12-8 Conclusion

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Sonia retira son casque et le déposa sur le bureau.

Elle venait de passer les quinze minutes les plus longues de sa vie devant un écran noir. Elle avait attendu un signe. Le réveil d'une Xena assomée, mais rien. Si elle avait perdu connaissance, elle se s'était pas réveillée. Si ses amis avaient pu la sauver, ils l'auraient déjà fait.

Il y avait une seule explication : Xena était morte.

Quand bien même elle n’était pas sensée l’être.

   Sur la droite de l'écran, le menu apparaissait encore, mais il était grisé. Inaccessible. Elle n'était jamais morte en mode combat réel. Dans les jeux de divertissement comme Hellcrash, on revenait au point de départ. Ici, rien. C'était le néant. Était-ce ainsi qu'on mourrait en mode réel ? Un écran noir pour un esprit éteint ? Il lui restait le droit de se déconnecter.

Et faire ses adieux à un écran noir ?

Elle est partie...

  Xena n'était pas morte écrasée au fond d'une falaise ou déchiquetée par un monstre géant. Non, elle était morte au fond de la mer. Percutée par un sous-marin, noyée ou dévorée par un poulpe. De toute évidence, quelque chose n’avait pas fonctionné. Est-ce que les avatars étaient immortels sauf quand ils se prenaient en pleine face un sous-marin fou à cent mètres de profondeur ?

 Elle soupira et regarda l'heure. Elle avait du mal à cerner ce qu’elle ressentait. Elle avait supplié Xena de se réveiller. Cent fois. Mais rien. Elle n'était plus là.

Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?

Et les autres ?  Que leur était-il arrivé ? Savaient-ils qu'elle avait disparu ? Étaient-ils seulement encore vivants ?

On ne peut pas mourir.

Normalement.

Elle pouvait dire adieu à sa balade romantique. Tous ces points de bonheur pour rien. Est-ce qu'elle allait tout recommencer à zéro ? Avec une Xena bis ?

Elle s'affala dans le divan et se prit le visage entre les mains. « Tout ça pour ça » murmura-t-elle.

Elle fixait l'écran vide.

Vide. Un parfait résumé de sa vie.

Elle eut alors un flash. Elle se vit, l'épée à la main, face au tyrannosaure géant. Elle se revit attaquer le monstre de face. Elle n'avait pas fui. Pas cette fois.

Non.

Elle voulait comprendre. Elle voulait savoir ce qui était arrivé. Elle devait savoir. Elle allait se construire un nouvel avatar - n'importe lequel - et retrouver Henry. Elle voulait une explication !

Elle se releva et remit son casque. Elle navigua dans le menu grisé - le bouton déconnexion était le seul actif - mais elle hésita.

Est-ce que les autres étaient au courant qu'elle était morte ? Sûrement. Elle avait dû disparaitre de la liste des contacts. C'est comme ça que Molan avait dû prouver sa mort, non ?

Mais, alors, pourquoi y-a-t-il encore un menu ?

N'aurait-il pas dû disparaitre, lui aussi ? Quelque chose lui échappait. À la recherche d’un indice, elle navigua dans les paramètres et tomba sur son statut d’avatar.

Statut: Inconscient.

Inconscient ? Elle n'était pas morte ? Xena était inconsciente. Mais pourquoi ne s'était-elle pas réveillée ? Est-ce que le poulpe l'avait vraiment avalée ?

Brusquement, l’écran s’anima, une image apparut, d’abord floue, puis plus nette. Le ciel, des nuages. Des visages.

« Elle revient à elle, dit Joe.

— Xena, tu es là ? fit la voix de Mona.

— Oui, dit-elle. On dirait que je suis de retour.

— Ouf ! répondit sa compagne. J’ai crû que ce jeu nous avait fait un vilain tour. »

Sonia tourna la tête et vit ses compagnons : Mona, Joe, Sandra et Laura. Elle était couchée sur le dos. Derrière eux, elle reconnut les fenêtres du yacht d'Henry. On l’avait montée à bord.

« Tu peux te lever ? » demanda Joe d’une voix douce. À sa connaissance, c’était la seconde fois – après son passage clownesque dans le portail d’Elisor – qu’elle se retrouvait dans cette position : son avatar couché sur le dos alors qu’elle ne l’était pas elle-même. Forcément, le jeu pouvait forcer un avatar à effectuer certains mouvements, mais pas le joueur qui tirait les ficelles. Sonia s’accroupit et se releva. Xena comprit le message et se mit sur ses pieds.

« Tout va bien, Xena ? »

Cette fois c’était la voix d’Henry. Il se tenait debout à quelques mètres en compagnie d’Antonio.

« Oui, dit-elle la gorge serrée. Et toi ?

— J’ai morflé. On a perdu connaissance à cause du manque d’oxygène.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda-t-elle.

Elle se rappelait l’ombre immense et le grand boom. À y réfléchir, elle se doutait déjà de la réponse.

« Tu te rappelles de notre sympathique calamar ? expliqua-t-il. Eh bien, en fait, il n’était pas si sympathique. Il a réduit mon sous-marin en bouillie.

— Il est détruit pour de bon ?

— Il gît au fond de l’eau, confirma Joe. On est tous remonté à la nage. »

C’était à peine croyable. Le monstre marin avait décidé de les attaquer au moment où on ne s’y attendait plus et avait réduit en charpie le beau sous-marin d'Henry.

« Quand on a réalisé que tu était restée en bas, Laura est retournée te chercher avec des bonbonnes et des palmes.

  • Merci Laura, dit-elle.

— Pas de quoi, Xena. j'imagine que tu serais remontée toute seule à un moment ou l'autre. Ça aurait juste pris un peu plus de temps... vu que tu était coincée sous le sous-marin…

  • Ah je vois... »

Sonia regarda la mer. Le Clairvoyance était en mouvement. Il s’éloignait du lieu du danger. Perdre un mini sous-marin était une chose, perdre un yacht de quarante mètres une autre. Mieux valait ne pas rester dans le coin. Elle repensa à cette expédition folle et s’adressa à Henry : « Le jeu en valait la chandelle ?

— Bonne question…, répondit-il en soupirant. C’est ce que nous allons voir. »

Il frappa alors dans ses mains et annonça : « Faisons une petite revue de notre butin sous-marin. Qui veut commencer ? Joe ?

— Ok. Alors j’ai eu… 5250 points de bonheur… et probablement 3.000 points de frousse au passage…

— T’es pas le seul, fit Henry. Je crois que moi et Xena, on a la palme de ce côté-là.

— Ensuite… poursuivit-il, un point de vitesse ! C’est pas mal, ça…

— Comme ça, intervint Laura, tu pourras déguerpir encore plus vite devant le danger… »

Joe la regarda un instant en silence. « Mouais, dit-il, tu as raison… y a tellement de harpies dans le coin en ce moment… ». Il racla sa gorge avant de poursuivre. « Je crois que j’ai vu aussi + 1 niveau d’expérience – ce qui est plutôt original – et aussi mon mana s’est régénéré. Ce qui est aussi un peu…

— Bizarre, compléta Henry. Pourtant, on n’est pas dans un raid d’Elisor. Enfin…

— Le mana ? demanda Sonia.

— Ce sont les points de magie, précisa Joe.

— Moi aussi, fit Antonio, j’ai pris un niveau d’expérience et mes points de mana au max… comme si…

— Comme si on en avait besoin dans une quête citoyenne…, reprit Henry. Décidément, cette chasse au trésor était vraiment bizarre. Tous les autres aussi ? »

Une à une les femmes confirmèrent qu’elle avait eu de l’expérience et la régénération de leurs points de mana.

« Et à part ça ? demanda Henry.

— Environ 5,000 points de bonheur et un point d’endurance pour moi, fit Antonio

— Moi aussi, un peu plus de 5,000 points de bonheur et un point de volonté, annonça Mona.

Laura quant à elle eut droit à 4,500 points de bonheur et un point de charisme. « Oui, je sais, dit-elle, si ça continue comme ça, les hommes vont tomber en pamoison juste en effleurant mon ombre… ». Sonia confirma ses 8,500 points de bonheur après avoir fait un rapide calcul, ainsi que son point de volonté supplémentaire.

« Alors, toi, fit Mona, j’ai jamais vu une femme aussi heureuse dans Autremonde !

— Et c’est pas faute d’avoir essayé de lui retirer son sourire ! intervint Antonio. On lui a même envoyé un sous-marin en pleine tronche !

— Qu’est-ce que vous voulez ! répondit-elle. Ça doit être grâce au point de volonté ! Il en faut plus pour me démoraliser maintenant ! »

Si ça pouvait être vrai…

— Bon, dit Henry. Alors Sandra, pas besoin de nous le dire, on l’a tous vu.

— Je crois même me rappeler, fit Laura, que c’est la seule à n’avoir rien vu…

— Je vous emmerde tous ! s’insurgea Sandra au milieu des éclats de rire. Et je peux vous dire moi que ça n’en valait pas la peine ! Henry a perdu un sous-marin et en échange, on a gagné quelques points de bonheur, une bonne frousse et on a récupéré des points de magie ridicules qu’on n’avait même pas perdus et qui ne servent à rien de toute façon !

— Allons Sandra, dit Antonio, tu sais la magie, ça peut être utile parfois. Par exemple, il existe des sorts très puissants qui peuvent rendre attirant même un laidron comme…

— Je t’emmerde.

— Bon… alors, balbutia Henry, je disais que…moi, j’ai eu… 3,000 points de bonheur et un point de force.

— Ah ben c’est bien ça ! fit Laura. Ça te sera utile pour mater cette furie !

— L’homme qui me matera n’est pas encore né, gicla Sandra d’un ton assassin.

— Je suis d’accord, fit Henry. Qu’est-ce qu’un point de force contre 3,000 points de furie ?

— Je ne te le fais pas dire… » gronda Sandra

Devant la tension ambiante – une tension qu’elle n’arrivait pas vraiment à jauger comme vraie ou factice –, Sonia tenta de dévier la conversation. « À votre avis, c’était quoi ce cristal blanc ?

— Un cristal de lune ? proposa Antonio.

— Ça sonne bien comme nom, fit Mona.

— Un cristal de lune qui donne des larmes de lune…, dit Sonia en réfléchissant à voix haute. C’est vrai, ça tient la route. »

Pourtant, au fond d’elle, elle n’y croyait pas. Les prismes étaient liés au soleil et la lumière blanche évoquait plus le jour que la nuit. Quelle conclusion en tirer ? Aucune. Cette chasse au trésor était terminée et restait un mystère complet. Ce qui était sûr c’est que les programmeurs avaient réussi un tour de force : leur faire croire qu’ils allaient mourir alors qu’ils savaient pertinemment qu’ils étaient immortels. Une bande de psychopathes, ces programmeurs… Curieusement, à cette idée, elle repensa à Hellcrash.

La nuit était déjà pleine lorsque le Clairvoyance accosta à Palo Alto. « Je passerai voir le ranger demain, dit Henry, pour m’assurer qu’on a rien oublié. En attendant, je vous propose de trinquer à notre victoire ! » Henry avait fait apparaitre des verres à champagne et tous en prirent un. « Ce fut une très belle aventure et je suis très heureux de l’avoir partagée avec vous ! ». Tous levèrent leurs verres qui s’entrechoquèrent.

« Vous pensez que la quête est vraiment terminée ? demanda Sonia.

— Je crois, oui, dit Henry. Ce qu’on a gagné-là, c’est solide si tu compares aux autres chasses au trésor.

— Tu ne penses pas qu’il y a d’autres prismes ? suggéra Laura.

— Oui, j’y ai pensé. C’est possible. Mais je ne pense pas qu’on est sensé les trouver dans cette quête. Si jamais ils existent…

— Je vois ce que ce tu veux dire » fit Joe.

Sonia, elle, ne voyait pas. Elle posa la question. « C’est parce que, expliqua Joe, il y avait trop d’éléments mélangés entre une quête citoyenne et une quête guerrière : Elisor, le monstre…, enfin les monstres ; et puis des endroits inaccessibles, sans compter ce qu’on a gagné : des points de magie et…

— Et des points d’expérience, compléta Henry. Ce qui est très utile dans un monde guerrier, mais…

Mais complétement débile dans le monde normal ! » asséna Sandra.

Apparemment, il y en avait une qui en avait encore sous le coude.

« Ne dis pas ça, répondit Henry. Peut-être qu’un jour, ça te servira.

— Mais oui, fit Antonio, imagine qu’un avatar veuille un jour abuser de toi sexuellement, et chose incroyable, tu décides que pour une fois tu n’en as pas envie ; et bien, avec plus de puissance…

— Mais qu’est-ce que tu racontes, espèce de crétin ! Tu penses que je suis venue sur Autremonde pour me faire baiser ? Non, mais tu te projettes là ! Moi, j’ai tous les mecs que je veux dans la vraie vie ! C’est pas comme toi qui dois te contenter de poupées gonflables ! Même dans Autremonde !

— Bon, on va peut-être se calmer un peu, tempéra Henry.

— Non mais quel enfoiré !!

— Je crois qu’elle m’aime bien, dit Antonio.

— Va te faire…

— Sandra ! intervint Joe. C’est bon ! On sait tous qu’Antonio est homo et qu’il plaisante. Arrête de prendre tout au premier degré.

— Je…, amorça Sandra. Attends, t’es sérieux, là ? »

  Les mots de Joe avaient eu le don de désamorcer la grenade. Elle n’avait su comment répliquer. Sonia aussi tombait des nues. Elle essayait de trouver des indices dans le comportement d’Antonio qui auraient pu trahir une attirance pour les hommes plutôt que pour les femmes. Il semblait tout sauf homo, mais derrière le masque d’un avatar, il était facile de cacher ses pensées ; et avoir des relations sexuelles avec une femme dans Autremonde ne dépendait que d’un clic et pas d’un processus psycho-physique...

  Au terme du petit cocktail improvisé, ils jetèrent leur verre à la mer. Sonia épia le comportement d’Henry pour voir s’il allait encore exiger quelque baiser traditionnel, mais il n’en fut rien. En revanche, elle eut encore droit à des éloges pour sa capacité naturelle à se mettre en danger – une qualité fantastique dans Autremonde – et officialisa indirectement son adhésion dans leur groupe en lui promettant de nombreuses autres aventures. Peu à peu, les membres du groupe se séparèrent pour aller se coucher.

« Xena, l'interpella Henry, tu as une seconde ? »

Il l'amena dans un coin un peu à l'écart des autres.

« Tu as quelque chose de prévu ce dimanche ?

  • Rien. Rien de spécial.
  • Ça te dirait d'aller faire une balade à deux ? Je connais un endroit qui devrait te plaire.
  • Oui ! Pourquoi pas !
  • Super ! Tu verras, tu ne le regretteras pas, c'est un endroit unique, que très peu de gens connaissent dans tout Autremonde.
  • Ça à l'air prometteur. Merci. »

À peine revenaient-ils pour saluer les autres que Mona la prenait à son tour en apparté.

« Xena, tu fais quelque chose demain ?

  • Euh.. non ?
  • Je t'envoie une adresse en PM. On se voit et je t'emmene faire les boutiques. Il faut que tu étoffes un peu ta garde-robe. Je vais faire de toi une femme du monde !
  • Euh...
  • Je suis trop excitée ! Dis-moi oui !
  • Oui.
  • Génial ! À demain ! »

Enfin, juste avant de partir, Sandra vint caler son visage contre le sien.

« Je ne crois pas une seule seconde que ce type soit homo, dit-elle en chuchotant.

— J’imagine que tout est possible, répondit-elle, mais c’est dur à croire. »

Sandra émit un petit bruit de désapprobation. « Quand je baise avec un mec, même en virtuel, je peux te dire s’il est vraiment excité ou pas. Les femmes comme moi sentent ce genre de chose. Et crois-moi, ce gars-là est un vrai macho avide de femmes. Aucun doute là-dessus.

— Je crains de pas être assez expérimentée sur le sujet, admit-elle, juste avant de réaliser qu’elle n’avait pas précisé qu’elle parlait du sexe virtuel.

— Demande-lui de t’instruire, je suis certaine qu’il se ferait un plaisir – un vrai plaisir – de combler tes lacunes. »

« D’ailleurs, compléta-t-elle, demande à n’importe lequel d’entre eux. Dans la VR, je ne sais pas. Mais dans Autremonde, ce sont tous des pervers… »

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