9-5 Reflet de lune

8 minutes de lecture

  Au terme d’une courte discussion, le groupe échafauda un plan d’action. L’idée était d’attirer les anguilles vers des leurres pour laisser le temps aux autres de passer. « Joe, Antonio et moi, nous sauterons les premiers depuis trois endroits différents et on attire les anguilles. Juste après, Sonia, Mona et Sandra, vous plongez et forcez le passage ! »

Enfin Laura partirait avec un léger décalage et filerait droit vers le fond. Elle était de loin la meilleure nageuse du groupe et donc leur meilleure chance de succès.

  Au signal d’Henry, les trois hommes se jetèrent dans la bataille. Cinq secondes plus tard, Xena s'élançait à son tour avec ses deux compagnes. Les mouvements de nage de l’avatar étaient dictés par ses propres mouvements de bras. Les jambes bougeaient de façon synchronisée. Plus bas, le tumulte régnait. Leurs compagnons masculins se débattaient contre une armée grouillante qui formait un mur d’argent, des éclairs jaillissant dans toutes les directions, éclairant la lagune comme un ciel zébré par l’orage.

  Xena dériva sa course pour éviter le lieu du combat et décela un passage le long de la paroi. Lorsqu’elle arriva à hauteur des hommes, elle accéléra ses mouvements, dépassa Joe et piqua vers le fond. Elle vit que le sol se rapprochait. Les algues se balançaient lentement sur le sable en dégageant une lumière intense. C’est alors que les anguilles fondirent sur elle, peut-être quatre ou cinq. En une seconde, elle se retrouva bloquée contre la paroi avec, comme seule option, la remontée verticale. Oh génial... encore à moi les honneurs...

  Ils s’étaient tous mis d’accord pour que chacun indique sur le tchat du groupe s’il était bloqué. Une fois tous hors-jeu, ils remontraient. Les trois hommes et Sandra avaient déjà indiqué être immobilisés. Sonia n'avait pas fini d'écrire que Mona avait grossi la liste.

Il ne restait plus que Laura.

  De longues secondes s'écoulèrent, on ne voyait absolument rien dans le tumulte des anguilles. Enfin, Laura inscrivit son nom : ils avaient échoué. Xena cessa de se débattre et se laissa repousser vers la surface. Elle se hissa sur le bord avec souplesse. Sonia doutait qu’elle soit capable de sortir aussi facilement d’une piscine sans l’aide d’une échelle.

Joe et Mona était déjà dehors. Antonio attendait encore dans l’eau. Sandra émergea à son tour suivie de près par Laura. Un à un, les derniers s’extirpèrent de l’eau.

« Où est Henry ? demanda Mona.

— C’est curieux, dit Joe. Je pensais qu’il me suivait.

— Lorsque je suis passée à côté de lui, il était encore entouré de serpents, les informa Laura. Je sais qu’il m’a vue. Je pensais qu’il faisait de la résistance, mais qu’en me voyant, il allait suivre. »

Tous scrutaient le fond du lagon.

« C’est étrange non ? C’est calme, fit remarquer Laura.

— Elles l’ont bouffé ou quoi ? glissa Sandra.

Les six compagnons attendaient maintenant dans le silence, sous le regard impassible du ranger. Avait-il une idée de ce qui s’était passé là-dessous ? Le visage d’un avatar était comme un masque de cire. Le cauchemar d’un mentaliste.

J’arrive.

Henry venait d’inscrire ce mot sur le tchat. « Il a dû trouver quelque chose » dit Antonio.

Les six compagnons, côte à côte au bord du lagon, cherchaient un indice de la présence d’Henry. Une ombre se dessina alors au fond. Elle s’agrandit, prit la forme d’un homme en mouvement. Enfin, Henry sortit la tête de l’eau.

« C’est pas trop tôt ! Qu’est-ce que tu foutais là-dessous ? dit Joe.

— Je vais vous montrer… » répondit-il avec un sourire sur son visage trempé.

Il se hissa hors du lagon. L’eau dégoulinait de son corps musclé. Il tendit les mains sur lesquelles apparut alors un coffret noir. « C’est… ? commença Mona.

— Oui, coupa-t-il, c’est la boite que notre ami ranger nous a offerte. Celle qui contenait le prisme que je me suis fait voler. »

Il ouvrit la boite et une lueur s’en échappa. Sonia se pencha en avant. Le petit écrin contenait une pierre ovale brillante d’où émanait la lumière, cette même lumière dont était baignée l’étang.

« Comment as-tu fait ? murmura Joe.

— J’ai été malin, répondit Henry. Ou alors j’ai eu de la chance ! C’est au choix… »

  Henry raconta qu’au moment d’abandonner, il se rappela que le ranger avait parlé d’offrandes, ce qui lui donna l’idée de lancer un objet pour détourner leur attention. C’est alors qu’il se rappela de la boite noire avec le sigle du soleil, sensée contenir le prisme. Il la sortit de son inventaire sans réelle idée claire, mais les anguilles réagirent illico et partirent en débandade comme si elles avaient pris peur. Comme si la boite contenait une force négative. Le chemin libéré, il descendit droit vers le fond. Le sol était couvert d’algues lumineuses qui dansaient doucement, des objets brillants étaient éparpillés un peu partout, des bols, des statuettes, entre autres. Au centre se trouvait un autel sculpté dans la roche et sur cet autel un arbre de cristal. À l’une de ses branches pendait cette même pierre comme un fruit mûr prêt à être cueilli. Elle n’offrit pas de résistance quand il la décrocha, mais l’arbre s’illumina. Il enferma la pierre dans la boite et remonta à la surface en toute impunité.

« Tu crois que c’est la larme de lune ? s’enquit Sandra. Tu penses que c’est le trésor ?

— J’en doute, dit-il. Mais demandons à notre guide ce qu’il en pense. »

Tous se tournèrent vers le ranger. Celui-ci n’avait pas réagi à la profanation de ce lieu sacré.

« Monsieur Clay, dit Henry, savez-vous si cette pierre est la larme de lune ? »

L’homme regarda la pierre dans son coffret. Il ne répondit pas. Comme s’il réfléchissait. Mais Sonia n’aurait su dire s’il essayait de se rappeler de quelque chose ou s’il demandait l’autorisation de répondre à la question. « Non, dit-il enfin. Je pense qu’il s’agit d’une opale de lune. Les écrits sur le mur du temple y font référence. C’est une pierre sacrée.

— Une opale de lune ? répéta Henry. Et puis, de quel temple parlez-vous au juste ?

— Celui qui se trouve un peu plus haut. Il s’agit d’ailleurs de notre dernière visite avant la sortie. »

  Pour atteindre le temple en question, le groupe dut faire demi-tour et tourner à gauche à un embranchement. Après quelques cavernes et d’autres carrefours, ils parvinrent à une nouvelle grotte. Mais à la différence des précédentes, l’homme y avait laissé sa trace. Il s’agissait d’une vaste salle dont la forme ne différait pas de celles traversées à de nombreuses reprises au cours de leur parcours dans les méandres du volcan. En revanche, certains murs avaient été polis et gravés d’inscriptions hiéroglyphiques. Après la magie du lagon, Sonia fut un peu déçue. On était loin de la définition d’un temple. Il n’y avait ni murs de pierre, ni sol de marbre, juste quelques stalagmites gravées et des pans de murs aménagés pour laisser la trace de textes.

« C’est le temple en question ? demanda Henry, pas convaincu davantage.

— C’est exact. On l’appelle le temple de la lune en rapport avec les inscriptions.

— Vous connaissez cette langue, demanda Joe.

— Non, répondit le ranger. On m’a dit que c’est du Kaliite, un dérivé du Soltek ancien. Je connais le contenu des textes, mais cela s’arrête là.

— Quelqu’un a déjà entendu parlé du… du… Soltek ?

— On sait, réagit Henry, qu’Autremonde est truffé de mythes qui racontent l’origine de tout un tas trucs. J’imagine qu’on est en plein dedans.

— Que disent les textes exactement ? demanda Mona.

« Celui-là, commença le guide, parle du combat entre la nuit et le jour. Et du rôle de la lune, à la fois reflet du jour et de la nuit ;

« De l’autre côté, poursuivit-il, il est mention du parcours de la lune dans le ciel étoilé et comment elle permet au jour et à la nuit de se retrouver et s’aimer enfin ;

« Enfin, ce texte-ci parle de la colère de la terre qui tente de détruire la lune par jalousie. Ll’opale de lune la protège de la fureur tellurique. »

Sonia tentait en vain de déceler une information qui pourrait leur être utile pour la suite.

« L’opale serait une sorte de protection ? interrogea Laura.

« Venez-voir ce que j’ai trouvé ! s’exclama Sandra.

Sonia se tourna en direction de la voix et s’étonna de constater que la jeune femme était partie. Elle avait pris la sortie dans le fond et pénétré dans d’une autre salle jouxtant celle où ils se trouvaient.

« Qu’as-tu donc trouvé ? demanda Joe.

— Une carte. »

Il n’en fallut pas plus pour que tous se désintéressent de l’histoire – somme toute assez bancale - de la terre mal lunée. La pièce suivante était petite. Il n’y avait pas d’inscriptions, simplement une carte de l’île gravée dans la roche, semblable à celle du tumulus. Le volcan, élément inaltérable, trônait dans sa version stylisée. Tout comme sur l’autre carte, des endroits y étaient inscrits : le temple d’où ils venaient, le temple du volcan où ils se trouvaient actuellement et deux autres points marqués l’un à l’est et l’autre à l’ouest. Aucun ne correspondait à ceux mentionnés sur la première carte.

« Ces deux endroits sont en pleine jungle, dit Joe. Pas de doute.

— Il y aurait d’autres villages dans la jungle ? demanda Mona

— Pas à ma connaissance, mais je doute que ce soit des villages de toute façon. Plutôt des bâtiments planqués comme le tumulus. Ça nous donne en tout cas deux autres endroits à visiter.

— On avance bien, dit Henry. Mais je crains qu’on ne doive quand même remettre la main sur le prisme à un moment ou l’autre. Si c’est encore possible.

— Restons positif, fit Antonio. À un moment ou l’autre, même les dinosaures doivent aller chier ».

Durant un court de laps de temps, chacun médita ses mots, puis tous éclatèrent de rire.

  Le groupe débattit de la prochaine destination. C’est le village de l’ouest qui l’emporta. Il était plus distant à vol d’oiseau que celui sur la côte est, mais permettait de repasser par le village du ranger et récupérer les jeeps. La route moderne les amènerait tout près de leur premièr objectif, et ils rejoindraient l’autre point plus tard en longeant la plage avec leurs véhicules.

  Le ranger confirma qu’il existait bien des ruines éparpillées dans la jungle sans donner plus de détail. Sonia sentit un soulagement la parcourir lorsqu’enfin ils débouchèrent à l’air libre et qu’elle retrouva la vue du ciel. Elle n’était pas certaine que ce sentiment soit biologiquement justifié, mais l’impression n’en était pas moins agréable. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais Henry proposa de s’arrêter pour aujourd’hui et repartir du village le lendemain. Tout en marchant, chacun se passait l’opale pour mieux l’observer.

« C’est une jolie pierre, jugea Sandra. Je me demande à quoi elle va nous servir.

— Est-ce qu’on n’aurait pas mieux fait, réfléchit Sonia, de la ranger dans la boite noire ? »

Il y eut un grand silence.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lofark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0