11-3 Précipice

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Lentement, le prédateur se redressa.

« Bon, on devrait peut-être partir ? suggéra Sonia.

— Pas tant que le portail est ouvert, trancha Henry.

— Il a pas l’air en bon état.

— On n'en sait rien. Il peut se stabiliser. Toi, vas-y. Joe et moi, on te suit dès que possible. »

Fou de rage, la bête hurla vers le ciel et prit une grande inspiration.

« Il va charger » s’inquiéta Joe.

Mais elle ne chargea pas. À la place, sa gorge s’illumina d’une lueur orangée et elle souffla une vague de feu foudroyante vers les avatars. Joe eut à peine le temps de s’interposer avec son bouclier pour contrer la lame incandescente.

« La vache ! hurla-t-il au milieu du boucan de l’embrasement. Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

— Merde, on n’est pas les seuls… comprit Henry, à avoir retrouvé nos capacités.

— Attention ! » cria Sonia.

Mais il était déjà trop tard.

  Le monstre avait chargé et d’un coup de tête prodigieux, envoya voler Joe qui s’écrasa à plusieurs mètres, son bouclier planté dans le sol. Sans s’occuper d’Henry, ni de Xena, elle fondit sur sa victime, gueule grande ouverte.

« Bordel ! s’affola Henry. C’est pas normal ! »

« Joe ! cria-t-il. Téléporte-toi ! Bon dieu ! Téléporte-toi ! Joe ! »

La gueule béante s’écrasa sur le chevalier avant qu’il n’ait eu le temps de bouger un bras. Sonia ne put s’empêcher de pousser un cri d’effroi. Henry hurla le nom de son ami dont l'écho mourut dans le vent.

Le titan reptilien se releva. Il tourna la tête à gauche, puis à droite. À ses pieds, le corps avait disparu.

Henry soupira. « Il est parti. »

« C'était moins une » souffla-t-il.

« Xena, il ne reste plus que nous deux. »

  Le monstre semblait chercher son adversaire sans se soucier des deux autres. Ce qui ne manqua pas d’étonner Henry. Le portail lui aussi ne semblait pas vouloir se fermer. Au contraire, les pierres distendues se reconsolidaient lentement. Et c’était ce qui l’embêtait le plus.

« Bon vas-y, tu as le prisme, il faut le ramener à tout prix de l’autre côté. Je vais essayer de lui tenir tête jusqu’à ce que la porte se referme.

— À tout de suite » fit-elle le coeur battant.

  Elle navigua rapidement dans le menu, sélectionna le parchemin de téléportation et l’activa. Le monstre, le portail et Henry disparurent aussitôt. Elle réapparut devant une vaste étendue vide. Un ciel immense couvert de nuages bas dominait un océan sans fin. Elle n’était pas dans une ville. Elle se trouvait tout en haut d’une falaise. Le ciel était menaçant, le vent soufflait fort.

Quelque chose n’avait pas fonctionné.

  Au bas de la falaise, la mer sombre projetait ses vagues avec fracas sur les rochers. Le son porté par le vent le long de la paroi verticale lui parvenait avec une acuité étonnante. Sans nul doute qu’une chute serait mortelle. Elle se retourna. Il y avait près d’elle, une petite construction de pierre couverte de lichen, la végétation alentour était basse et peu dense. Elle n’avait aucun doute quant à l’endroit où elle se trouvait. Elle était quelque part sur cette même terre aride, au cœur d’Elisor.

Pourquoi ça n’a pas marché ?

Et quelque part se trouvait un monstre géant à la recherche d’un prisme. Elle réalisa alors seulement que, dans la précipitation, Henry avait omis un petit détail.

Il ne m’a pas donné la boîte noire !

  Sans la boîte, il lui était impossible de dissimuler sa présence aux sens aiguisés du démon. Elle avait reçu plusieurs messages. Le premier de Joe disait qu’il était sur le bateau. Antonio venait le chercher avec une Jeep. Puis, un message d’Henry qui disait : « Xena, où es-tu ? Le monstre a flairé quelque chose, il est parti en courant en me laissant en plan ! ».

Elle fut prise de panique. Elle n’avait nulle part où aller. Elle se retourna vers la falaise et chercha un moyen de descendre. Peut-être y avait-il quelque part une anfractuosité où se cacher ?

Elle enregistra à son tour un message sur le tchat : « Je suis au bord d’une falaise. Pas d’endroit pour me cacher ».

Long silence. Mais elle pouvait presque entendre ses compagnons jurer à haute voix.

« J’arrive. Tiens bon. » fut le dernier message qu’elle reçut.

Que faire ? Mais que faire ?

  Elle ne voyait aucune solution à son problème. Valait-il mieux rester sur place et attendre ou bien partir en courant ? Ici, elle ne voyait aucun moyen de survivre. Elle décida de partir. Elle se mit à courir à travers la végétation, elle n’avait aucun point de repère et le nuit s’était abattue sur l’île réduisant grandement sa visibilité. Elle s’arrêta enfin près d’un rocher. Quelque chose avait attiré son attention : une ombre, une ombre mouvante. Au loin. Aucun doute, ce ne pouvait être que le monstre. Il arrivait droit sur elle.

  Que faire ? Et si elle abandonnait le prisme ? Le monstre se désintéresserait d’elle. Mais dans ce cas, ils perdaient le jeu à coup sûr. Non, elle ne voulait pas être celle qui faisait perdre le groupe pour sauver sa peau. Le sol tremblait sous les pas du géant. Elle se mit à courir en sens inverse, bifurqua sur la droite pour ne pas se retrouver à son point de départ, mais finit tout de même le long de la falaise. Tout ce côté de l’île devait être accore. Elle n’avait aucune échappatoire. Lorsque le géant poussa son rugissement terrible, elle comprit qu’il était tout près. Et qu’il l’avait repérée.

  Il surgit lentement de l’obscurité comme un amas de ténèbres arraché au néant. Sa masse gigantesque couvrait le ciel. Elle se sentit écrasée. Cette fois, elle n’avait pas de Jeep pour s’enfuir. Elle se mit à courir le long de la falaise. Si près du bord, espérait-elle, il ne pourrait pas lui sauter dessus. Il la suivit en grondant. Elle pouvait aussi lancer la pierre à la mer ? Ainsi le monstre ne l’aurait pas et ils auraient peut-être encore une chance de la récupérer ? Comment savoir ?

  Elle aperçut la petite construction et se cacha derrière. La bâtisse de forme carrée, devait faire deux mètres de haut, un reste de temple ou un genre de blockhaus. Dans l’obscurité, elle n’aurait su dire. Son poursuivant était juste là. Il l’avait suivie calmement, comme s’il ne voulait pas prendre le risque de perdre une proie qui ne pouvait pas lui échapper.

  Sonia vit un trou au bas du mur et s’y faufila. L’intérieur était étroit et vide. Elle était faite comme un rat. Le monstre dehors émit un grondement, il donna un coup de gueule contre la paroi qui s’ébrécha. Sonia sentait ses mains trembler toutes seules. Sa barre de vie était intacte. À se demander comment elle avait pu la conserver tout ce temps. Mais elle ne doutait pas qu’une pichenette suffirait à la supprimer. La bête frappa à nouveau, le toit s’effrita et des pierres tombèrent. Puis ce fut le silence. Un instant. Un bref instant de silence. Alors, Sonia entendit le claquement d’un fouet, et instinctivement, elle baissa la tête. Les murs autour d’elle explosèrent alors que la queue du monstre pulvérisait la construction, frôlant au passage la tête de Xena. Dans un réflexe de survie, elle bondit, franchit les restes du mur et se remit à courir tout droit alors que le géant finissait de pivoter. Le sol trembla lorsqu’il s’élança derrière elle. Elle courait, courait sans savoir que faire : fuir, se retourner et faire face, ou encore sauter dans le vide. Tout était confus. Elle hésita. Trop longtemps.

Xena reçut un coup violent et fut projetée au loin en tournoyant comme un pantin.

  La queue du monstre avait fendu l’air et frappé de biais. Elle retomba par terre et roula sur plusieurs mètres. Sa barre de vie avait diminué des deux tiers. Elle se remit sur ses pieds. Elle était à bonne distance du bord à présent. Le monstre la fixait droit dans les yeux. Cette fois, elle comprit. Si elle se retournait pour courir, il la faucherait d’un coup.

C’était terminé.

Ses lèvres tremblaient toutes seules. Oh Xena... Je suis désolée... Elle sortit son épée du fourreau et la saisit à deux mains. Pour un dernier combat. Pour la forme. Ses mains étaient crispées. Elle inspira profondément.

Le monstre fit un pas en avant.

Adieu Xena...

Elle courut vers le géant.

  La gueule béante s’abattit. Xena plongea de côté, fit une roulade, se releva d’un bond et frappa de toutes ses forces dans le ventre mou de la bête avec la pointe de son épée. La lame percuta la cuirasse et rebondit dessus. D’un mouvement de bras, le monstre l’envoya voler et elle s’écrasa lourdement sur le sol.

Elle se remit debout. Elle n’était pas encore morte.

Le monstre lui faisait face à nouveau, le précipice était à deux mètres sur sa gauche, sa barre de vie dans le rouge ne tenait plus qu’à un fil lumineux. La gueule géante s’ouvrit, le vent souffla.

Non. Non. Pas comme ça.

Sonia courut et sauta dans le vide.

***

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