Le courroux du commordore

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Le chef de l’aviation rutharne, seul officier général de cette branche, avait fait une entrée fracassante dans le bureau de son subordonné commandant la chasse. L’homme, ancien pilote de l’empire austro-hongrois et héro de guerre, n’avait rien perdu de son physique frêle. Ses cheveux gris métal coupés en brosse, son regard d’aigle et ses balafres, séquelles d’un accident, en faisait un individu effrayant à regarder. Cette façade démoniaque et son passé mouvementé avait fait naître la légende selon laquelle il y avait plus de métal dans cet homme que de matière vivante.


En guise d’introduction, il laissa tomber une pochette cartonnée sur la table de travail. Cette dernière s’y posa aussi lourdement qu’un avion en perte de portance. Puis le regard perçant de l’ancien chasseur interrogea le lieutenant-colonel Jermovenko avec dureté. Ce bleu froid glaçait n’importe qui. Sa bouche déformée par les opérations de chirurgie faciale affichait un rictus des plus mauvais. Si le grand chef prenait la peine de se déplacer sans prévenir, c’est qu’un pénible moment était à prévoir. Passé l’effet de surprise, les tripes subitement comprimées par l’appréhension, son interlocuteur restait peu dissert.


— Colonel, commença le commodore de sa voix sifflante et rocailleuse, pouvez-vous m’expliquer pourquoi un de vos subordonnés se permet de m’envoyer directement son rapport sans passer par la voix hiérarchique ?

— Je… Je ne comprends pas. Il doit s’agir d’une erreur, probablement un réserviste mal informé. Donnez-moi son nom et je veillerai à ce que cela ne se reproduise plus.

— Commandant Boris Ilyovenko, ancien commandant du département chasse de la section technique de l’état-major de l’aviation et désormais directeur des archives de l’aviation.


Chaque mot, articulé avec lenteur, fit l’effet d’une grêle de plomb. Jermovenko compris très vite que le bouillant officier, après avoir été remisé au placard, ne s’était pas laisser démonter. Il avait directement soumis ses idées aux plus hautes instances, en faisant fi de toute procédure. Une rage sourde commençait à monter et il serra la mâchoire. Pourvu que son adjoint trouve rapidement de quoi clouer au piloris cet intrigant !


— Ah, j’aurais dû m’en douter ! Il n’en fait qu’à sa tête, convaincu d’avoir raison contre tout le monde. J’ai essayé de le persuadé qu’il faisait fausse route mais…

— Ne perdons pas notre temps, colonel, je sais déjà tout cela. Le chevalier n’a pas manqué d’accompagner ses réflexions d’une note expliquant ses manières très cavalières.

— Dans ce cas, qu’attendez-vous de moi ? Une sanction ?

— C’est plutôt vous qu’il faudrait sanctionner !

— M… Moi ? mais pourquoi, monsieur le commodore ?

— Parce que vous avez laissé parler votre rivalité avant l’intérêt du pays !


Jermovenko s’apprêtait à nier en bloc, mais son supérieur le remarqua et, avant qu’il n’ait pu ouvrir la bouche, il se pencha vers lui et planta son regard d’acier dans celui, plus coulant, du commandant :


— Oseriez-vous affirmer le contraire ?

— C’est-à-dire que… laissez-moi vous expliquer ! Les succès de nos troupes sont fulgurants, nos aviateurs abattent quantité des leurs….

— Parce que le matériel ennemi est de moindre qualité. Qu’est-ce que cela va donner quand il l’aura remplacé, quand les LAGG, les MiG et les Yak vont prendre la place de leurs vieux Polikarpov ?

— Au train où vont les choses, les bolchéviques n’en auront pas le temps : ils seront battus avant !

— Dieu vous entende, colonel, mais ne sous-estimez pas notre adversaire. Il a des ressources humaines considérables ! Et peut-être même des industries bien à l’abri au fin fond de son empire.

— Vous ne croyez donc pas en la victoire ?

— Est-ce ce que j’ai dit ? Je crois que la victoire nous demandera plus de temps et de moyens que vous vous l’imaginez. Et quand bien même me trompé-je, la guerre continuera contre l’Angleterre pour l’Allemagne et l’Italie. Les appareils des deux camps vont évoluer. Allons-nous rester à la traine ?

— Mais quel serait alors nos besoins, si nous restons en dehors du conflit ?

— Vous le faites exprès ? La Hongrie se fournit chez nos deux alliés, il est donc évident que son matériel va évoluer. Et dois-je vous rappeler qu’elle n’a pas obtenu tous les territoires qu’elle convoitait en 1939, qu’en dépit de cela, l’Allemagne l’a toujours favorisée dans ses prétentions face aux autres nations. Ne vous y trompez pas, colonel, une fois la guerre contre les bolchéviques gagnée, nous n’aurons plus aucune utilité et pourront disparaître de la carte de la nouvelle Europe.

— Je… Je n’avais pas vu les choses sous cet angle-là. Vous…Vous avez en effet raison.

— Quand c’est moi qui vous le dis, ça vous semble frappé au coin du bon sens, mais quand c’est un subordonné, il a tort ! Arrêtez donc ce petit jeu ridicule, qui ne vous grandit nullement. Puisque les Allemands nous font un cadeau, acceptons-le. Ce n’est pas quand ils auront refermé leur main qu’il faudra aller leur faire les poches.

— Je comprends tout à fait, monsieur le commodore, je vais donner des ordres en ce sens.

— Ne vous donnez pas cette peine, commandant, j’ai déjà fait le nécessaire. Après récupération des chasseurs Arsenal, remise en état et mise en production par notre industrie. Le commandant Ilyovenko commandera l’unité chargé de les tester sur le front. Il aura alors toute liberté pour recruter ces hommes. Il ne rendra compte qu’à moi-même et mon état-major vous tiendra informé du strict nécessaire.


Frantisek Jermovenko sentit le couperet de l’humiliation s’abattre sur ses épaules et l’écraser sous un poids démesuré. Il venait d’être désavoué par le grand patron. Son orgueil était dynamité et son honneur avait volé en éclat. En une fraction de seconde, la vérité s’imposa : s’il voulait redorer son blason, il devait quitter l’armée avec panache. Alors que son interlocuteur rebroussait chemin, il se leva et l’interpela :


— Puisque je ne vous suis plus d’aucune utilité dans ce poste, je vous demande de m’en relever et de m’accorder le commandement d’une escadrille au front.

— Ne faites pas votre pleureuse, Jermovenko, je ne fais que vous enlever un dossier qui vous dépasse.

— J’insiste, monsieur le commodore.

— Il n’y a malheureusement aucun poste vacant. J’ai placé le commandant Ilyovenko à la tête de l’escadrille de bombardement, le seul poste d’officier supérieur disponible. Après son séjour aux archives, il doit reprendre la main.

— Mais c’est un chasseur…

— Et un ancien pilote d’essai qui a participé à l’évaluation du Breda.

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