Chap 3-5 La Bonne Nouvelle (2/2)

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  La réponse gifla sa mère dont la réplique s'étrangla au fond de sa gorge. S'en suivit un long silence glacial. Sonia réalisa qu'elle n'avait pas encore dit un mot. Mais là, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait su quoi dire. « Je vais être papa, précisa-t-il au cas où on n'avait pas bien compris. Alors, oui, cette fois, c'est la bonne... »

  Sonia tâcha de repasser la phrase dans sa tête afin d'en comprendre le sens, d'en décortiquer toute la complexité. « Je vais être papa ». Les mots avaient été prononcés d'un ton serein, pourtant la phrase était phénoménale, concise et démesurée à la fois. La révélation d'Adam avait mis tout le monde KO. Son père fut le premier à reprendre connaissance, mais il était encore sonné : « Adam, tu peux répéter ?

— Je sais ce que vous allez dire, mais c'est comme ça. Avec Géraldine, on était arrivé au terminus. Avec Eloïse, on s'est trouvé et on a compris qu'on était fait l'un pour l'autre. Elle est tombée enceinte un peu trop tôt. Mais nous avons décidé que nous allons le garder.

— Mais c'est qui cette fille ? bondit sa mère.

— Je te l'ai dit, elle est secrétaire, elle a vingt-neuf ans et c'est la future mère de mes enfants.

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? rumina son père.

— Mais elle est enceinte de combien ? fit sa mère.

— Trois mois.

— Trois mois ? répéta-t-elle en écarquillant les yeux. Mais...

— Attend un peu, fit son père, mais qu'est-ce que... mais qu'est-ce que tu racontes-là ? Tu nous dis que tu romps avec Géraldine, que tu as rencontré quelqu'un et tu vas avoir un enfant avec elle... Et... »

Et tout ça dans la même la phrase... compléta Sonia pour elle-même.

Il fixait Adam droit dans les yeux.

« Trois mois ? répétait sa mère.

— Est-ce que tu réalises, mon fils ?  » déglutit son père.

Sonia avait rarement vu son père aussi grave.

« Lorsque j'ai connu Eloïse, tout ce qui nous manquait à Géraldine et moi, c'était un prétexte. On vivait comme des étrangers quand on ne se disputait pas.

— Tu as trompé Géraldine ? C'est pour ça que vous avez rompu ? »

Adam soupira.

« Pourquoi tu ne nous as rien dit « avant » ?

— Ce n'était pas voulu, répondit-il du tac au tac. J'étais pris dans mes histoires ; et dans le boulot aussi ; et on ne s'est plus revu après les fêtes. Le temps a filé. Et quand elle est tombée enceinte... disons... qu'on n'était pas certain de ce qu'on voulait faire. On a préféré prendre le temps de réfléchir.

— Tu aurais quand même pu prendre ton téléphone pour nous dire que tu avais changé de partenaire ! On aurait pu commettre un impair !

— Je suis désolé. J'aurais dû vous appeler. Mais je pensais que c'était mieux de le dire de vive voix. J'avais besoin de mettre de l'ordre dans ma vie et je pensais que l'occasion se présenterait plus vite. Mais voilà...

— Quelle histoire ! fit son père. Ecoute Adam... j'aimerais te féliciter, mais là c'est un peu... dur à avaler. Il va falloir que je digère ça. »

Sonia jura que son père regardait le plat de viande en parlant. 

« Quand est-ce que tu vas nous la présenter cette jeune femme ? demanda timidement sa mère.

— Je ne sais pas. Quand vous serez prêts.

— Tu as une photo ?

— Euh... oui... je... oui.

— On peut la voir ?

— Euh... Je ne sais... Oui, laisse-moi voir. Mais il faut que je vous prévienne avant... »

  Il sortit son téléphone et fit dérouler l'écran de rapides mouvements du pouce. Son doigt se figea soudain. Il semblait hésiter. Il regarda son père dans les yeux. « Eloïse, dit-il en tendant l'appareil, n'a rien à voir physiquement avec Géraldine. »

  Son père, l'air sceptique, le saisit et observa la photo. Sonia vit son visage se décomposer. « Disons que ce n'est pas le même gabarit » ajouta son frère. Sans un mot, son père releva les yeux sur Adam, puis les posa à nouveau sur l'écran. « Oh mon dieu ! s'écria sa mère bouleversée en découvrant la photo à son tour. C'est une... !

— Maman ! » intervint Adam.

Sa mère avait porté ses deux mains à la bouche dans un réflexe de stupeur.

« Enfin, Adam, fit son père en tempérant, je pense que tu peux comprendre notre surprise. Cette fille est... elle est...

— Elle est grosse ? compléta Adam d'un air de défi.

— Elle est obèse ! »

  Le mot avait claqué dans l'air comme un cri de colère. « Elle est obèse, Adam... » Ou était-ce un cri de dégoût ? Adam ne répondit pas. Il ne dit rien. Il était calme, du moins en façade. Était-elle si grosse que ça cette fille ?

« Je peux voir ? susurra Sonia.

— Elle était déjà enceinte sur la photo ? demanda sa mère d'une voix troublée.

— Elle est en surpoids depuis l'enfance. Mais cela n'enlève rien à ce qu'elle est. Ecoutez, jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours cherché des filles au physique parfait et aucune ne m'a rendu heureux. Je suis arrivé à un moment où je recherche plus que ça. »

  « Ah oui, je vois... ». Sonia venait à son tour de découvrir la photo. Si son frère recherchait quelque chose de plus, il avait effectivement trouvé plus. Beaucoup plus. Aucune de ses précédentes conquêtes ne faisait le poids face à celle-ci, on était dans la catégorie poids lourds, voire hors-catégorie. La jeune femme dont on ne distinguait que le buste offrait un beau visage rond avec un large sourire plein de vie. Elle avait des cheveux châtain clair, lisses qui tombaient jusqu'aux épaules. On devinait un double menton, mais qui n'était pas protubérant. En fait, elle avait du charme. C'est plus bas que ça n'allait pas. Là où le corps s'élargissait. Beaucoup trop. Elle portait un chemisier à fleurs ample qui laissait deviner des épaules extra larges, une poitrine massive. Sonia s'imaginait la suite comme un iceberg. Ça ne ressemblait pas à son frère. Plutôt à un canular.

« Je ne te reconnais pas Adam, fit son père. C'est sérieux cette histoire ? T'es pas plutôt tombé dans un traquenard ?

— Papa...

— Excuse-moi, mais j'ai du mal à gober cette histoire. »

Son père fit un grand geste du bras.

« Tu viens avec une super promotion et tu nous annonces que non seulement tu as rompu avec celle qu'on pensait être notre future belle-fille, mais en plus tu vas être papa d'une fille qui visiblement souffre d'obésité. Mets-toi une seconde à notre place !

  • Peut-être que vous changerez d'avis lorsque vous la connaitrez.
  • Mais qu'est-ce que tu lui trouves à cette... fille ? »

  La voix de sa mère avait vrillé dans les aigues. Elle luttait pour conserver ses nerfs. « Elle est douce, elle est drôle, elle a du caractère et elle est généreuse.

  • Ça je veux bien le croire ! fusa une voix perçante.
  • D'accord... » Il inspira profondément avant de reprendre. «  Je veux dire : elle n'est pas centrée sur elle, elle pense aux autres avant elle-même et elle a beaucoup d'amour à donner et non pas seulement à prendre.
  • Mais vous vous connaissez à peine !
  • Maman, c'est mon choix. Des filles, j'en ai connu beaucoup et j'ai appris à faire la différence. Je sais ce dont j'ai besoin aujourd'hui pour être heureux. Je te demande juste de ne pas juger avant de connaitre. »

  La situation avait quelque chose de surréaliste. Sonia avait été habituée à voir son frère nerveux face à des parents calmes, pondérés et moralisateurs. Là, c'était tout le contraire.

« Oh mon Dieu ! Comment est-ce que tu as pu nous faire ça !

— Maman, s'il-te-plait.

— Si ça tombe, elle ne passera même pas dans l'entrée ! 

— Ça suffit ! »

  Adam s'était levé de sa chaise et ses mots secs et froids flottaient au-dessus de la table comme des particules de colère en suspension dans l'air. Un long silence plomba la pièce. Son père avait le visage marqué et sa mère s'était figée dans une forme de prostration, en équilibre précaire, la tête légèrement penchée en avant et le regard perdu quelque part sous la surface du sol. Sonia n'osait rien dire, elle cherchait par la fenêtre à fuir cette scène de désolation.

  Une éclaircie baignait le gazon d'une douce lumière qui faisait ressortit le vert intense des hautes herbes clairsemées de pâquerettes sauvages. Derrière la haie, elle entr'aperçut le voisin qui scrutait le ciel. Depuis combien d'années un enfant avait-il foulé cette pelouse ? Bientôt, une petite fille courrait à nouveau là. Ou un petit footballeur. Il déboulerait de l'angle et foncerait balle au pied vers le goal dans le fond du jardin. Elle vit alors un mini sumo courir en se dodelinant derrière la balle, sa graisse bondissait à chacun de ses pas. Finalement, il perdait l'équilibre, culbutait et se mettait à rouler comme une boule. La boule humaine roulait, roulait, dépassait la balle et finissait sa course au fond des filets.

  Lorsqu'elle reprit ses esprits, Adam n'était plus là. Des bruits de pas retentirent dans le hall et la porte d'entrée claqua.

***

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