14-2 Espaldia

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  Xena entra dans le domaine d’Espaldia – le centre d’entraînement le plus perfectionné d’Autremonde, le seul endroit où les néophytes pouvaient côtoyer les plus grands champions à l’œuvre. Le bâtiment se présentait, vu de l’extérieur, comme une tour cylindrique en verre si haute qu’elle se perdait dans les nuages.

« Dans Autremonde, expliqua Henry, la taille des objets, et en particulier des bâtiments, est toute relative. L’extérieur peut paraitre immense et l’intérieur minuscule ou inversément. Dans le cas présent, les concepteurs ont voulu faire un coup de pub. Ils souhaitaient que la tour se voit de loin. Cela a un coût car la surface extérieure se paie beaucoup plus cher que la surface intérieure.

— Et dans ce cas, c’est plus petit dedans ?

— Non, Espaldia est un endroit spécial. Sa taille dépend directement des utilisateurs et ce qu’ils veulent en faire. Mais tu vas comprendre. Viens. »

  Henry s’avança vers l’entrée du bâtiment, une immense porte vitrée à double battants qui s’ouvrit devant eux.

« Je ne passe pas par l’entrée principale d’habitude, mais c’est ta première fois, alors… »

  Le hall d’entrée d’Espaldia se présentait comme un atrium en forme de silo montant jusqu’au ciel et qui devait occuper l’essentiel du volume de la tour. Toute sa surface intérieure était couverte de fenêtres tantôt opaques, tantôt translucides, clignotant par intermittence de couleurs variées qui donnaient à l’ensemble un air de kaléidoscope géant. Un globe semblable à une petite lune flottait au centre de l’atrium et pivotait doucement sur lui-même. La surface de cet astre miniature était couverte de carreaux métalliques qui émettaient de la lumière.

« On dirait une boule de discothèque géante, commenta Sonia.

— Je suis d’accord, fit Henry. C’est le cerveau central d’Espaldia. Toute personne qui entre ici, est scannée par l’ordinateur et un espace virtuel lui est attribué par défaut, un peu comme un cluster de disque dur. En fonction de ses besoins, on peut faire varier l’espace requis. Pour ce faire, il suffit d’introduire les directives via le menu qui a dû apparaitre sur ton écran. »

  Sonia avait en effet remarqué qu’une fenêtre d’information avait surgi dans un coin de son écran. Le menu permettait de rentrer dans son centre d’entrainement ou de pénétrer dans "l'arène". L'arène était une bibliothèque de tous les types d’entrainement accessibles au public.

« Mais si Espaldia est le centre d’entrainement le plus cher et le plus couru d’Autremonde, c’est parce qu’il offre quelque chose d’unique, de vraiment unique dans tout Autremonde. »

  Sonia écoutait à peine, hypnotisée par la grande boule métallique qui tournait lentement au-dessus d’elle tel un astre majestueux trônant au centre de la galaxie. Lorsqu’un carreau s’illuminait quelque part à sa surface, elle avait l’impression qu’une des fenêtres de l’atrium réagissait en changeant d’aspect. Une foule d’avatars apparaissaient, puis disparaissaient tout autour d’eux. On aurait dit une gare de téléportation.

« La vrai particularité d’Espaldia, continuait Henry, c’est son droit de réplication. »

Le mot buta dans l’esprit voyageur de Sonia.

« Son droit de… de quoi ?

— La réplication est la capacité de copier son environnement et le reproduire à l’infini. C’est évidemment strictement interdit dans Autremonde et le plus grand crime que l’on puisse commettre.

— Ah bon ? Et pourquoi cela ?

— Eh bien, c’est un peu le principe du copyright. Dans la vraie vie, les inventions ou les créations artistiques sont protégées par des brevets ou des droits d’auteurs. Imagine Autremonde comme une gigantesque œuvre où tout n’est que création à la fois technologique et artistique. Rien n’est pré-existant, tout a été créé de la main de l’homme et tout doit être protégé, sauf les œuvres libres de droit, bien sûr.

— Comme mon avatar ?

— Oui. Et non. Ton avatar et son design sont la propriété de la société qui gère Autremonde, c’est une création libre de droit dans Autremonde, mais pas en dehors d'Autremonde. Ensuite, ils s’assurent que chaque Xena ait un numéro d’identification unique de sorte qu’au final ce ne soient pas de vraies répliques.

— Il est donc interdit de recopier quoi que soit dans Autremonde ?

— Formellement, chaque objet que tu croises a été créé par quelqu’un et porte sa signature. Créer un objet dans Autremonde est à la portée de tous, mais cela prend du temps et si tu veux lui inclure des propriétés particulières, tu dois développer un programme assez complexe en plus du design de base. Il existe des sociétés spécialisées dont le seul objet est justement la création d’objets pour Autremonde.

— Et ici on peut reproduire les objets d’Autremonde.

— Pas seulement les objets. Ici, c’est le paradis des copieurs. Tu peux reproduire non seulement des objets mais des univers entiers, des scénarios, des parties de jeux ou de missions qui te posent problèmes.

— Comment on peut faire ça ?

— Ah ah ! Une chose à la fois. Viens, je vais t’emmener faire un tour. »

  À peine avait-il dit cela qu’une porte se matérialisa devant eux. C’était une porte métallique avec une poignée.

« Mais, avant ça, continua Henry, je dois passer voir un ami. »

Au centre de la porte était incrusté une petite lampe rouge. Dessous était inscrit : 2867BA. Il posa sa main sur la poignée et attendit. La lampe devint alors verte. Il baissa la poignée. Il y eut un déclic et la porte s’ouvrit. « Viens, ce ne sera pas long. »

  Xena suivit Henry dans une petite pièce carrée aux murs en prunelle rouge sobrement aménagée de deux fauteuils et d’une petite table ronde avec un pot de fleur et deux magazines dessus. Il y avait deux autres portes, toutes deux closes, sur le mur de gauche et celui d’en face. Derrière elle, la porte de métal s’était fermée sans un bruit. L’endroit n’avait rien de spectaculaire et évoquait le petit boudoir d’une maison bourgeoise.

« Où sommes-nous ? demanda-t-elle

— Nous sommes dans le lobby.

— Le lobby ?

— Oui, une salle d’attente si tu préfères. Lorsqu’une personne extérieure est invitée chez quelqu’un, elle rentre d’abord dans le lobby. C’est à la fois une zone de contrôle, car les portes ne peuvent être ouvertes que par le propriétaire des lieux, mais aussi un aiguillage. Tu peux accéder à toutes tes zones d’entrainement à partir d’ici.

— Il y a deux portes, ça veut dire qu’il y a deux zones ?

— C’est ça. Mais tu peux faire varier le nombre de tes zones à l’infini. Hier, il y en avait peut-être dix ici. Simplement, c’est coûteux à entretenir, donc mieux vaut conserver actives uniquement les zones que tu utilises régulièrement. À moins d’avoir de l’argent à perdre. »

Le lobby n’avait en soit rien à offrir. Sonia doutait que les magazines soient vrais, mais même s’ils l’étaient, elle doutait d’y trouver quoi que soit susceptible de l’intéresser.

« Toi aussi tu as un lobby ?

— Oui, tout le monde. Il y a quelques différences d’une personne à l’autre, mais en général, ils se ressemblent tous.

— Le tien est identique ?

— Quasiment. Moyennant une somme modique tu peux le personnaliser, bien sûr, comme tout ici, mais ça n’intéresse personne ou presque. À moins de recevoir régulièrement des invités, j’imagine.

— On attend quelqu’un là ?

— Oui, il ne va pas tarder. »

  Sonia n’était pas claustrophobe. Pourtant, elle ne se sentait pas vraiment à l’aise dans cette petite pièce fermée. Henry ne lui avait pas dit qui il attendait. Sur le moment, le lobby lui rappelait - dieu sait pour quelle raison - ces chambres cachées où des jeunes filles avaient été séquestrées pendant des années par des psychopathes pervers. Ça devait être l’absence de fenêtre...

  La porte de gauche s’ouvrit. Elle allait découvrir le visage du psychopathe en question. Ce fut un homme. La plupart des résidents sérieux prenaient forme humaine dans cet univers. Il n’était pas interdit de se matérialiser sous la forme de monstre ou de robot, mais on s’exposait alors à une forme d’ostracisme de la part de la communauté. D’un côté, ce n’était pas logique. Quitte à se cacher derrière un avatar, on n’en savait pas davantage sur l'interlocuteur s’il avait forme humaine ou extraterrestre. Même les voix pouvaient être modifiées par des applications. Pourtant, l’être humain était ainsi fait. Il ne pouvait s’empêcher de ressentir de la confiance et de l’empathie envers celui qui reflétait sa propre image. En l’occurrence, ses compagnons lui avaient bien dit que sa féminité, ou pour être précise, le soin qu’elle avait apporté à son physique, son galbe et son style réaliste, les avaient enclin à l’accueillir. Alors oui, la communauté de base d’Autremonde se reconnaissait en général de type humain, et c’était lui montrer respect que de s’adapter à son style physionomique.

  L’homme en question était non seulement humain, mais beau. C’était un pirate. Il portait un grand chapeau noir en triangle, une chemise blanche élimée dont les boutons de la partie supérieure semblaient avoir été arrachés, un survêtement rouge, un pantalon noir ample et des bottes de cuir usées. Son torse était barré de deux sangles de cuir striée d’encoches où s’alignaient des longues balles de pistolets. Deux armes antiques pendaient de chaque côté de l’écharpe rouge qui lui servait de ceinture. Bref, un pirate.

« Salut Mister Black ! » lança l’homme d’une voix claire et... jeune.

Il avait le visage doux d’un jeune bobo, avec ses yeux bleus profonds et sa barbe de trois jours. Mais aucune trace de cette fatigue et usure qui caractérisaient ses habits.

« Bonjour, Karaté kid ».

Les deux hommes échangèrent quelques politesses et Henry présenta Xena comme une amie venue s’entrainer avec lui. Sonia comprit rapidement qu’ils étaient là pour parler business.

« Alors finalement tu l’as utilisé ! Vu ton style de vie, j’ai cru que tu l’avais acheté pour la frime.

— Que veux-tu, je suis prévoyant ! Mais je ne pensais pas l’utiliser si tôt.

— Je suis content que tu sois satisfait du résultat. J’y ai mis pas mal de cœur.

— Et beaucoup d'énergie. Je le confirme.

— J’espère juste que tu ne l’as pas utilisé à la légère.

— Non, non, crois-moi, je l’ai utilisé en dernier recours. Et le prix en valait la chandelle. »

  Sur le moment, Sonia eut un peu de mal à comprendre de quoi les deux hommes discutaient, mais elle réalisa plus tard qu’il lui vendait une arme. Et pas n’importe laquelle. L’arme - ou plus précisément le sort - qui avait permis à Henry de terrasser d’un coup le monstre de l’île. Karaté Kid proposa à Henry quelques artefacts de son choix, ils négocièrent le prix et se mirent d’accord.

  C’est alors que l’autre porte s’ouvrit à son tour. Un homme entra dans la pièce. Il était très grand, une véritable montagne de muscles qui, pour seul habit, portait un pagne à la taille. Ses bras, ses cuisses n’étaient que muscles. Ses pectoraux saillaient comme deux blocs de roches taillées et polies. Une sangle lui cerclait la poitrine à laquelle était accrochée dans son dos une longue épée dont le manche était fait pour être saisi à deux mains. C’était un barbare. Un vrai de vrai.

« Salut Xorax, fit Karaté Kid.

— On a des invités, Kid ? répondit l’homme d’une voix grave, mais amicale.

— Eh oui, il faut bien vivre ! ». Il éclata de rire. « Je te présente Henry, un vieil ami qui apprécie mes créations à leur juste valeur. Et son amie Xena avec qui tu pourrais t’entendre, vu que vous avez le même style vestimentaire ! »

Xorax pointa Xena de l'index. « Pas faux, j’aime la simplicité chez les gens ! »

« Vous avez fait de bonnes affaires ? demanda le grand guerrier.

— Oui, fit Henry, très bonnes.

— Henry vient de me racheter une Exécution du Ciel et deux exemplaires de Foudre Étincelante !

— Je vois que tu donnes toujours des noms ringards à tes sorts.

— Bah… Tu n’y connais rien en marketing, tas de muscles ! »

« Comment ça se passe là-dedans, fit le pirate à son compagnon.

— On progresse. Je crois que j’ai trouvé la solution.

— Ah, tu sais comment désactiver la barrière, comment ?

— On balance la fille.

— Sans blague ? »

« Vous êtes en simulation de jeu ? demanda Henry.

— Oui, dit le Kid, on a reproduit une séquence d’un jeu qu’on tente d’analyser avec le recul.

— Il est loin, continua Xorax, le temps où les jeux avaient encore des valeurs ou de l’éthique. Aujourd’hui tu dois t’attendre à tout : tuer la veuve et l’orphelin, tringler un cheval, et que sais-je encore, les nouvelles recettes de la victoire, c’est subversion, manipulation et terrorisme. »

C’était un peu étrange d’entendre cet inconnu au physique de bourreau assoiffé de sang disserter sur les vertus oubliées des jeux vidéo.

« Il faut vivre avec son temps, Xorax » conclut son ami le pirate négociant.

Sur ces mots, il tendit la main à Henry et lui fit un petit signe de tête pour indiquer qu'il était temps d'y aller.

***

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