la fois dépité et révolté, ses cheveux noirs gris de poussière.

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