10-3 Temple de lune

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« Vous êtes certains ? demanda Antonio.

— Je sais, ça parait incroyable, dit Henry, mais il n’y a pas de doute. Moi et Joe, on a pas mal joué dans Elisor à une époque. Notre inventaire s’est réactivé de l’autre côté : armes, cartes, artefacts, tous les objets d’Elisor. Idem pour ma liste de contacts actifs.

— Le portail mène sur une terre proche de la mer. Peut-être même une île. En tout cas, en vadrouillant quelques minutes, on a trouvé la mer.

— Mais aucun de nous deux n’a pu identifier sa position sur une carte. L’endroit nous est inconnu… »

  Lui et Joe avaient visité de nombreux territoires d’Elisor et cartographié une grande partie de ce monde au fur et à mesure de leurs déplacements ou d’achats de cartes régionales. Si le portail avait été proche d’un lieu connu, une connexion cartographique se serait formée. Ce n’était pas le cas. Ils en avaient conclu à une position très excentrique, peut-être une île perdue dans l’océan, vu la proximité du rivage. Lors de leur reconnaissance, ils n’avaient rien vu d’autre que des rochers et une végétation rase.

  « En tout cas, clama Sandra avec force, ne comptez pas sur moi pour aller là-bas ! ». Sonia sentit ses compagnons troublés. On peut mourir. Mourir n'était pas si grave. On perdait son avatar et on s'en refaisait un autre. Sauf si on avait beaucoup investi dedans évidemment. Les gens qui vivent leur vie virtuelle depuis des années ne voient pas les choses de la même manière, lui avait dit Oculus.

Serait-elle triste de perdre Xena ? Elle la clonerait et ce serait encore Xena, non ?

De retour aux véhicules, ils prirent la direction de la plage. Il leur restait un endroit à visiter de l’autre côté de l’ile.

« Qu’est-ce qu’Elisor vient faire dans cette histoire ? s’interrogea Joe au volant de la seconde Jeep.

— C’est possible que le monstre vienne de là ? proposa Mona.

— En tous cas, c’est le genre d’endroit où on en trouve. Même si… Je n’en avais jamais vu des comme ça avant. »

  Au port, les jeeps bifurquèrent sur la plage, passèrent devant le bateau amarré d’Henry et filèrent sur la bande de sable en direction de l’est. Quelqu’un proposa de prendre leur navire, mais Henry pensait qu’ils iraient plus vite en jeep ; et de fait, les 4x4 ne semblaient pas entravés par le sable ; les deux voitures roulaient à toute allure le long de la mer en laissant de longs sillons derrière elles. Le soleil déclinait dans le ciel. Mieux valait ne pas trainer pour trouver leur objectif. En pleine jungle, dans la pénombre du soir, la tâche serait beaucoup plus ardue. Au bout de quelques minutes, la plage opéra un coude et s’étira en ligne droite vers le nord-est. Cette partie d’île devait être très peu visitée. Le village du ranger, le site des triceratops et les ruines rencontrées se concentraient sur la partie ouest.

« Ralentis, dit enfin Joe. On approche de l’endroit que j’ai tagué sur la carte ».

  Le véhicule s’immobilisa au terme d’un petit glissement contrôlé et le bruit du moteur cessa. Sonia mit pied à terre sur un sable immaculé et entendit le son familier des vagues s’échouer sur la plage. Etaient-ils les premiers avatars joueurs à fouler cette partie de l’île depuis la création de l’univers virtuel ? Dans l’absolu, c’était possible, il n’y avait en soi rien à voir ici, rien à visiter. Ils étaient dominés par les palmiers qui dessinaient une barrière dense tout le long du rivage. Antonio indiqua des affleurements rocheux en bordure de plage. De plus près, ceux-ci s’avérèrent être un simple agglomérat de pierres sans attrait. Hasard ou réel point de repère, c’est par là qu’ils s’engagèrent dans la sylve.

  Comme lors de la première battue, ils s’écartèrent les uns des autres afin de couvrir une plus grande surface. « La végétation est moins dense par ici, nota Henry. On est peut-être déjà au centre de ce qu’on recherche ». Le lien de cause à effet ne sauta pas aux yeux de Sonia. Elle se demanda si Henry avait des notions d’archéologie pour lancer une telle affirmation. Mais la vraie question était peut-être de savoir si les concepteurs du jeu avaient, eux, des notions d’archéologies. D’un autre côté, il fallait bien laisser des indices aux aventuriers. Et dans ce cas, quoi de plus logique pour nous guider qu’une baisse sommaire de la végétation ! Elle aurait plutôt opté pour un panneau lumineux.

  « Il y a des rochers par là » annonça Laura en bout de file, avant de confirmer : « Je crois que j’ai trouvé quelque chose… ».

  Ils se regroupèrent autour d’un grand rocher d’environ trois mètres de haut. Il n’y avait rien d’autre dans les parages et la masse de pierre avait tout d’un colossal bloc erratique déposé là par quelque dieu taquin. Peut-être un vestige d’une ancienne explosion volcanique monumentale ? En le contournant, ils distinguèrent une fissure en son centre assez large pour qu’une personne puisse s’y faufiler. Joe se porta volontaire et disparut dans l’ombre de la pierre.

« Il y a un escalier ! » annonça-t-il triomphalement.

  Un à un, les membres s’enfilèrent par le chas de l’aiguille rocheuse. Xena emboita les pas de Mona dont la lampe éclairait le passage. Ne pas oublier de s’acheter une lampe torche ! Les marches étaient grossièrement creusées dans la roche, à moins que ce ne fut l’usure du temps qui les eut rendues inégales. Ils descendirent sur une dizaine de mètres dans une cavité étroite et parvinrent dans un espace plus large.

  L’humidité suintait par les murs. Ils devaient être sous du niveau de la mer. Était-ce l’eau des courants marins qui s’infiltrait jusqu’ici ? Les murs étaient nus à l’exception d’une ouverture béante dans le fond, à laquelle on accédait par trois marches sculptées dans la pierre. L’embrasure de forme rectangulaire avait peut-être été close par une porte à une époque, mais il n’en restait pas trace.

  Un à un, ils franchirent le passage au-delà duquel se trouvait une sorte de chambre marquée de la main de l’homme. Le sol était pavé et les murs couverts de bas-reliefs figurant des glyphes et gravures de scènes cultuelles. Au centre de la pièce reposait une stèle érigée sur un catafalque. Le temps avait fait son office et nombres de gravures étaient dégradées. La pierre était mangée par les mousses. On devinait encore par endroits des traces de peintures, mais l’humidité avait lavé l’essentiel des couches de pigments. Henry gravit les marches de l’estrade pour observer la stèle.

Il frotta la pierre de son poing puis Sonia le vit sortir l’opale de la boîte noire et la déposer dans la sa main.

« Je crois, dit-il, que nous sommes au bon endroit ».

Il inséra l’opale dans une rayure marquée et la lumière de la pierre lunaire se propagea à travers les sillons, détachant au passage les mousses et impuretés collées à la surface.

« Écartez-vous » prévint Joe tandis que, dans un grondement sourd, une longue dalle au centre du catafalque disparaissait dans le sol. A la place, un autel émergea à la surface. Les canaux de lumière générés par l’opale se propagèrent à l’autel, au sol et jusqu’au mur du fond.

« Wow ! lâcha Laura qui recula pour ne pas se retrouver dans le chemin d’un fil de lumière. Une fois le mur du fond atteint, la toile luminescente y traça un immense cadre.

L’autel se mit à gronder. La grande table de pierre posée dessus se mit à bouger dans un grincement. De la poussière s’échappa d’interstices.

« Il va s’ouvrir » lança Antonio.

La lumière se mit alors à clignoter. Le mouvement amorcé par la pierre se figea. Et tout s’éteignit.

La pièce fut à nouveau plongée dans le silence et l’obscurité.

« Quoi ? fit Sandra. C’est une blague ?

— Non, non, non, fit Henry. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Il allait s’ouvrir ! fit Joe.

— Merde. Amenez vos lampes. Il faut ouvrir ce truc.

Tous dirigèrent les lampes-torches vers l’autel.

« On dirait bien un sarcophage… »

Le groupe s’agglutina autour du bloc. En effet, la pierre noire avait la forme d’un cercueil et le plateau massif posé dessus semblait amovible. La plaque était couverte de gravures. Le couvercle s’était déplacé d’un centimètre à peine avant de tomber en panne.

« Il faut l’ouvrir, conclut Henry.

— Ce serait pas un piège ? glissa Mona.

— On ne peut pas mourir ici…

— Alors pourquoi il y a un cercueil ? »

Henry, poussa la plaque de roc formant couvercle. Elle ne bougea pas.

« J’ai besoin d’hommes forts »

Joe et Antonio se joignirent à lui.

La pierre glissa d’un centimètre. « Allez, ça bouge !  »

« Vous êtes vraiment des chiffes molles » s’écria Sandra avant de coller ses mains sur la plaque et la pousser à son tour.

La pierre pivota sur son axe dans un grincement, découvrant un espace creux à l’intérieur.

« Alors, fit Sandra. C’était pas si compliqué ! »

Les trois hommes se regardèrent, mais personne ne dit un mot.

Henry dirigea sa lampe dans les ténèbres de la cavité. « Pas de cadavre, Mona. »

Il plongea son bras à l’intérieur. « Par contre… ». Il en ressortit un objet sombre.

« Eh bien, dit-il, voilà qui est prometteur… »

Il tenait dans sa main une boîte noire identique à celle que le ranger leur avait donné au début de la quête.

« Ouvre-là ! » s’impatienta Sandra.

Il souleva le couvercle et avant qu’il n’ait prononcé un mot, tous surent qu’ils avaient là un trésor. Une lumière forte avait jailli de la boîte comme si elle avait contenu une ampoule led. Henry saisit l’objet entre ses doigts : un prisme.

« Bingo ! fit Antonio. Tu vois, mon vieux, les prismes, c’est comme les femmes, un de perdu, dix de retrouvés !

— Qu’est-ce qu’il brille ! » s’étonna Joe.

A peine avait-il dit ça qu’un rayon lumineux s’échappa d’un des côtés de la pyramide et alla frapper le mur nord de la chambre.

« C’est quoi ça, un laser ? ».

Il passa sa main devant le faisceau qui se bloqua.

« On dirait qu’il pointe quelque part…

— Il est actif, annonça Joe. C’est ce qui nous manquait avec l’autre.

— Il indique sûrement le trésor ! » s’égailla Laura.

Henry reposa le cristal dans la boîte et referma le couvercle. L’obscurité retomba dans la pièce.

« Vu ce qui est arrivé avec l'autre, soyons prudent. Si la bête débarque maintenant, on sera pris au piège. » Plus que quiconque, Henry devait garder une image nette de la dernière fois qu’il avait brandit un prisme à l’air libre.

« Retournons aux jeeps, nous aviserons de la suite une fois là-bas.

— Attends, dit Mona. Venez par ici. On dirait pas une porte ? »

  Sa lampe éclairait le grand pan de mur qui s’était illuminé plus tôt dans le fond de la pièce. De loin, on pouvait confondre les gravures avec le reste des décorations, mais à y regarder de plus près, la forme carrée d’une porte monumentale à double-battants se devinait dans la structure. C’était cette même forme qui s’était allumée avant que le processus ne soit interrompu.

  Tous s’approchèrent. Inscrite dans le carré, un grand disque traversé de rayons entrecroisés, était entouré de toute une série de glyphes géométriques. Au centre de la structure, un médaillon constitué de cercles concentriques, aux espaces comblés de motifs offrait en son cœur la forme d’un ovale creusé. Sonia montra du doigt l’encoche. « On a pas un caillou qui ressemble à ça ? »

  Henry récupéra l’opale sur la stèle et l’inséra dans l’espace prévu à cet effet. Elle s’aimanta au socle en pierre et s’illumina d’un bleu profond comme si elle était traversée d’un courant océanique luminescent. La terre trembla. Un trait de lumière vertical fendit la porte en deux avant que les battants ne se désolidarisent et coulissent chacun en sens inverse à travers la paroi.

***

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