Chapitre 4

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« J'annonce désormais le dernier numéro. Il s'agit du numéro 426. Je répète, le numéro ...».

Le tirage venait de prendre fin. La combinaison, désormais complète, s'afficha à l'écran. Je relus la suite de nombres avant de reprendre, chiffre par chiffre, le dernier numéro sorti : 4 - 2 - 6. Ces chiffres, tous ces chiffres, je les connaissais par cœur. Il s'agissait des miens. Cette suite correspondait à mon identité numérique.

Colette ne voulait pas y croire. Elle se tourna vers moi. Ses yeux s'embuèrent. De petits spasmes parcouraient ses lèvres. Sans même y réfléchir, je retroussai alors mon bras de chemise. Colette baissa le regard sur mon avant-bras. 426. C'était bien mes derniers chiffres. Même si elle les connaissait déjà, elle pouvait les relire sur ma peau; ils y étaient tatoués ainsi que le reste de la combinaison. Une marque qui faisait de moi un citoyen du pays. Un numéro parmi d'autres. Jusqu'à ce soir.

Je baissai la manche. Les yeux aussi, j'étais sonné par ce résultat, même si je m'y attendais. Mais, c'est comme se faire à l'idée d'un coup de poing. Quand on le reçoit, c'est différent. Ma Colette, elle, était dans le même état d'hébétude que moi. Sonnée.

_ C'est... c'est bien moi, lui bredouillais-je.

Elle se jeta alors dans mes bras pour étouffer ses premières larmes. Je restai contre elle pendant un long moment, silencieux.

Du poste de télé, le porte-parole dévoilait à tous l'identité du porteur des numéros tirés au sort.

« Les voies de la Providence ont nommé monsieur Lucien Pingault, électromécanicien chez T&D Group, résidant au 16 rue des Amandiers, appartement 7. Félicitons haut et fort l'heureux élu ! ».

D'un coup, feux d'artifice et bouchons de champagne s'emparèrent du quartier. Tous fêtaient l'issue de ce tirage qui leur avait été favorable. Mon nom résonnait dans les rues. Je l'entendais distinctement, entre deux éclats. Plus il se répétait, plus il se rapprochait et plus il m'était étranger. " Bravo Lulu", "Pingault, t'a tiré l''gros lot ! ". Des inconnus scandaient des slogans à ma gloire sans même savoir qui j'étais. Moi-même, je ne savais pas vraiment ce qu'il m'arrivait; ce que je devenais. Mais je savais que je n'étais désormais plus des leurs. J'étais devenu un autre, l'un des rares à avoir été touché du doigt par le hasard.

En mon for intérieur, je ne cessai de m'interroger sur l'issue de ce tirage, de me demander «Pourquoi moi ?» même si ce système électoral, d'une logique d'égalité sans pareil, avait pour réponse évidente : « Pourquoi pas ? »

Ainsi, en cette soirée d'élection, tout semblait m'échapper.

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