17-4 Succube

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  Xena refaisait le parcours de saut pour la quinzième fois. A mi-chamin, il fit une pause. Le pilier suivant était beaucoup plus haut. Elle le ratait une fois sur deux. Elle prit un élan d’un pas et s’élança. Elle s’écrasa contre la pierre et s’agrippa tant bien que mal au rebord. Elle arriva enfin à se hisser sur la plate-forme. Ok, plus que trois... la suivante c’est pas trop d’élan. Elle sauta et atterit en amortissant le choc en pliant les genoux. Le mouvement d’amortie était important pour ne pas partir vers l’avant.

  En mode combat, il fallait se comporter dans le monde virtuel comme dans le monde réel. L'avatar subissait la force centrifuge et en général la force gravitationnelle comme n’importe quel être humain. Xena sauta et retomba sur l’avant-dernier pilier. Il était à deux mètres du seul et il n’y avait qu’un tapis en bas. Pas de quoi se faire mal, même si la chute faisait perdre quelques points de vie. Vaudler lui avait conseillé ce type d’exercice en mode combat pour s’améliorer plus vite dans les parcours de type labyrinthe. Le risque augmentait le degré de concentration.

L’alarme sonna.

« Zut ! Faut qu’j’y aille ! »

   Xena sauta et cette fois enchaîna les bonds sans s’arrêter. Elle arriva sur le balcon d’arrivée avec une belle amortie.

« Oui ! » s’écria-t-elle. Elle regarda son résultat : 1 min 47 secondes. C’était pas mal. Elle avait réussi 1min 45 secondes une seule fois. Mais elle avait de la marge. Le record du parcours était de 14 secondes.

  Elle se déconnecta, prit son sac et fila prendre son bus en claquant la porte derrière elle.

  Cette semaine était l’avant-dernière semaine avant le départ d’Alain. Non seulement, il fallait gérer la transition des responsabilités d’Alain mais les demandes de réunions et de test sur le déploiement d’Oracle étaient de plus en plus nombreuses. Son agenda de la semaine se remplissait à vue d’œil et il était évident qu’Eric voyait dans son futur nouveau rôle l’opportunité de se délester des tâches administratives inhérentes au projet de déploiement informatique.

Ça commençait à sentir le roussi et Alain n’était même pas encore parti.

  Le pire, c’est qu’elle n’avait que Kukulkan en tête. Elle se sentait incapable de se concentrer sur son travail. Seule la mission lui occupait l’esprit. Heureusement, elle pouvait en parler à quelqu’un sur l’heure de midi car elle s’était accordée avec Sven pour manger ensemble et prendre cette opportunité pour rattraper une partie de son retard de connaissance sur les pièges du labyrinthe. Elle en profita pour lui demander conseil sur les manettes à utiliser en mode combat.

« Écoute, j’ai des bâtons de combat en stock si tu veux. Les technologies évoluent super vite et la version de l’année dernière est déjà dépassée. Je t’en amène une paire demain . Après tu peux toujours t’en acheter des sur-mesure, mais essaie déjà ce que j’ai. Tu verras c’est pas mal pour débuter. »

***

  Sonia observait les petites ouvertures percées tout en haut des murs du Grand Hall, tout près des puissants arcs de soutènement du plafond. Elles étaient démesurément petites en comparaison de la taille de l'édifice et elles rappelaient un peu les premiers âges de l’architecture religieuse, aux temps où ouvrir une fenêtre dans un mur risquait d’entamer la stabilité de l’édifice.

« Vous êtes prêts ? ». La voix d’Highlander venait de briser le silence. Comme la veille, Xena suivit Highlander et Manhattan dans le couloir de gauche tandis que Contraste et Arjun s’engouffraient dans celui de droite.

« J’ai parié avec Contraste qu’on serait les premiers à glaner une clé. »

Très vite le chemin se divisa en trois. Les trois prirent le couloir de gauche.

  Highlander imprimait la cadence au petit groupe, un pas de course qui ne laissait pas à Sonia le temps d’inspecter son environnement. Les murs composés de gros blocs lisses étaient éclairés par des torches à intervalles réguliers. Peu à peu, le couloir s’obscurcit. Pourtant, les torches brûlaient toujours sur les murs.

« Ça sent le brulé » annonça Highlander.

  Sonia se demanda comment son compagnon pouvait sentir quoi que ce soit dans un jeu vidéo. Mais ses mots prirent leur sens quand elle observa la suie qui couvrait les murs et enfin, lorsqu’une flamme souffla devant eux. Un rugissement résonna dans le couloir. Highlander ralentit.

« Les amis, ça va être chaud. ». Sonia comprit qu’elle allait faire connaissance avec l’élément feu.

« Xena, on va devoir affronter les golems de lave. Et on est mal armé contre eux. »

  Là où, un peu plus tôt, la flamme avait éclairé le couloir, persistait une lueur orangée qui n’était pas sans évoquer les reflets dansants de la lave sur les parois de la grotte souterraine dans les entrailles du volcan de Palo Alto.

« Il va falloir être vif et rapide » ajouta-t-il.

 Il invita Xena à se caler près de lui et il longea le mur jusqu’à l’ouverture d’où émanait la lumière orangée. Arrivés au seuil de la source lumineuse, il passa la tête discrètement hors de l’ombre du couloir et la ramena rapidement.

  • « Il y a une rivière de lave et trois golems.
  • On a vu pire, commenta Manhattan.
  • Oui, on a vu pire. Xena, jette un coup d’œil ! »

  Il l’avait dit en chuchotant. Était-ce pour souligner la nécessité d’être rapide et discret ou parce que les monstres qu’elle allait affronter avaient l’ouïe fine ? Xena passa sa tête lentement. Au-delà du couloir, le labyrinthe s’était mué en une immense grotte souterraine aux parois brutes, accidentées, traversée de long en large par une rivière au liquide dense, orangé et fumant : la rivière de lave. Trois êtres s’y baignaient, des êtres vaguement humanoïdes faits de pierre noire calcinée, mais parcourus d’interstices qui laissaient deviner un corps bouillonnant de matière en fusion.

« Qu’est-ce que tu as vu ? » demanda Highlander.

Elle s’étonna qu’il lui pose cette question. Peut-être était-ce un test.

« Une grotte au plafond haut, une rivière de lave et trois monstres horribles qui prennent un bain.

— Largeur du lit ?

— Euh… Je ne sais pas. Deux mètres ? Trois mètres ?

— Autre chose ?

— Non. »

« Alors, voilà le plan. Les golems sont lents, sauf dans la lave. On doit les attirer hors de la flotte, le plus loin du bord avant de se disperser.

— Ça, c’est moi qui m’en occupe, fit Manhattan.

— la rivière fait à peu près deux mètres de large au centre, mais elle s'élargit aux extrémités de la salle. Par contre, à droite, il y a un guet à une trentaine de mètres. Je foncerais au centre, c’est là qu’ils nous attendent. C’est plus risqué, mais je suis le plus résistant à la chaleur. Xena, tu iras tout à droite. Manhattan, pour toi, sauter trois ou quatre mètres est un jeu d’enfant.

— Pas de soucis, fit le pirate. Je passe le premier, je les attire vers moi, et vous n’aurez plus qu’à vous balader. »

« Prêts ? »

« C’est parti ! ».

Manhattan s’avança. Son visage s’illumina avant de disparaitre derrière le mur du couloir. Sonia l’entendit narguer les golems.

« Venez mes petites ! Venez voir tonton Manhattan ! Je suis délicieux en sauce piquante ! »

« C’est ça, sort ton gros bide de ton jacuzzi ! ». Le hurlement des golems résonnait comme des gouffres sans fond. « Ok, chef, j’en ai deux à mes trousses, je marche tranquille... ».

« Venez mes toutous. C’est bien. Quoi, vous préférez la sauce lavande ? Oui, moi aussi ! »

« C’est bon, les gars. Vous pouvez y aller. »

Sans mot dire, Highlander sortit de la pénombre. Xena attendit.

« À mon signal, Xena, tu fonces vers la droite en courant. »

Les cris des golems se faisaient échos.

« Allez, sors de là, gros plein de soupe ! ».

Sonia hésita. Non, ce n’était pas à elle qu’il s’adressait…

Elle attendait le feu vert, anxieuse. « Tu vas sortir de ton trou, oui ? » Highlander s’impatientait.

Les golems grondaient toujours plus fort.

« Je suis coincé, annonça Manhattan. Il faut que je saute.

— Vas-y, tant pis ! Xena, cours, on tente le coup ! »

  Sonia lança son avatar dans un sprint à la lueur de la lave. Elle courut sur le sol fumant de la grotte en jetant un seul coup d’œil furtif à son compagnon debout en bordure de rivière, face au monstre immobile. Elle aperçut le guet dont Highlander avait parlé. Une grosse pierre plantée en plein milieu du torrent de la lave à l’extrémité de la salle. Au-delà, la lave s’engouffrait dans une grotte creusée dans la roche. En deux pas, elle aurait passé la lave. Elle s’était entrainée au saut d’obstacle de nombreuses fois, il n’y avait aucune raison qu’elle rate. Il ne lui resterait plus qu’à rejoindre la sortie en espérant qu’un monstre ne lui bloque pas le passage sur l’autre rive.

  Des coups de feu retentirent. Highlander avait sorti ses armes pour déloger son adversaire. Xena avait atteint le guet.

Un petit saut.

  C’était facile, mais il ne fallait pas le rater. Sinon, c’était brochette instantanée. La pierre bougea. Ou était-ce un effet d’optique dû à la chaleur ? Elle hésita. Si la pierre n’était pas stable, elle risquait de trébucher.

« Ça y est ! Il se ramène ! »

Xena tourna la tête pour voir Highlander reculant devant le monstre de pierre et de lave qui venait de se relever et sortait hors de la rivière en dégoulinant de lave. Sur l’autre rive, Manhattan marchait à reculons en faisant des moulinettes avec son épée devant les deux géants qui l’avait suivi vers la sortie. Il y eut un grondement tout proche et lorsque Xena reposa son regard vers le guet, celui-ci avait disparu. À la place se dressait un monstre de lave immense dégoulinant de liquide en fusion. Il ouvrit sa grande gueule noire et émit un hurlement qui brûla l’air, faisant perdre quelques points de vie à la guerrière. Sonia eut à peine le temps de sursauter devant cette vision de cauchemar. Elle vit alors le guet, là, tout en haut du crâne du monstre. Tout ce temps, elle avait failli sauter sur le crâne d’un golem géant.

  D’un mouvement du bras, il envoya gicler une lampée de lave vers Xena. Sonia, dans un réflexe qui la surprit elle-même plongea en criant. Elle tomba lourdement par terre dans son salon, et sentit une douleur lui parcourir l’épaule. Malgré l’absence totale d’élégance de l’instruction, Xena comprit l’intention car elle plongea elle-aussi sur la droite en faisant un cumulet. Touchée malgré tout par quelques gouttes, elle vit sa barre de vie en partie amputée.

  Prise de panique, Sonia se releva d’un bond et lança Xena dans une course effrénée dans le sens opposé, tout droit vers Highlander. Elle entendit au loin Manhattan y aller de son analyse.

« C’est pas bon ça… ».

« Plan B, cria Highlander en voyant Xena débouler vers lui et son golem.

  • C’est quoi le plan B ? cria Sonia un peu trop fort.
  • On saute et on coure ! »

  Sur ce, il déchargea son pistolet sur le visage du golem qui se protégea avec un bras. Saisissant l’occasion, il piqua un sprint, passa en courant à côté du monstre. Xena arriva au même moment, poursuivie par son propre golem qui surfait sur la rivière à la vitesse de l’éclair. Les deux avatars sautèrent pratiquement au même instant et il s’en fallut de peu pour qu’ils se télescopent en plein vol. Le golem arriva juste après qu’ils eurent atterri, et lança une gerbe de lave sur eux, mais cette fois, Sonia fut assez rapide, effectuant un rouler bouler vers l’avant. Elle bondit sur ses pieds et courut droit vers la sortie.

« Manhattan ! cria Highlander, qu’est-ce que tu fous, ramène-toi ! »

Quelques secondes plus tard, les trois avatars courraient dans le couloir, laissant les monstres de pierre et de lave derrière eux.

« Qu’est-ce que tu foutais ?

  • Rien, j’ai vu que vous étiez mal barre, alors je suis repassé sur l’autre bord avec mes deux potes pour vous ouvrir la route.
  • C’est gentil, fit Sonia, qui réalisait seulement combien ce passage avait été une formalité pour Manhattan. »

  Xena suivait Highlander dans les couloirs calcinés de l’antre de feu tout droit vers leur ennemi, le succube. Le succube, dans le meilleur des cas. Dans le pire, ils feraient face au Phénix. Ironie du sort, pour le groupe qui portait le nom éponyme de l’ennemi qu’ils n’avaient pas encore réussi à battre. Le feu était leur némésis parmi les quatre éléments. Aucun des membres n’était armé pour affronter cet élément, à l’exception peut-être d’Arjun dont la magie défensive permettait de résister en partie aux attaques de feu.

  Ils arrivèrent dans une grande salle éclairée. Sonia cligna des yeux sous l’effet de la lumière. De la pierre lisse pavait le sol, d’élégantes torchères s’alignaient en nombre le long des murs. La salle était de forme carrée, et ressemblait à un temple à l’architecture épurée. Le plafond était étonnamment haut pour une pièce creusée dans le cœur d’une montagne et les flammes qui éclairaient les murs ne donnaient qu’une idée approximative de la distance qui les séparaient du toit.

  Mais s’il y avait une partie de la salle qui brillait plus que partout ailleurs, c’était le trône, qui tout au fond leur faisait face. Un trône de pierre polie, brillante, sur lequel était assis une femme nue à la peau miroitante comme un feu qui brûle dans l’âtre, protégée de deux grandes ailes de peau noire tendue, recourbées comme des boucliers. Elle croisait les jambes, nonchalamment, le coude appuyé sur l’accoudoir de son fauteuil de roche. Ses yeux pétillaient comme deux étoiles. De tout son corps émanait une lueur comme celle des braises qui rougissent dans la nuit. Elle avait une longue chevelure rouge, sauvage, qu’elle arborait comme une crinière de lion.

« Voilà ta copine » dit Highlander sans doute à l’attention de Manhattan.

  La femme se leva et déploya ses ailes de dragons qui laissaient filtrer la lumière. Elle était entièrement nue, ses seins pointant haut et une toison épaisse à l’apparence d’une flamme couvrait son entre-jambe. Néanmoins, aucune sensualité ne se dégageait de cet être, à l’apparence d’une femme, mais à l’aura d’un démon. Xena avait déjà dégainé son arme et s’apprêtait à engager le combat à chaque instant. Elle fut donc totalement surprise lorsque le succube s’adressa à eux.

« Bienvenue dans mon antre, aventuriers ».

Elle avait levé les mains vers eux comme pour mieux les accueillir. Sonia n’aurait su dire si la scène était habituelle ou pas.

« Je mesure les efforts et les souffrances que vous avez dus endurer pour parvenir jusqu’ici et je vous félicite pour votre abnégation. »

« Permettez-moi de vous offrir mon hospitalité. »


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