Chap 5-4 La fête de Xil'm til (1/2)

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  « Vous êtes prêts ? » annonça la voix clinquante d'Alphonse. La fenêtre de transfert montrait l'intérieur d'un cabanon.

« Je suis prêt, dit Oculus.

— Moi aussi » fit Sonia.

  A la surprise générale, le gérant du No Limit leur avait annoncé que les barrières instaurées par les organisations ne s'appliquaient pas aux contrats privés passés avec l'agence. Il ne voyait aucun problème à les envoyer dans un endroit spécifique de l'ile dans le cadre du système de prévisualisation. Leurs clauses contractuelles n'évoquaient pas de limitations géographiques particulières. Seul le temps était limité. Bien entendu, à demande particulière, prix spécial, mais le journaliste n'avait pas hésité un instant à ouvrir sa bourse. « Je vous rappelle que vous n'aurez droit qu'à vingt minutes maximum sur place non renouvelable avant vingt-quatre heures ». Voyant là leur unique chance d'infiltrer la cérémonie, Oculus n'avait pas voulu prendre le risque de se faire détecter avec un essai préalable, qui plus est si chaque seconde sur place lui était comptée.

  D'après le journaliste, la cérémonie durerait deux heures. Il supposait que le climax des réjouissances serait atteint dans la dernière demi-heure et décida donc de patienter avant de tenter le saut. C'était un pari. Encore fallait-il que le transfert fonctionne. « Je n'y crois pas, dit-il d'une voix hésitante. Ça ne va pas marcher » Sonia aussi sentait l'excitation la gagner. Elle ne se rappelait pas avoir jamais jouer aux espionnes. Elle contrôlait une envie irrépressible de taper du pied dans son salon - au risque de voir Xena sauter sur place ou pire se mette à courir droit devant elle. Le reporter lui avait fourni une bure identique à la sienne pour se mêler à la foule.

« Ça ne va pas marcher..., répétait Oculus comme pour conjurer le sort. Je ne peux pas y croire... »

  La voix omnipotente d'Alphonse résonna comme un Oracle :

« Bienvenue à No Limit, Monsieur Long ! Et bon voyage ! ».

  Sonia fut aspirée par la fenêtre. Elle n'entendit rien, mais elle s'imagina un rire sardonique s'élever depuis la salle de transfert. Elle fut plongée dans le noir. Le contraste était saisissant entre la clarté du No Limit et l'obscurité de cette cabane. Une ombre bougea sur sa droite. « Ecoute » lui susurra Oculus. Le moine reporter était un peu effrayant dans la pénombre, il évoquait un tueur en série guettant sa proie. On entendait au dehors une sorte de murmure sépulcral qui allait en s'intensifiant.

« Qu'est-ce que c'est ? chuchota-t-elle.

— Une prière. La foule récite un psaume. J'espère qu'on arrive au bon moment. »

Il s'approcha de l'unique fenêtre de la cabane. « Je ne vois personne sur le balcon. »

  Il se posta devant la porte et s'immobilisa. Sonia sentit son cœur s'accélérer. « C'est quitte ou double, dit-il. La prière est notre meilleure chance de sortir sans être vu. »

  La porte s'ouvrit dans un léger grincement. Oculus s'avança et disparut de l'encadrement. Sonia lui emboita le pas. Dehors, une foule compacte d'ombres était agglutinée devant la scène aperçue plus tôt dans la journée ; sur l'estrade, trois moines en bure blanche se tenaient, dos à la foule, devant une sorte de flamme géante qui embrasait l'air d'un jaune intense. Pourtant, aucune matière ne brûlait, le feu émanait de l'air même, tel un esprit lumineux consumant son énergie spirituelle, il dansait sur un rythme lent qui n'était pas sans évoquer le tempo lancinant des chants hiératiques de la foule. Cette flamme hypnotique nimbait la scène d'une lumière douce. Le chant cessa. Sonia réalisa alors qu'elle n'avait pas bougé, figée sur le balcon. Heureusement, leur cabanon était en retrait et la majorité des fidèles les avaient de dos ou de côté. Oculus attendait au bas de l'escalier. Elle descendit les marches rapidement et se porta à ses côtés, juste avant que les trois avatars ne se retournent vers l'assemblée.

  « Mes frères... » L'homme au centre du trio avait tendu les bras vers la foule. « Aujourd'hui, nous ne célébrons pas le jour de la Divulgation ; aujourd'hui « est » le jour de la Divulgation ! Le moment est venu ! Les portes de Kisthanim vont bientôt s'ouvrir ! ». L'homme parlait en espagnol. Sonia suivait la traduction automatique. « Molan est notre prophète. C'est lui qui ouvrira pour nous les portes de la cité parfaite et rapportera la nouvelle. Aujourd'hui est un grand jour ! Molan nous fait don de son esprit et sacrifie son enveloppement sur l'autel de Xil'min. Il est le messager de Dieu. Rendons Gloire à Molan, notre prophète ! ». A ses mots, un refrain s'éleva de la foule. « Le moment est venu, reprit le prêtre, Molan va accomplir le rite de la palingénésie de Xil'm til, séparer son corps et son esprit pour renaitre de l'autre côté ». Un des deux autres moines s'avança alors vers la flamme qui avait perdu toute sa vigueur depuis la fin du chant.

  Qu'allait-il se passer ? L'homme allait-il se sacrifier dans le bûcher ? Comment un sacrifice humain se faisait-il dans Autremonde ? Un avatar, qui devait être Molan, pénétra dans la flamme, laquelle s'embrasa d'une intensité nouvelle. L'homme torche se tourna alors vers l'assemblée. Son vêtement brillait comme un soleil, il leva les bras vers le ciel et un souffle puissant traversa toute la place en emportant avec lui le murmure de la foule. Molan ne bougeait pas. Sonia ressentait la tension de l'assemblée. Molan se sacrifiait. Allait-il mourir ? Elle voulait demander à Oculus ce qui se passait, mais elle n'osa pas briser le silence. Elle reporta son attention vers le prophète lumineux.

  « Mes Frères, s'exclama Molan, aujourd'hui mon corps brûle mais mon cœur est empli de joie car je sais je ne me sacrifie pas en vain. Je vais rejoindre le Tout-Puissant dans la cité divine et je vous ouvrirai à tous les portes de Kisthanim. Ma part physique... ». Il sembla pris d'une hésitation. « Ma part physique disparait aujourd'hui, mais mon esprit vivra... » L'émotion était perceptible dans sa voix. « à jamais... dans vos cœurs... »

  « Je ne vous oublierai jamais. »

  Elle crut percevoir un léger mouvement de l'homme, puis l'instant d'après, il avait disparu. La flamme se calma, la lumière faiblit et il ne resta plus qu'une lueur tamisée indistincte. Au terme d'un long silence, le maitre de cérémonie reprit la parole : « Molan nous a quitté. Il est en route. Prions ensemble pour guider son esprit vers les portes de la cité de Dieu ».

Il entonna un chant que la foule répéta.

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