Les vivants enterrent les morts

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Sur la table de nuit, il y a leur photo de mariage. La robe et le costume tout neufs. Ils semblent y croire tous les deux. Pas vraiment le bonheur, mais un air que je ne leur connais pas.

Après, ils ont vécu leur vie. Une vie de merde, à travailler comme des brutes, honnêtes et misérables. Enfin, c’est leur histoire. Elle n’est pas idéale, mais elle est comme ça.

Entre deux lettres des huissiers mandatés par le Crédit Agricole, ils nous ont pondu, moi et ma sœur. Moi qu’on appelait le macaque à l’école, et ma frangine qu’on n’appelait pas. Et on a vécu ensemble tous les quatre. Tant bien que mal. Sans doute ni plus malheureux ni plus heureux que les autres. Un enfant ne se sent pauvre que lorsque ses « camarades » le lui font sentir.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Vous croyez que c’est par mélancolie ? Pas du tout.

Cette narration se veut détachée, factuelle et dépourvue d’émotions. Donc, retour aux faits.

De vivant, il ne reste que maman. Papa est mort un jour dans son sommeil. Même pas malade. Comme ça. Sa respiration s’est juste arrêtée. J’ai aidé le croque-mort à porter son corps endormi, raide et froid. Ce n’était pas une bonne idée. Mais ça a été bien pire de le voir allongé, tout blanc, dans le funérarium. On l’a ensuite enterré et la vie a repris son cours. L’amour, les regrets éternels, tout ça, c’est des conneries. Les vivants enterrent les morts et continuent de vivre en attendant leur tour. Bien sûr, ils vont voir leurs défunts de temps en temps au début, puis de moins en moins. Moi non plus je ne vais pas le voir souvent mais il m’arrive de lui rendre visite au cimetière. Je vais fumer une clope avec lui. Je ne sais pas si on fume dans un cimetière, mais lui aimait s’en rouler une de temps en temps, et vu qu’il ne croyait pas trop aux bondieuseries, c’est comme ça qu’il aurait aimé me voir.

Je lui dis les mots qu’un fils aurait voulu dire à son père sans jamais avoir réussi. Je lui parle de toutes ces discussions que nous n’avons jamais eues, de cette stupide pudeur qui interdisait toute marque d’affection. De tous ces tabous dévastateurs. J’aurais tant aimé qu’il me dise « je t’aime » ou « je suis fier de toi ». Et j’aurais aimé être capable de lui dire « je t’aime », moi aussi. Mais il est trop tard, je ne saurai jamais ce que je représentais pour lui.

IL reste un fond de prune dans la bouteille. Je la descends au goulot. Mon antidépresseur préféré.

Il reste un fond de vodka dans la bouteille. Je la descends au goulot. Sans ça, comment parler de ces choses-là ?

Tu sais, papa, malgré tout ça, je suis heureux d’avoir choisi la plaque qui t’accompagne dans l’ennui de l’éternité. Pas de « regrets éternels mon cul », ou autres promesses mensongères. Pas d’éternel. Juste « Tu continueras d’exister tant que nous penserons à toi ».

Je jette un œil sur ta photo qu’est sur mon bureau, celle où tu rigoles avec les petites. Je ne la regarde pas souvent parce qu’elle me fout le cafard. Un mec ça ne pleure pas.

Je t'embrasse et je t'aime.

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