Petites attentions

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  Cinquante-troisième jour de confinement. Le soleil inondait mon petit séjour de sa lumière et je m'éveillais au son de l'horripilant chant des oiseaux plus tôt que ces trente derniers jours. À dix heures. L'air était empli du même silence assourdissant que depuis le début de cet enfer. J'essuyai le fil de salive qui coulait de la commissure droite de mes lèvres et me levai pour étirer chaque fibre musculaire de mon corps. Avoir une vraie nuit de sommeil à des heures proches de la normale m'avait donné un sursaut d'énergie que je décidai d'employer à faire de l'exercice.

  Avant tout cela, j'étais du genre sportif. M'y remettre parviendrai peut-être à améliorer mon moral, alors terré six pieds sous terre. Un peu de cardio et quelques séries de pompes et d'abdos eurent raison de moi. Je pris une longue douche et me dirigeai vers la cuisine pour m'offrir un bon petit-déjeuner en guise de récompense. Je franchis le seuil de la porte et restai cloué sur place, hébété par le spectacle qui se dressait devant moi.

  Une odeur de viennoiserie tout juste sortie du four embaumait la cuisine qui était plus propre qu'un bloc opératoire. Deux pains au chocolat et un croissant encore fumants, mes péchés mignons, trônaient sur la table avec un pot de confiture de fraises ouvert. Un bol de chocolat au lait chaud était posé à ma place, ma chaise légèrement tirée, et une rose rouge reposait délicatement où serait placée ma main gauche. Il y avait tout ce que j'aimais déguster pour bien commencer mes journées sur cette table, mais j'étais perplexe. Presque terrifié. Qui avait bien pu s'introduire chez moi pour me faire cette troublante attention ? Qui me connaissait assez bien pour connaître à ce point mes goûts ? Le ménage avait même été fait ! Comment tout cela avait-il pu se faire sans que je n'entende le moindre bruit ? C'est alors que je repensais à la mystérieuse présence de la veille, dans ma chambre. A cette respiration délicate et à ce regard insistant, désincarné. Les petits cheveux de ma nuque se dressèrent et un froid sépulcral fit frémir tout mon corps. Je me saisis de l'assiette de viennoiserie et en vidai fébrilement le contenu dans la poubelle, jetai le lait dans l'évier et ouvris l'eau en grand. Je fermais les yeux si forts que les larmes me montèrent aux yeux. Appuyé sur le rebord de l'évier, les jambes flageolantes, je tentais de me concentrer sur le bruit de l'eau pour retrouver mon calme. C'était à n'y rien comprendre. Et je ne voulais aucune explication. J'avais trop peur de la réponse que je pourrai trouver. Quelle qu'elle soit.

  Je fermai le robinet et allai vérifier les verrous de la porte d'entrée. Deux verrous de sécurité et une serrure tubulaire, tous trois bloqués. Les fenêtres étaient elles aussi verrouillées. Pas moyen d'entrer. Ni de sortir. Je m'assis dans mon séjour, devant mon ordinateur, complètement perdu, et décidai de me mettre au travail, histoire de retourner à une certaine normalité. D'oublier. Mais toute la journée durant, j'entendis le souffle suave de mon admiratrice invisible chuchoter à mon oreille.

***

  Le réveil suivant fût pire encore. Mes yeux et mes sens s'étaient ouverts sur un monde de silence. Même en tendant l'oreille, j'eus la satisfaction, étrangement mêlée d'une certaine déception, de ne pas entendre gazouiller les riverains ailés des arbres d'en face. Je me décidai à me lever et posai mes pieds nus sur le parquet de ma chambre. Quelque chose de légèrement velu et de chaud craqua son mon poids. Je sursautai et écartai mon pied gauche qui heurta une autre petite boule de poils. Mon sang ne fit qu'un tour. Je me précipitai vers les rideaux de ma chambre dans une cacophonie hideuse de craquements et de borborygmes répugnants. Mes mains agrippèrent les rideaux et les tirèrent si fort que les anneaux de l'un d'eux cédèrent. La lumière du jour était intense, mais ne parvenait pas à effacer la large flaque de ténèbres que dessinait le plumage de dizaines de cadavres aviaires couvrant le sol de ma chambre. J'étais horrifié. Tous gisaient dans des postures évoquant une souffrance insoutenable, les yeux et le bec effroyablement ouverts. Était-ce moi qui avait commis cette abomination dans mon sommeil ? Je passais mes jours à les maudire et je n'étais plus que l'ombre de moi-même depuis si longtemps que m'en apercevoir m'effraya plus encore. Il fallait que cela cesse, maintenant ! Il fallait que le confinement soit levé au plus vite. Sans ça, les prochains humains que je verrai seraient des gorilles à blouse blanche, un gobelet de calmants dans une main et une camisole dans l’autre.

  Résolu à effacer toute trace de cette vision de cauchemar aussi vite que possible, je partis en quête d'un balai, de sacs poubelle et d'une paire de gants puis me mis à l'ouvrage. Il me fallut trois sacs poubelles et deux interminables heures pour venir à bout de ce charnier. Ma chambre de nouveau normale, et même plus propre qu'avant cette fenêtre ouverte sur un coin de l'enfer, je me sentis satisfait. Libéré d'un poids immense. Je me livrais à quelques heures de travail sur des dossiers envoyés par mon supérieur hiérarchique, puis m'affalai sur mon canapé et allumai ma télévision.

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