Chap 4-4 Touché coulé (1/2)

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  Alain se tenait devant le mur blanc. Il n'avait pas branché son ordinateur au projecteur. La réunion serait donc plutôt informelle. Lorsqu'il voulait souligner l'importance de son discours, il projetait en général un powerpoint structuré reprenant les mots-clés de son message. Alain était très fort pour faire des powerpoints. Sonia le soupçonnait d'ailleurs d'avoir projeté un powerpoint lors de son propre entretien d'embauche. Avant de parler, leur chef attendit que Béatrice, partie aux toilettes au moment de commencer la réunion, ne revienne dans la salle. La tension était palpable.

  « Bien, dit-il en la regardant s'asseoir à côté d'Eric, je vous ai réunis aujourd'hui car j'ai une annonce à vous faire. » Sonia jeta un coup d'œil à son collègue omniscient. Bien calé sur son siège, Eric lui rendit un regard entendu avec un petit sourire narquois qui semblait dire : « Je te l'avais dit, rien n'échappe à mon réseau de madame pipi ».

« Je vais quitter la société ».

  Alain fit une pause et scruta les réactions de ses collaborateurs. Eric avait soulevé un sourcil. « J'ai reçu une offre que je ne pouvais pas refuser. Je quitterai définitivement mon poste dans six semaines ». Sonia ne voyait pas le visage de Lucie d'où elle était. Martin, lui, était songeur ou alors il arrivait à voir quelque chose qui se passait derrière le mur de la salle de réunion. Béatrice, elle, consultait son smartphone et n'avait probablement rien entendu. « Je reste au service de la société jusqu'à la fin de mon préavis et je compte tenir mon rôle jusqu'au bout de cette période. La société se mettra en quête de mon remplaçant dès que possible. Je vous donnerai des précisions dès que j'aurai davantage de détails. Je compte sur vous ... »

Sonia n'écouta pas la suite du discours. Elle imaginait déjà la prochaine sentence d'Eric de Delphes : « Il fallait s'y attendre, Sonia, quand le bateau coule, les rats quittent le navire... »

***

  Xena marchait dans une ruelle étroite sous un ciel gris et une pluie légère tombait sur les toits pentus de la petite cité. Pourtant, les maisons colorées blotties les unes contre les autres respiraient la douceur de vivre. Au pied du village perché à flanc de montagne, le port protégé abritait une navette régulière en direction de Capri. Vingt ans plus tard, par le truchement de son avatar, Sonia remettait les pieds dans le village de Positano. C'était Sven - enfin plutôt Highlander - qui lui en avait donné l'idée en lui apprenant que beaucoup d'endroits réels avaient été répliqués dans le monde virtuel. Après le tsunami d'ondes négatives qui l'avait submergée ces dernières semaines, elle s'était mise en quête d'un endroit où elle se sentirait bien, et curieusement, c'est le petit village de la côte amalfitaine qui lui était venu à l'esprit. Ce village lui rappelait le goût du bonheur. Quelle n'avait pas été sa surprise de retrouver « Positano » dans la base de données ! Une fois sur place, tout n'était pas comme dans ses souvenirs, mais à qui la faute ? À Autremonde ou à ses souvenirs ? Ses souvenirs à elle avaient la saveur de la glace à la fraise et au citron, dégustée au bord d'une fontaine en face de l'église sous un soleil de plomb ; elle se dépêchait de lécher les bords du cornet car la chaleur caniculaire était sans pitié. Elle avait seize ans, elle allait rencontrer son premier amour, Mauro. Qu'est-ce qu'elle aimerait avoir à nouveau seize ans... Il lui avait dit qu'elle était la plus jolie fille qu'il avait jamais rencontrée. Elle était tombée amoureuse dans la seconde.

  Elle s'arrêta devant la devanture d'un marchand de glace. « Gelati d'oro » était inscrit sur la vitre. Le magasin était fermé. Ce nom lui était familier. Pourtant, c'était il y a vingt ans. Pouvait-elle se rappeler d'un détail aussi futile ? « Buongiorno Signorina ! » Elle entendait la voix de l'homme au sourire éclatant, un italien grisonnant au regard brillant, comme si c'était hier. Cet homme dégageait un charme incroyable. Elle avait eu le sentiment qu'il ne la regardait pas comme une cliente, mais avant tout comme une jeune femme ; il ne voulait pas lui vendre des glaces, il voulait la combler avec ses glaces, la rendre heureuse ! Elle avait seize ans, il vendait des glaces et il l'avait fait se sentir belle. Tout comme Mauro... Avec une petite cuillère en plastique bleu transparente, il lui avait fait goûter une demi-douzaine de saveurs toutes plus douces et subtiles les unes que les autres. Il lui avait offert la panna, cette crème chantilly faite maison, pour la remercier d'avoir illuminé sa journée. C'est ce qu'elle avait cru comprendre, c'est ce qu'elle avait voulu comprendre, mais les italiens avaient un don pour se faire comprendre sans parler un mot de votre langue. En tout cas, un don pour se faire comprendre des femmes. En particulier quand elles ont seize ans. Positano et ses glaces divines, Positano et le beau Mauro rencontré en bord de mer ; Positano, un des plus beaux moments dont elle se rappelait, un éclat de vie dans une existence passée dans la pénombre. Elle baissa les yeux sur les pavés humides. L'eau ruisselaient entre les interstices de pierre. Les gouttes de pluie s'écrasaient en faisant de petits ploc ! Elle sentit des fourmillements dans son bas ventre. Le début et la fin d'un rêve...

Gelati d'oro était fermé aujourd'hui, mais elle n'était pas à Positano. C'était Xena qui arpentait les ruelles abandonnées de la ville côtière et Xena n'avait que faire des glaces aux parfums subtils qui ravivaient chez elle une sorte d'émoi nostalgique. Allait-elle prendre la navette pour Capri ? Quelle idée de venir dans Autremonde pour ressasser de vieux souvenirs ! On avait déjà vu de meilleurs moyens de se changer les idées... Et puis, de toute façon, qu'avait-elle jamais fait d'intelligent dans sa vie ? Aussi loin qu'elle s'en rappelait, jamais ses rêves n'avaient duré très longtemps...

***

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