Jungle urbaine

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Tout ceci aurait pu être évité si Romain avait été moins con. D’ailleur ses amis le lui disaient souvent. Par exemple, quand ils le mettaient au défi d’aller mettre une main au cul de cette jolie blonde et qu’à son retour pourchassé par les cris de la jeune femme, ils s’exclamaient “T’es con Romain !”. Ou bien le jour où il s’était fait viré pour avoir dit à son patron “Je commence à bosser quand le match sera terminé.”, et lui de s’en vanter devant ses amis qui répondirent en coeur : “T’es con Romain !”.

Bref, Romain et ses amis étaient réunis chez Lionel et passaient une bonne soirée dans l’appartement de ce dernier, entendez par là qu’il avaient beaucoup bu, cependant lorsque les voisins menacèrent d'appeler la police pour tapage nocturne, Romain et ses amis se décidèrent à rentrer chez eux, non sans avoir fait un détour par le couloir pour sonner à la porte des dits voisins à plusieurs reprise avant de dévaler le vieil escalier de bois en faisant autant de bruit que possible.

  • Ho, vous savez pas qui habite ici en plus de Lionnel ? demanda l’un des amis de Romain.
  • Ta mère, répondit Romain.
  • T’es con Romain, non c’est Sabrina, la rousse de la cantine avec ses lunettes triple foyer et ses peluches de chat.
  • Houuuuu ! s’exclamèrent les compères en regardant Eric.

En effet, Éric avait le béguin pour la jolie rousse depuis plusieurs semaines.

  • Eric, pas cap de trouver sa porte et de l’inviter ce soir à sortir avec toi ! s’exclama Romain.
  • Houuuuu ! C’est chaud, se moquèrent les autres.

Eric pour sa part se contenta de rougir sans répondre. Cependant ses amis insistèrent tellement qu’il finit par s’exclamer avec colère :

  • C’est bon là ! C’est une heure du mat. Je vais pas aller la faire chier à une heure pareille, en plus elle me connait même pas.

L’ambiance joyeuse qui avait un instant plus tôt empli toute la cage d’escalier venait de se briser comme un verre de cristal tombé au sol. Ils finirent de descendre et arrivèrent devant les boîtes aux lettres. Romain s’arrêta. Il repéra rapidement une S. Charpentier au sixième étage. Lorsque tous ses amis furent sortis, il ferma la porte de l’immeuble derrière eux et sortit son téléphone pour lancer un appel de groupe, seul Lionel qui dormait déjà dans son canapé ne répondit pas.

  • T’es con. Pourquoi tu nous appelle, on est juste là ? demanda l’un des amis.
  • Regardez-moi bien ! Romain le pourfendeur de virginité, venu sauver Éric le puceau ! Déclama-t-il d’un ton grave. Gardez-le ici, je reviens avec sa future meuf.
  • Non putain ! je t’ai dit que je voulais pas y aller ce soir. Sort de là ! s’écria Éric en essayant furieusement d’ouvrir la porte.

Il sonna, en vain, Lionel dormait profondément.

  • Tu me remerciera quand tu l’auras niqué, par contre si elle ouvre la porte en petite tenue y’a moyen que je lui fasse une petite levrette vite fait, mais t’en fait pas j’irais pas profond histoire qu’elle soit pas trop déçu en voyant ta teub de nain de jardin ! s’écria Romain avec un sourire narquois alors qu’il montait les marches quatre à quatre.

Lorsqu’il atteignit le cinquième étage, l’appel prit fin abruptement car son téléphone ne captait plus. Il rangea l’appareil dans sa poche. Il monta au sixième étage rapidement. La cage d’escalier débouchait sur un long couloir. Ne sachant de quel côté aller, il partit à droite. Le couloir tourna et se termina sur un cul de sac. Des quelques portes de ce côté, aucune ne portait le nom de Sabrina. Il repassa devant la cage d’escalier et s'engagea dans l’autre moitié du couloir. La dernière lampe du couloir avant l’angle était éteinte et lorsqu’il arriva dans ce qu’il croyait être la dernière partie du couloir plongée dans l’obscurité il dû ressortir son téléphone pour s’éclairer. En passant près d’une fenêtre, il avait retrouvé le réseau. Plusieurs messages d’Éric vibrèrent, et Romain les ignora, car autre chose venait d’attirer son attention. Il s’arrêta un instant coupé dans son élan. Pendant un instant il chercha où était la caméra cachée, car certainement on lui faisait une blague. Le couloir semblait envahi de végétation. À force de regarder de plus près, il finit par comprendre qu’il s’agissait de décoration, les lianes en plastique étaient si bien faite qu'à moins de les toucher il était presque impossible de les différencier d’un végétal véritable. Tous les murs du couloir et même le plafond en étaient recouverts et la personne qui avait fait cela avait pris soin de dissimuler les attaches sous plus de feuilles en plastique. L’illusion était complétée par des petits diffuseurs fait de petit flacon dont le bouchon, percé d’un trou, laisser dépasser une tige de bois qui était plongée dans le parfum. Romain ne put résister à la plaisanterie qui lui brûlait les lèvres. Son téléphone en main, il se plaça dos aux décorations et relança l’appel de groupe :

  • J’ai atteint la fameuse jungle urbaine, qui est l’habitat naturel de la femelle du puceau : la nerd à lunette.

Il coupa le son pour ne pas entendre les protestation d’Éric et continua :

  • Je sais que je prends de gros risques, en effet cette jungle abrite aussi l’un des plus dangereux prédateurs au monde, le boa constrictor, dit-il sur un ton d’explorateur de télévision en pointant la caméra sur son entre-jambe.

Il prit un instant pour rire silencieusement à sa propre blague et remit la caméra sur son visage en prenant un air grave. Il continua son monologue en se déplaçant comme un chasseur vers la seule porte au fond du couloir qui devait être, par élimination, celle de Sabrina.

  • Ce monstre peut atteindre les six mètres de long en pleine extension et il est assez puissant pour s’enrouler autour d’une voiture et la plier en deux, murmura-t-il avec un grand sourire.

Hélas la communication coupa de nouveau avant qu’il ai pu énoncer sa dernière blague sur le “venin du serpent". Il s’approcha de la porte. Elle était, elle aussi, décorée de feuilles et de fleurs en plastique qui couvraient presque toute sa surface. Le seul endroit libre de feuillage artificiel était la petite plaque en verre sous laquelle était glissé un papier écrit à la main et décoré de fleurs en sticker ou l'on pouvait lire : “Sabrina Charpentier : Sorcière”.

  • Ho non, c’est trop cringe ! s’exclama Romain, en prenant en photo l’étiquette pour l’envoyer sur le chat groupé accompagné de quelques smileys vomissant.

Il poussa le petit bouton de sonnette qui produisit un son d’oiseaux exotique. Il souffla un grand coup et s'agrippa au montant de la porte alors que les vapeurs d’alcool lui montaient à la tête. L’odeur de sa propre haleine lui arracha une grimace. Comme il n’y avait pas de réponse, il sonna rapidement plusieurs fois sans laisser le temps aux cris d’oiseaux de se terminer, provoquant une horrible cacophonie. Il retint un éclat de rire en repensant à sa blague sur le boa et réajusta son service trois pièces pour le présenter sous un jour avantageux.

Comme personne ne répondait, Romain tapa bruyamment à la porte. À sa grande surprise dès son premier coup la porte s’entrebailla en grinçant. L’intérieur était sombre et personne n’avait ouvert la porte. Elle était simplement déverrouillée et s’était ouverte sous ses coups. Il pointa la torche de son téléphone vers l’intérieur. Le petit couloir qui servait d'entrée à l’appartement était très semblable à la partie commune, cependant le sol était couvert d’un tapis vert en plastique imitation herbe et les montants des portes étaient couverts de fausses lianes. Romain dénombra deux portes à droite, une au fond et deux sur la gauche. Il tenta de rappeler ses amis, mais l’appel échoua par manque de réseau. Il se contenta donc de leur envoyer un message accompagné d’une photo :

La nerd à lunette à déserté son terrier pour aller chercher l’attention de son mâle à la grande soirée poésie et vin rouge. Je vais prendre un trophée et j’arrive. Attendez moi !

Puis il ouvrit la première porte sur sa droite. Il arriva dans une petite pièce. En face de lui se trouvait une fenêtre et devant la fenêtre une table et sur la moitié de la table la plus proche de la vitre, des pots en terre cuite. Cette fois il s'agissait de véritable plante. On pouvait sentir l’odeur des fleurs et de la terre mouillée. Des tiges verticales de ces plantes pendaient des dizaines de petites fleurs violettes. La pièce était baignée dans la lumière orange et diffuse des lampadaires de la ville se reflétant contre l’épaisse couche de nuage. Sur l’autre moitié de la table il y avait une assiette vide et des couverts ainsi qu’un carnet et des crayons à papier. Les murs étaient peints de diverses nuances de vert et de marron et des bouquets de fleurs multicolores étaient accrochés à plusieurs endroits. Il était évident que Romain ne trouverait pas ici une seule culotte de Sabrina, il fit néanmoins quelques pas dans la pièce pour ouvrir la fenêtre. Il se pencha par-dessus les fleurs violettes qui n'avaient pas d’odeur et essaya de voir si ses amis étaient en bas, mais il ne reconnut pas la rue. Il était un peu désorienté. La porte de l’immeuble devait être de l’autre côté.

Il retourna dans le petit couloir avec son tapis vert et essaya la porte qui lui faisait face. Cette fois il entra dans une salle de bain. La pièce était très faiblement éclairée par un petit hublot sur le mur d’en face qui devait donner dans une cour intérieure car la lumière était bien moins forte. Romain chercha à taton un interrupteur sur le mur et finit par allumer une lampe équipé d’un couvre lampe vert. La salle de bain était elle aussi pleine de plantes, vraies et fausses. Il fouilla les tiroirs à la recherche de son trophée, mais ne trouva pas ce qu’il voulait. Il trouva néanmoins une crème pour l’hygiène intime parfum vanille et prit un selfie avec la dite crème qu’il se hâta de poster sur le chat groupé accompagné du commentaire : “Moule à la vanille pour Eric ce soir !”.

Alors qu’il envisageait de quitter la pièce, son téléphone se mit à vibrer.

  • Alors on vient aux nouvelles, je vous ai éclaté ou pas ? demanda Romain avec un grand sourire.

La lumière derrière ses amis avait changé, ils étaient moins nombreux aussi.

  • Putain j’y crois pas ! Vous êtes parti sans moi ! s’énerva-t-il.
  • Aller Romain ça fait plus rire personne ta blague arrête avant que quelqu’un appelle les flics. Eric est super vénère, rajouta Arnaud.
  • Je m’en bat les couilles, je vais lui ramener une cullote et ça sera plus d’action qu’il aura connu dans toute sa vie de puceau. Mais si y continue à me les briser, je vais lui ramener le god à Sabrina pour qu’il s’le foute dans le cul !

Tout en parlant, il souleva une plante posée sur un panier à linge sale et vérifia le contenu de ce dernier, hélas il ne contenait que des T-shirt pokemon.

  • Putain de nerd, murmura Romain.

Il retourna dans le couloir et se dirigea vers la seconde porte du côté gauche. La communication coupa aussitôt qu’il fut dans le couloir. Au moment où il posa la main sur la poignet de la porte un son d’oiseau exotique retentit derrière lui. Il se retourna. La lampe de son téléphone braquée sur la porte d’entrée entrouverte ne révéla rien de plus que la décoration extravagante. Il rentra dans la petite pièce. Il devait s’agir d’un bureau mais ici en plus des plantes qui débordaient de leur pots, des murs peints couleur jungles et du tapis imitation herbes qui couvrait le sol, il pendait du plafond des lianes épaisses et touffues.

  • Cette gonzesse à un sérieux problème avec les plantes, maugréa Romain en écartant les lianes pour se frayer un chemin jusqu’au petit bureau

Il trônait sur le meuble en bois clair un épais tas de livres entouré de carnet de dessin et de matériel de peinture. Il vérifia l’unique tiroir qui contenait seulement des feuilles A3 en papier cartonné. Il se dirigea vers l’armoire de bois qui était près de la fenêtre. Des manteaux plus ou moins épais étaient accrochés sur des cintres. Des tas de vêtements plus ou moins bien pliés étaient disposés de manière chaotique sur l’étagère supérieure. Une odeur de poussière régnait dans l’armoire.

  • Le chasseur se rapproche de sa proie, murmura-t-il en remettant un collant en vrac parmi les autres vêtements.

Alors qu’il quittait la pièce, il sentit entre les feuilles qui glissaient sur son visage quelque chose crocheter la peau de son oreille. Trop éméché pour ralentir à temps, il se déchira la peau en avançant.

  • Putain, mais elle a foutu des ronces là-dedans ! s’écria-t-il furieux.

Romain, sentant le sang couler dans son cou, braqua la caméra du téléphone vers lui-même pour constater l’étendue des dégâts. Trois trous, situés à intervalle régulier et dont le premier était dans le lobe, défiguraient son oreille. Autre chose attira son attention : son visage sur le téléphone souriait. Romain se figeat, incapable de détourner son regard de l’appareil. Sur l’écran, une langue noire sortit d’un coin de la bouche de son visage souriant et s’étendit pour lécher le sang de son oreille. Brusquement les yeux qui lui faisaient face se fixèrent dans les siens, brillant d’une lueur malsaine.

  • Ho merde ! s’écria Romain en laissant tomber son téléphone au sol.

Il respira bruyamment et recula, plus de ronces pendant du plafond s’accrochèrent sur son crâne et le sang se mit à couler abondamment des multiples écorchures. De rage il se retourna brusquement et agita les bras pour arracher les plantes. Nombre d'épines se plantèrent dans ses doigts et ses avant-bras. Il poussa un cri de douleur. Pantelant, il finit par se baisser pour ramasser son téléphone en tremblant. Il observa craintivement son visage à travers la caméra de l’appareil, tout était revenu à la normale.

Il retourna dans le couloir, à peine fut-il sorti de la pièce que les bruits d’oiseaux exotique de la sonnette retentirent deux fois. Il sursauta et manqua lâcher son téléphone lorsque ce dernier se mit à sonner dans sa main. Il s’agissait d’Arnaud et il était seul derrière l’écran.

  • Tu es encore là-bas ? Je reçois pas d’image.
  • Ouai.
  • Ça fait des heures que tu y es, sort de là, fous la paix à cette fille.
  • Aller c’est bon Romain, arrête de faire le con et dégage.
  • Un vrai chasseur ne recule jamais devant le danger.

Son ami n’eu pas le temps de lui rétorquer que “bien au contraire, les chasseurs évite à tout prix le danger et profite de toujours des proies les plus faibles pour se sustenter”, car il avait déjà raccroché.

Romain pénétra dans la seconde pièce à droite. Le lit qui trônait contre le mur gauche était couvert de drap vert et d’un couvre-lit semblable à des lianes. La petite étagère sous la fenêtre était couverte de pots en terre et les plantes grimpantes avaient escaladé tout le contour de bois de la fenêtre.

Une commode se trouvait juste derrière la porte. Romain claqua la porte pour accéder au meuble. Il ouvrit les tiroirs en vitesse et finit par trouver l’objet de son désir, une culotte noire à dentelles. Il la fourra dans sa poche et un bruit sourd retentit dans le couloir. Il sursauta et se précipita sur la porte. Il essaya de l’ouvrir, mais le bouton à rotation qui servait de poignée glissait dans sa main moite. Le bruit des oiseaux se fit entendre, mais cette fois le bruit de la sonnette ne s’arrêta plus. Romain s’acharna sur le bouton, mais sans parvenir à le tourner suffisamment pour ouvrir la porte. Le feulement d’un grand félin résonna derrière son dos. Prit de panique il assena un coup d’épaule sur la porte, puis un deuxième qui fit craquer le bois mais le sens d’ouverture interdisait d’ouvrir la porte de cette façon à moins de la défoncer complètement. Il donna du pied contre le bois et après deux coups, son pied passa à travers. Une écharde de bois lui griffa profondément le mollet et son pied resta coincé du mauvais côté de la porte. Il dut tirer sur sa jambe, déchirant plus encore sa chair pour le ramener du bon côté. Les cris de plusieurs animaux sauvages le plongèrent dans une nouvelle vague de panique, il pouvait sentir la sueur glacée qui coulait le long de sa nuque et le sang qui imbibait son jean. Il recommença à frapper la porte avec son épaule. Finalement le battant entier céda et il passa à travers. Il se retrouva dans le couloir face contre terre, mais il sentait quelque chose d’anormal. Le souffle court, il chercha son téléphone à tâtons. Lorsqu’il l’eut de nouveau en main, il saisit un meuble granuleux et s’appuya dessus. En se relevant il observa ses mains, elles étaient maculées de terre. Ce qu’il avait pris pour un meuble était en fait la branche basse d’un grand arbre. Au-dessus de lui, à travers la voûte des arbres, il apercevait un timide quart de lune. De nouveau il entendit le feulement et se mit à courir. Il ne voyait plus autour de lui de porte, de mur ou de couloir, mais des arbres, des lianes et de la terre. Il entendait le bruit lointain d’une rivière, le chant des oiseaux et les cris de milliers d’animaux. Il n’entendit jamais le tigre s’approcher. Lorsqu’il sentit le poids de la bête qui venait de sauter sur son dos, il poussa un cri de douleur, mais la gueule de l’animal plongea vers sa gorge. Les canines horriblement longues perçèrent son cou et le sang se mit à couler dans sa trachée l’empêchant de respirer il toussa. La douleur l’inonda le froid et l’ombre recouvrirent tout.

Il ouvrit les yeux pour trouver devant lui un policier à l’air fatigué qui le regardait comme s’il attendait une réponse. Romain respira bruyamment, il essaya de mettre les mains à sa gorge, mais elles étaient menottées. Il chercha des yeux le tigre, mais il n’était pas là. La jungle avait elle aussi disparu.

  • Donc je répète, dit le policier, vous êtes accusé de vol avec effraction au domicile de Madame Charpentier ainsi que de consommation de stupéfiant et abus d’alcool sur la voie publique. Est-ce que vous voulez faire appel à un avocat ?

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