12-3 Le temple du soleil

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  Elle avait rendez-vous avec le reste de l’équipe à 3h00, soit environ la mi-journée dans Autremonde et le début de soirée pour ses compagnons, ce qui ne posait pas de problème un vendredi soir. Ils supposaient que le soleil était nécessaire à l’activation du cristal et qu’avec un soleil au zénith, ils augmentaient leurs chances de succès. Elle bâilla bruyamment. L’horloge indiquait 2h48. Ça va, je n’ai pas trop trainé sous la douche… Cette mauvaise habitude qu’elle avait à s'oublier sous un jet d’eau bien chaud... Or les sujets de réflexions douchières ne manquaient pas : le retour au travail, la montagne de mails qu’elle devrait gravir, la situation du poste de manager, sa situation dans l’équipe ; plus proche encore, cette île étrange et les mystères de son volcan autour duquel gravitent les mythes de la lune et du soleil ; ce lien inexplicable entre cette île et le monde médiéval fantastique d’Elisor, sa propre place dans Autremonde, dans ce groupe d’amis ; sa relation avec Henry et pour commencer, son premier baiser virtuel…

  Ce baiser, elle avait du mal à le situer. Elle avait du mal à comprendre ce qu’elle avait ressenti. Elle observa son reflet dans le miroir, caressa du pouce sa lèvre inférieure. Henry était le premier homme qui l’embrassait depuis près de dix ans. Enfin, ce n’était pas vraiment un baiser, et puis ce n’était pas vraiment elle non plus qu’il avait embrassée ; c’était Xena. Elle, Sonia, n’avait rien senti. « Alors ? lui avait-il dit en retirant ses lèvres des siennes. Quelle sensation ça fait ? ». Elle trouvait qu’elle s’en était bien sortie en répondant diplomatiquement « C’est un peu comme le champagne… ». Ce qui lui avait parue une meilleure réponse que « ça donne des points de bonheur, mais ça n’a aucun goût ».

  Pourtant, plus elle y repensait, moins elle en était certaine. Elle avait ressenti quelque chose. Elle avait beau vouloir se convaincre du contraire, Xena devenait plus qu’un simple personnage de jeu vidéo. Peut-être n’aurait-elle pas dû lui donner une apparence aussi proche de la sienne. Elle s’identifiait malgré tout un peu à sa guerrière. D’ailleurs, n’était-ce pas elle qui parlait quand Xena parlait ? N’était-ce pas elle qui bougeait quand Xena bougeait. Peut-être pas à l’identique, mais c’était bien elle qui tenait les commandes. Xena était malgré tout un reflet d’elle-même. Alors quand Xena embrassait un homme, n’était-ce pas elle qui embrassait cet homme ? Au fond, un baiser romantique sur un yacht sous un ciel étoilé, même si rien n’était vrai, offrait tout même un très beau cliché. Pour Xena, le plaisir fut évident : +460 points de bonheur. Le prix d’un premier baiser d’après Henry. Selon lui, le maximum théorique était de 500 points, mais il n’avait jamais entendu personne faire ce score. Le premier baiser offrait un coefficient multiplicateur dont les deux partenaires bénéficiaient, même celui des deux qui n’en était pas à son coup d’essai !

  Le baiser était peut-être un simple calcul de maximisation du bonheur pour Henry, mais il avait tout de même pris la peine de créer des conditions romantiques pour renforcer l’effet et même un être humain aussi peu réceptif qu’elle avait été sensible à la démarche.

« Quand on en aura fini avec cette aventure, je t’emmènerai visiter un endroit très spécial. Une de ces perles secrètes d’Autremonde. Je suis sûr que tu vas aimer. »

Elle s’habilla et se prépara un café. Elle avait encore un peu de mal à réaliser tout ce qu’elle avait vécu depuis le début de la semaine, sans même sortir de chez elle !

Une croisière sur un yacht en bikini sexy : c'est fait.

Une course à dos de triceratops : c'est fait.

Affronter un monstre géant en combat à mort au bord d’une falaise : c'est fait.

Goûter à une larme de lune et un champagne virtuel : c'est fait.

Embrasser un homme séduisant au clair de lune sur le pont d’un bateau : c'est fait aussi.

Quant à la suite, qui vivra verra. Pour le moment, il leur restait un prisme et une chasse au trésor à terminer.

***

Sandra fit son apparition dix minutes après les autres.

« Bonsoir… tout le monde ! dit-elle à court de souffle. Désolé pour le retard ! J’ai été prise dans le trafic.

— Tu pourrais envoyer un message, jugea Laura.

— Oui je sais, désolé, mon téléphone était dans mon sac et… bref je suis désolée !

— C’est bon, tempéra Henry. L’important est qu’on soit tous là. On peut y aller. »

  Tout le monde était de bonne humeur ce matin, nota Sonia - ou plutôt ce soir, pensa-t-elle. Les amis plaisantaient sur les rebondissements de cette chasse au trésor, chargée d’émotion, mais, au final, de satisfaction. La récupération du prisme d’origine était la cerise sur le gâteau et tous attendaient une récompense à la hauteur.

  Le groupe faisait route vers le premier temple, celui où la carte murale les avait lancés sur la piste du second cristal, rebaptisé pour l’occasion « prisme du soleil ».

Le combat de la veille restait au centre des discussions. Chacun y allait de ses questions et ses commentaires, les deux jeeps pouvant communiquer via les radios.

« Qu’est-ce que tu as pensé, Henry, lança Joe d’un ton enjoué, quand tu compris que Xena était restée sur l’île avec le prisme ; et que tu avais intelligemment gardé la boîte noire ?

— Tu veux dire, Joe, intervint Antonio, juste après que tu aies filé la queue entre les jambes, c’est ça ? »

Après quelques rires, Henry prit la peine de répondre « Pour tout dire, je me suis trouvé vraiment con ! Et quand j’ai vu la bête filer à côté de moi sans me jeter un regard, je me suis dis : Oh là là ! Elle va me tuer ! ». La jeep prit un nid de poule et les passagers sursautèrent sur leur siège.

« T’as de la chance, fit Laura, que notre petite Xena ait assuré.

— Elle a plus qu’assuré…, dit-il pensivement. Comme quoi, ma douce, tu vois qu’on peut avoir du charme et être une bonne guerrière !

— Oui bien sûr, susurra-t-elle, mais je préfère exceller dans un seul domaine que d’être moyenne dans plusieurs.

— Ouh… C’est pas la modestie qui t’étouffe, toi ! lança Joe.

— Vraiment ? rétorqua-t-elle faussement outrée. Parce que toi, mon ami, à présent que tu as prouvé au monde entier que tu étais un piètre guerrier, on se demande toutes ce qu’il te reste comme qualité…

— Je suis sûr que Xena me trouve charmant. »

Il y eut un silence un peu long avant que Sonia ne réalisât qu’on attendait sa réaction. « Tu es charmant Joe ». Les passagers des deux véhicules éclatèrent de rire.

  Arrivés au village central, ils poursuivirent à pied sur les brisées empruntées le premier jour pour pister le monstre. La discussion vira bientôt sur le trésor qui les attendait. « Vous pensez qu’on aura autre chose que des points de bonheur et des points inutiles ? demanda Sandra.

— Je suis d’accord pour une fois, fit Laura. Je prendrais bien quelques gros bijoux !

— Et après, vous vous plaignez qu’on trouve les femmes trop vénales, réagit Joe.

— Tais-toi Joe, intervint Antonio, peut-être qu’elle ne faisait pas référence à ce genre de bijoux-là !

— Là tu rêves Cornuto, susurra Laura. Y en a peut-être qui ont besoin de points de libido supplémentaires pour remonter leur total au-dessus de zéro, mais moi, les hommes, je les chasse quand je veux et où je veux ! Et je ne les vois pas comme un trésor…

— Tu as raison Laura, grommela Sandra d’un ton sec, tes points de libido sont sûrement déjà au maximum et en avoir plus serait une pure perte. Tu es assez détraquée sexuellement comme ça ! D’un autre côté, tes points d’intelligence doivent être à zéro… C’est mathématique… Mais comment s’en étonner ?

— Pas du tout, ma belle… Vu que toi, je t’ai tout le temps dans les pattes, ça doit être mes points de chance qui sont à zéro…

— Vous pensez qu’il y a d’autres prismes ? » lança Henry de but en blanc.

Sans doute sentait-il qu’il était temps de changer de sujet.

« C’est possible, dit Mona. S’il y a d’autres temples…

— Si c’est pour revivre la même chose qu’hier, fit Sonia, je ne suis pas certaine de vouloir les trouver.

— Moi non plus, convint Henry. Une seule bestiole m’a suffi. »

Le petit groupe suivait les traces du monstre à travers la jungle. Rien n’avait vraiment changé depuis leur premier passage ; les arbres gisaient encore, brisés, arrachés, les plantes piétinées. Les empreintes du dinosaure étaient encore fraîches sur la terre.

« Est-ce que le passage du monstre va disparaitre rapidement ? demanda Sonia.

— Je ne sais pas, fit Henry. J’imagine que ça va disparaitre à un moment donné.

— D’après ce que je sais, dit Joe, il n’y a pas de règle générale. Ça dépend de l’endroit et du contexte. Dans certains espaces, si un bâtiment est détruit, c’est pour de bon. Bien sûr, il peut être reconstruit, mais sur le même principe que dans la vie réelle. Et dans d’autres cas, il se reconstitue le lendemain, notamment dans certaines zones de jeux de batailles.

— C’est aussi possible, ajouta Sandra, que tu ne vois pas la même chose que d’autres personnes. Un jour, une copine – enfin, ex-copine – m’a emmené voir une licorne dans une forêt magique. Eh bien, je n’ai vu ni la forêt, ni la licorne. Et elle voyait tout !

— Et tu l’as crue ? fit Antonio

— Oh ça va ! Tu sais très bien que c’est possible !

— Oui, enfin, de là à voir des licornes…

— D’un autre côté, c’est vrai que c’est peut-être pas pour rien que c’est plus ma copine… »

  Alors qu’ils marchaient, Sonia comprit qu’une chose avait changé sur le chemin d’arbres brisés. C’était son état d’esprit. Le monstre était mort. Ils étaient tous détendus aujourd’hui. Aucun monstre ne risquait de leur tomber dessus. Au moment d’arriver au pied du tumulus, le soleil était encore haut dans le ciel. Ils contournèrent la butte et retrouvèrent les deux piliers dressés devant l’entrée du bâtiment. Ils pénétrèrent au cœur de la colline par cet unique passage, mais cette fois sans hésitation.

  La pièce était sombre. Aucune lumière ne pénétrait par la cheminée qui surplombait le socle central. Ils auraient peut-être dû venir à midi pile, lorsque le soleil était à l’aplomb du bâtiment. Henry s’approcha de la structure et sortit le cristal de la boîte noire. Sonia reprit son point de vue en première personne pour suivre la manipulation de plus près.

« On va voir si ça marche » dit-il.

Il déposa le prisme dans l’encoche.

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