Chapitre douze: dans les coulisses

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L'injustice. L'injustice menait à la révolte. Surtout quand elle venait d'un fasciste se croyant au-dessus tout. Surtout au-dessus d'elle. "Tu obéis". Il criait. "Tu te tais et tu obéis", il lui crachait au visage pour la soumettre. Et elle le haïssait de toute son âme. Il n'était plus son grand-père. Il était un putain de tyran. Il pouvait frapper, alors, oui, souvent, ça se taisait. Sinon c'était une baffe en plein visage ou plusieurs tartes derrière la tête. Avec une main comme un couvercle de poubelle, ça faisait fermer la gueule même de Siobhan. Une enragée elle aussi. Mais soumise à lui.

On se demande d'où vient le rapport de force, pourquoi les faibles sont dans la merde et continuent à se taire pendant que les forts sont pénards, se faisant inquiéter de rien. Elle avait envie de lui cracher au visage aussi. "C'est ta faute! A cause des gens comme toi!". Il n'était plus son grand-père. C'était un connard qui voulait la mettre à genoux. Elle se défend en lui rappelant qu'on est en démocratie. Qu'on a le droit de s'exprimer librement. Il se moque d'elle méchamment, en continuant de hurler. Elle a envie de lui dire qu'elle l'entends très bien, pas besoin que le village entier sache que t'es un putain de fasciste. Ma gauche de merde elle a de meilleurs valeurs que ta droite anti-étrangers. Il la sort de la cuisine violemment pour plus l'entendre. Elle est belle la famille. Quand elle était plus jeune ça la faisait pleurer. L'injustice. La connerie de son grand-père qu'elle ne supportait de voir chez cet homme qu'elle estimait, respectait et qui détruisait tout avec des propos de tyran. "Tais-toi! Tu obéis!" ces mots là. Ces mots. Dans sa bouche. Elle a envie de lui dire: « Pour qui est-ce que tu te prend pour me traiter comme ça? Regardes toi dans une glace et dis moi si tu aimes ton image ? Dis moi ce que tu ressens ?" Elle le haïssait d'être un connard dans ces moments-là, parce qu'il n'était plus son grand-père, non. Il était tout ce qu'elle détestait. La mauvaise foi. La plainte de ce qu'on ne subit pas. Le rapport de force. En coups et en cris. Le rapport de supériorité. Oui. Tu peux me frapper pour me faire taire. Tu en es fier? Il était l'oppression. La violence. Le mensonge. La trahison. Souvent il disait aussi "Moi je suis ton grand-père et toi t'es qu'une gamine, tu n'es rien." Je ne suis rien grand-papa? Lui demandait-elle silencieusement. Dans ces moments là elle avait envie de se suicider pour le punir. Et maintenant, Ô mon cher grand-père, que suis-je? Elle avait ses tords, oui. Mais tout ce qu'elle faisait c'était par amour des autres et de la vie. Et les autres essayaient de le lui prendre. Sa sœur. Son grand-père. Tous. Ses amis. Ses profs. La télé. Il n'y avait que sa mère. Et encore. Quand elle était face à son père, Léopoldine semblait ahurie.

Elle l'avait viré une fois de la maison. Il n'avait plus donné de nouvelles pendant un an, jusqu'à ce qu'elle, elle vienne s'excuser. De quoi bon sang !? De défendre ta fille devant un homme aigri, qui subit sa vie au lieu de la vivre, en rejetant toujours la faute sur les autres !? « Il n'était pas comme ça avant, tu sais bien comment il peut s'emporter, il faut éviter certains sujets. Ton grand-père t'aime et au fond, c'est quelqu'un de bien, tu le sais !? » Elle doutait parfois. Elle se demandait sincèrement si le prisme de sa mère n'était pas biaisé par le fait qu'elle avait peu connu son père et l'avait tellement idéalisé qu'elle avait perdu, et depuis longtemps, toute objectivité à son égard. Elle leur disait silencieusement d'aller se faire foutre! Elle y tient à sa liberté, elle la garde au creux de ses bras, la berce, l'emmène avec elle partout où elle passe. Et elle en bave de sa liberté. Elle en souffre chaque jour. Et son grand-père est là encore, pour la lui briser sa liberté. Tu es mon grand-père, oui. Et moi, je suis ta petite-fille. Mais nous sommes deux êtres différents qui sommes liés. Et ce lien, tu l'étiole chaque fois que tu joues à ce jeu. Et le grand-père ça le rend fou quand elle répond. Il faut la faire taire à tous prix. A tous prix. Il se sent rudoyé dans son orgueil. Comme les tyrans, ça met en péril ses pleins pouvoirs. Alors il élimine. Elle a envie de lui dire, regarde combien ta conduite est semblable aux tyrans que tu critique. Regarde. En ça, au moins maintenant, elle sait qu'elle est vraiment différente. Elle peut avoir une conversation avec quelqu'un sur leur point de vue différent. Elle peut parler aux plus jeunes comme aux plus vieux sans se moquer ouvertement, cruellement, de leurs croyances et de leurs idéaux. Maintenant elle sourit, elle se moque de sa colère qui le fait devenir si con. Bien, si tu veux t'enfoncer là-dedans, parfait. Tu te détesteras assez pour nous deux plus tard. Pourtant elle sait que ces paroles le blesserait, énormément. Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que c'était parce qu'il ne supportait pas la vérité. Personne n'était honnête envers personne. Pour garder la société bien en phase avec elle-même. Mais seulement, si elle avait put le dire à son grand-père, si elle avait été franche dès les premières fois où elle avait comprit pourquoi elle le haïssait si intensément... Mais elle ne pouvait pas, on ne blesse pas un grand-père comme ça. Même si ça ne veut pas dire qu'on l'aimera moins. Qu'on ne le respecte pas. Qu'on ne l'estime pas.

Elle va dans sa chambre. Elle met de la musique, de celle qui lui font avoir raison. La vie ce n'est pas ce que tu veux pour moi. J'en veux pas de ta vie. J'aime mes gauchos de merde. J'aime être écolos. J'aime préférer les animaux que les hommes. J'aime être dans la nature dès que je le peux. J'aime profiter de la vie. J'aime être gentille même si on me considère comme naïve. George Sand a écrit « Tel qu'il est, incomplet et condamné à une éternelle enfance, il est encore plus beau que celui chez qui la science a étouffé le sentiment. Ne vous élevez pas au-dessus de lui, vous autres qui vous croyez investis du droit légitime et imprescriptible de lui commander, car cette erreur effroyable où vous êtes prouve que votre esprit a tué votre cœur, et que vous êtes les plus incomplets et les plus aveugles des hommes ! » Et je t'emmerde avec le sourire. Ça m'est égal. Je ne serait pas malheureuse pour que tu te sentes mieux. Je ne suis pas résignée comme tu peux l'être, j'ai encore de l'espoir, je dirait même la Foi ! Une foi d'enfant, peut-être ! N'est-elle la plus originel ? La plus proche de ce que nous sommes vraiment ? Non, la vie ce n'est pas seulement « ça » ! Metro-boulot-dodo. La société est un grand filet qui racle les fonds marins et détruit tout un eco-système sur son passage. Mais il y a les microcosmes, les particules, les tout petits poissons, qui, eux, passent entre les mailles. Elle est de ceux-là. Personne ne les voit, invisible, méconnu, et pourtant c'est grâce à elle et des millions d'autres invisibles, que la vie retrouve son chemin. L'amour égoïste garde le pour toi grand-père, je ne serait pas ta projection. Donne toi bonne conscience quand tu vois les cicatrices sur le bras de ta petite-fille. Dis toi que ce ne sont que des effets de lumière. Elle, elle sait que ces marques, c'est son endurance au mal. C'est sa volonté de vivre même sous le coup des douleurs les plus rudes. Elle était plus forte et plus fragile qu'il ne le savait. Et ne le saurait certainement jamais.

Elle se met au piano, et elle joue. Sans partitions, juste elle se laisse emportée par les notes et les émotions qui la trouble. Elle joue, ça ne rends peut-être pas jojo, mais ça lui fait un bien fou. Elle canalise sa colère et l'exprime pour qu'elle passe, comme l'orage d'été. Intense, furieux, violent, mais d'une beauté époustouflante. Ce qui n'est peut-être pas le cas de la suite de notes qui s'enchaînent sous ses doigts, mais elle s'en fou. Elle se sent belle dans toute l'expression de sa colère. Elle se sent forte, elle se sent puissante, et comme en transe, toutes les molécules de son corps vibrent avec les cordes frappées. Elle reprends son souffle. Elle se sent un peu mieux. Elle regarde les touches de son piano, et les caresses à présent, avec un petit sourire de joie, de gratitude et d'amour. Il y a de la magie dans la musique. Il y a toute une puissance vibratoire que les mots ne peuvent pas exprimer. Il y a toute une dimension, qui est toujours là, mais qu'on ne voit pas. Qu'on ne sait pas. Qu'on ne sait pas voir. Le calme est revenue dans la maison. Cela durera peu, le grand-père voudra manger à telle heure, et pas une autre. Sa mère sera angoissée, comme chaque fois qu'il est là. Elle passera alors ses nerfs sur ses filles ou sur les chiens. Ce n'est pas grand chose chez elle, elle est plus impatiente, elle élève plus facilement la voix. Elle est tellement douce, qu'effectivement, ça se voit. Mais Léopoldine ne lève pas la main, n'use pas d'autoritarisme mais d'autorité. Il y a toute une différence. L'autoritarisme est un abus d'autorité, l'autorité est exercer par la force, la soumission, la peur. L'autorité est donné par celui qui la reconnaît. La règle est respectée lorsque tous ceux qui doivent la pratiquer la comprenne, la trouve légitime, ou encore mieux, qui est initié et demandée par elles et eux. C'est ce qu'elle appellerait « la responsabilité ». Elle pense que chacune et chacun a besoin de trouver un sens à son existence et d'en être responsable. Que la société et l'autoritarisme imposé plus ou moins dans le monde est une démission. L'humain gagnerai beaucoup à revoir cette différence en autorité et autoritarisme, autant les résignés que les révoltés, et à prendre conscience qu'Il a besoin d'autorité pour vivre ensemble, mais que cette dernière et de sa responabilité, de la responsabilité de toutes et tous, en la construisant ensemble, et non plus de se dédouaner auprès d'êtres qui en abuseront à leurs propres profits. Comme son grand-père, qui impose des règles pour avoir son propre confort. Si on regarde les échelles de la famille, des communautés et de la société, tout se répète. Jusqu'à ce que quelques uns s'en détourne. Enfin. Peut-être.

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