9-1 Chasse au trésor

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  Quand elle éteignit l’ordinateur, l’horloge murale indiquait 8h04. Quel comble ! Elle se battait tous les jours de la semaine pour s’extraire du lit avant 7h00 du matin et voilà qu’elle était debout avant 5h00 pendant ses vacances : c'était le monde à l’envers. Le prochain rendez-vous était fixé demain à 4h00. Ses camarades étaient tous motivés pour commencer encore plus tôt, mais Henry avait fait preuve d’indulgence à son égard. Il accommodait les horaires pour qu’elle puisse s’intégrer dans le groupe. Elle doutait de pouvoir continuer sur cette cadence à long terme, mais en attendant, il lui ouvrait une multitude de portes… et puis c'est les vacances, non ?

  Elle hésitait sur le programme de la journée : faire une sieste, le nettoyage, lire, sortir ? Elle se sentait à la fois fatiguée et excitée. Son horloge interne avait du mal à s’habituer aux horaires décalés. Le contrat vis-à-vis de sa mère était rempli, elle avait pris contact avec son frère adoré, elle avait même obtenu un rendez-vous avec Eloïse, fixé à samedi prochain. La jeune femme lui avait semblé gentille, presqu’insouciante dans le ton de sa voix, comme si elle ignorait les tensions qu’elle générait autour d’elle. Quelle attitude devait-elle adopter ? Comment allait-elle se comporter une fois en face d’Eloïse ? Était-elle aussi grosse qu’elle paraissait sur la photo ? Il fallait absolument qu’elle évite de la dévisager de haut en bas lorsqu’elles se verraient. Pour autant, elle remplissait son rôle de vieille fille qui faisait de son mieux pour rafistoler les liens familiaux. Une chose que sa mère ne pourrait pas lui reprocher.

  Elle se servit un bol de céréales dans la cuisine et y vida la bouteille de lait. Elle repensa à son travail, puis au poste ouvert de manager de l’équipe, et elle sentit son estomac se contracter douloureusement. Elle préféra oublier la question. Dehors, la pluie battait contre la fenêtre. Restait l’option canapé, regarder des séries. Elle pouvait aussi poursuivre la visite de l’île, ou encore étudier plus en détail les packs qu’Henry lui avait offerts. Pourquoi ne pas apprendre quelques pas de danse ? Non, mieux valait faire une pause avec Autremonde au moins pour quelques heures.

  En deux jours, la chenille Xena s’était transformée en papillon. Était-il possible de changer l’image de quelqu’un aussi vite dans la vraie vie ? D’après certaines émissions télé, c’était possible avec l’aide de quelques experts en relooking. Elle jeta un coup d’œil à son profil : 2,972 points de bonheur. Pas mal.

  Bien calée dans son divan, elle entama la lecture de son roman « disparaitre à jamais », enfin arrivé par la poste. Polar écrit par une auteure scandinave à la mode, il retraçait l’histoire d’une femme persécutée par un psychopathe qui lui envoyait des lettres anonymes décrivant son quotidien, comme s’il la voyait à tout moment, même lorsque cela semblait impossible. Jusqu’au moment où il la menaçait de s’attaquer à ses proches à moins qu’elle ne lui obéisse. Sonia ne savait pas trop ce qui lui plaisait dans ces histoires glauques. Peut-être l’aidaient-elles à se convaincre que sa propre vie n’était pas si mal. En tout cas, les nouvelles internationales étaient là pour lui rappeler que le monde était devenu fou et sur le point d’exploser. Se pouvait-il que le monde devienne si sombre que bientôt la seule chance des hommes d’être heureux serait d’accumuler des points de bonheur dans un monde virtuel ? Si seulement c’était si simple. Mais peut-être que ça l’était… Ne s’était-elle pas amusée ces deux derniers jours ? Le système l’avait reconnu d’ailleurs en lui attribuant des points de bonheur en grande quantité. Toute activité plaisante apportait un peu de bonheur dans Autremonde, tout comme dans la vraie vie. Le sexe aussi apportait du bonheur pour ceux qui le pratiquait dans la vie virtuelle. Elle en avait eu confirmation avec ses nouveaux compagnons. Devait-elle s’en étonner ? Quand on se revendique réaliste, on doit bien vouloir reproduire tout ce qu’on fait dans la vie réelle. Ont-ils aussi des toilettes dans leurs maisons ? Elle se mit à rire toute seule. Avoir des relations sexuelles était-il aussi difficile que d’apprendre à danser ? Elle se contenterait bien d’apprendre à danser. Enfin, tant que ça ne lui apportait pas des points de frustration...

***

« Je crois que tout le monde est là, dit Henry. Je suis impressionné, vous savez, c’est rare que vous soyez si ponctuels. Je devrais proposer des chasses au trésor plus souvent… même pour blaguer ! ».

  Henry était arrivé le premier dans le village. Bien conscient de l’heure qu’il était en Europe, il s’était gentiment moqué de Xena à son arrivée en lui disant qu’elle avait l’air fatiguée. Un à un, les autres étaient apparus, tous vêtus d’habits d’aventuriers, pantalons et vestes de toile ou de cuir dans les tons verts-bruns. Xena avait bêtement conservé son bikini noir de la veille – beau, sexy – et qui en l’occurrence lui donnait l’air d’une potiche. Le moment voulu, elle s’habillerait à nouveau en guerrière. « Monsieur Black, dit le ranger, je vous remets cette carte au trésor ». A ces mots, il transmit à Henry un boitier métallique noir, incrusté de motifs. Henry l’ouvrit.

« Qu’est-ce que c’est, dit-il en inspectant son contenu, un prisme ?

— Cet objet s’appelle un Kaltac »

  Henry sortit un prisme de la boite et l’exposa dans la paume de sa main. Il s’agissait d’une petite pyramide transparente. En y regardant de plus près, son cœur comportait une forme géométrique distincte, sorte de demi-cercle gravé également translucide. L’homme expliqua que l’artefact appartenait à une civilisation antique d’Autremonde aujourd’hui disparue. Le Kaltac, lorsque mis en contact avec la source lumineuse adéquate, indiquait le chemin menant au trésor qu’il nomma « Larme de lune ». A la demande d’Henry, il confirma qu’il n’y avait pas de temps limite à la quête, mais qu’en fonction de leur choix, ils ne pourraient pas revenir en arrière ; et à sa connaissance, personne n’était encore arrivé au bout.

« J’ouvre officiellement la boite aux idées » dit Henry. Sonia crut percevoir une légère vibration à l’écran. Personne n’avait réagi. Elle se demanda si c'était son nouvel ordinateur qui faisait déjà des siennes ou elle qui n'était pas encore bien réveillée. Le groupe entama sa réflexion sur la marche à suivre. Ils avaient une carte, il leur manquait une source lumineuse. « Allez-y, apportez-moi vos lumières ! ». Les idées affluèrent de toutes parts ; la source de lumière pouvait provenir de n’importe quoi : le soleil, la lune, le feu, un éclat de lumière sur une surface réfléchissante, une étoile, un autre prisme, un laser... Le groupe se montrait créatif. Quelqu’un lança même « L’obscurité ».

« L’obscurité ? répéta Sandra. C’est pas de la lumière, ça !

— C’est de la lumière négative, répondit Joe d’un ton énigmatique.

— Mmh… pas mal…, marmonna Henry. Pas mal… »

Alors qu’elle s’était persuadée d’avoir rêvé, une seconde secousse se présenta.

« C’était quoi ça, demanda Antonio, un tremblement de terre ?

— Bizarre, dit Henry, avant d’ajouter : ça recommence.

— C’était plus fort cette fois »

Henry s’adressa au ranger. « Il est actif le volcan en ce moment ? »

L’homme hocha la tête. « Il y a eu une éruption il y a un mois.

— Ça fait partie de la chasse au trésor ? » demanda Sandra.

Le ranger ne répondit pas.

Les secousses s’intensifiaient. Sonia réalisa qu’elles étaient plus rapprochées et plus fortes.

« Non, trancha Joe, quoi que ce soit, ça se rapproche ».

  Pour une raison étrange, Sonia s’imagina un troupeau de licornes, un troupeau de licornes blanches émergeant des bois, la crinière au vent ; et ce juste avant d’entendre un hurlement glaçant lui vriller les tympans. « Merde » murmura Antonio. Au loin, les arbres tombaient les uns après les autres, alors qu’un monstre apparemment gigantesque bondissait à travers la forêt. Le sol tremblait à chacun de ses pas à un rythme de course cadencée. Le craquement des branches et des troncs brisés résonnait avec clarté sous les pas de charge de l’animal dont le haut du crane dépassait des frondaisons.

« C’est quoi ça ? balbutia Laura. Un dinosaure ?

— Tu rigoles, fit Joe, c’est plutôt Godzilla ! »

  Juste avant que la bête géante ne surgisse de la végétation, quelqu’un demanda « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ». A ce moment, la masse sombre et immense poussa un grognement sourd et bondit hors de la forêt en faisant exploser les arbres qui la bordaient. En un bond, les deux pattes géantes s’écrasèrent lourdement en soulevant un nuage de poussière et Sonia crut voir les véhicules quitter le sol tant le choc fut violent. Le monstre faisait au moins quinze mètres de haut, son corps était couvert d’une peau sombre, rugueuse, il était pourvu de deux bras courts mais musclés et d’une tête immense, percée de deux grands yeux jaunes, vissée sur un cou puissant. Quand il rugit, il découvrit des rangées de dents grandes comme des chaines de montagnes.

« Et-on-fait-quoi-maintenant ? beugla Laura au bord de l'asphyxie.

« On se disperce ! lança Henry, avant de hurler : COUREZ ! COUREZ ! »

***

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