Prologue

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— Urios, stop, fit Déhotor en sifflant. La voix transformée par son masque respiratoire.

 Le chien s’arrêta devant l’entrée du souterrain et couina. L’animal, âgé de tout juste six mois, n’arrivait toujours pas à prendre certaines habitudes. Déhotor s’approcha et lui caressa le cou.

— C’est bien. Tu t’es arrêté.

 L’épaisseur des gants de cuir que Déhotor portait l’empêcha de sentir les mèches de poils roux emmêlés de l’animal. Déhotor avait pris du temps avant d’accepter d’en avoir un. La difficulté du dressage et les possibles complications dans les missions le faisait hésiter. Après plusieurs mois, il ne le regrettait pas. Déjà, il montrait une croissance et une capacité d’apprentissage impressionnantes.

— Soit patient, murmura-t-il à l’oreille du chien. Des volutes de fumée s’échappèrent de son masque lorsqu’il articula.

 Urios leva la tête. L’animal, impatient d’entrer dans le souterrain, avait du mal à contrôler ses mouvements. Ses yeux et sa truffe bleutés par les injections d’ase reflétèrent la lumière de la lanterne que Déhotor avait attaché sur le torse. Positionnée en position haute sur son plastron de cuir, elle éclairait d’une lumière bleue les alentours. Déhotor orienta la lanterne en métal vers la paroi de la grotte et éclaira l’entrée qui s’ouvrait devant lui.

 Depuis qu’il était entré dans cette portion du tunnel et l’apparition des premiers signes de miasmes, l’atmosphère avait changé. Les champignons et moisissures recouvraient les murs et empêchaient de voir les parois de pierres blanches taillées. Les piliers de bois qui soutenaient la galerie suintaient d’un liquide jaunâtre que Déhotor n’arrivait pas à identifier. Des lianes et de la mousse jaunies pendaient sur les restes des luminaires poussiéreux.

— Parfait…

 Déhotor s’avança. Il prit soin de respirer par petites bouffées. La pestilence était incrustée dans l’environnement au plus profond. Des poutres de bois pourries se trouvaient sur le sol à côté de portion de tunnel effondrées.

 Il décrocha la lampe de son plastron et l’approcha de la paroi. L’amas de moisissures qui s’y était développé se rétracta jusqu’à laisser apparaître la roche jaunie.

 Cela faisait des mois que Déhotor n’avait pas vu autant de moisissures sur une portion de territoire qui n’avait jamais été occupée par les démons.

— Viens ici, fit-il à Urios.

 Le chien obéit. Il attrapa une tige de fer et une fiole vide dans une des sacoches accrochées sur le dos du chien. S’ils voulaient connaître l’origine de ce phénomène, il devait récupérer des échantillons. Déhotor inséra la tige métallique dans une trompette de la mort aussi grosse que sa poitrine. Le métal pénétra sans difficulté jusqu’à son cœur. Il glissa la tige de métal dans la fiole et en attrapa une deuxième.

 Lorsqu’il s'approcha d’un second champignon, le spécimen, un peu trop sensible, explosa. Les champignons alentour explosèrent en réaction. Un nuage de spores verdâtres se dispersa dans l’air. Urios se mit à aboyer.

— Et merde, Tais-toi, fit Déhotor en se relevant.

 Il attrapa Urios par le collier et le tira hors des émanations. Les filtres extérieurs n’allaient pas suffire. Il pressa un bouton sur son masque et un bourdonnement semblable à un essaim d’abeilles se fit entendre. Le système respiratoire autonome accroché à son dos injecta une plus grande quantité d’air traité dans son masque.

 Déhotor inspira par petites bouffées l’air chaud et sec qui provenait des filtres à ase. Il avait toujours détesté respirer cet air. Lors d’une utilisation prolongée, plusieurs plongeurs de fermes à ase s’étaient retrouvés addicts. En voyant les effets que cela provoquait, Déhotor ne savait pas s’il valait mieux finir accros ou être exposé aux miasmes et aux dégâts qu’ils provoquaient. Dans le cas des miasmes, la mort arrivait rapidement.

 Le bourdonnement s’accentua lorsque le nuage leur passa dessus pour aller s’écraser sur la paroi derrière eux. Urios jappa et éternua. Son museau et ses yeux brillèrent d’une lumière bleutée accentuée. Une portion de miasme s’accrocha sur le plastron de cuir que portait Déhotor. La surface se mit à bouillir et créer des bulles. Une épaisse fumée s’échappa de la zone. Même avec le masque, Déhotor sentit l’odeur nauséabonde qui s’en dégageait. Déhotor racla son plastron d’un mouvement brusque de la main, envoyant les résidus au sol. Son gant se mit à bouillir et à fondre. Il l’enleva et le jeta sur le sol. Trente secondes plus tard, seule une trace blanche restait sur le sol.

 Il récupéra un nouveau gant et examina son plastron à l’emplacement où les miasmes s’étaient accumulés. Il appuya tout juste que son doigt passa à travers.

— C’est vraiment de la merde, pesta-t-il.

 Même avec du cuir sur une épaisseur de deux centimètres, cette pourriture arrivait à passer. La tenue avait tout juste deux semaines et voilà qu’il lui en fallait une nouvelle. Il allait à coup sûr se faire engueuler par l’armurier.

 Pour ménager ses filtres et sa tenue, il recula et patienta que le nuage se disperse. Les filtres n’arrivaient qu’à traiter une quantité limitée d’air vicié avant de se boucher. Dans ces cas-là, ils changeaient totalement de rôle et recrachaient à grandes doses tout ce qu’ils avaient accumulé. Les filtres se changeaient sans trop de soucis mais il ne lui en restait qu’un seul et préférait éviter de se retrouver sans masque.

 Déhotor s’avança et attrapa une capsule d’ase dans la besace à sa ceinture. C’était l’un des éléments qu’il ne laissait pas à Urios. La ressource était trop précieuse et risquait de se casser avec les mouvements qu’il faisait. La sphère de trois centimètres de diamètre contenait un liquide bleu et visqueux qui circulait. Il l’écrasa et aspergea les champignons à portée qui se rétractèrent au contact du liquide. Aucun n’explosa. L’ase avait la faculté de ne pas les déclencher. Une faible fumée s’échappa des zones en contact avec l’ase qui commençait à s’évaporer.

 D’un geste, il attrapa une languette positionnée sur sa lanterne. Il la tira et ouvrit une petite trappe. A l’intérieur, une salamandre étincelant d’une forte couleur bleue leva la tête et se dirigea vers la main que positionna Déhotor juste devant elle.

— Tiens, fit Déhotor en lui donnant les restes de la capsule.

 La salamandre goba la capsule. Des flammes bleues s’échappèrent de son corps. Urios, curieux, s’approcha aussitôt. Il fourra son museau sur l’animal et tenta de la lécher. La salamandre siffla et le pinça.

— Laisse la tranquille, fit Déhotor en éloignant le chien.

 Déhotor approcha la salamandre des champignons. Enveloppée par des flammes sans chaleur, l’animal s’approcha et, d’un crachat, embrasa les champignons. En quelques instants, la portion qu’il avait aspergé s’enflamma. D’épaisses fumées noires s’échappèrent. Le système de filtration émit plus de bruit, forçant un peu plus.

 Pendant que la combustion se déroulait, Déhotor attrapa d’autres capsules et répandit son contenu sur la suite du tunnel pour ne pas arrêter la réaction. Urios grogna sur des volutes de fumées et sauta, la gueule grande ouverte pour les attraper. Ses crocs bleus claquèrent dans le vide et résonnèrent dans les galeries. Il attrapa le pantalon de cuir que portait Déhotor et tira en grognant.

— Arrêtes. Ce n’est pas l’heure de jouer.

 Il attrapa le chien par le collier. L'animal aboya et tira de toutes ses forces, la queue battant l’air.

— Non.

Il lutta un moment avant de lâcher.

— Fais comme tu veux.

 Urios partit en trombe dans le tunnel. Il se stoppa à six mètres, invitant Déhotor à le suivre. Déhotor l’ignora et reporta son attention sur la zone qui brûlait. Il répéta l’opération jusqu’à ce que toute la zone soit en feu. Il fit particulièrement attention lorsqu’il s’attaqua aux lianes. Il y mit le feu en s’assurant de ne pas brûler les étais en bois. La structure était suffisamment fragile sans qu’il ait besoin de supprimer des éléments assurant la stabilité des galeries.

 La paroi dégagée, il leva sa lanterne et l’éclaira. Il découvrit une fresque de douze mètres de long sur une portion du mur jaunit. Taillée grossièrement entre trente centimètres et un mètre quarante du sol, elle représentait en détails différentes scènes de batailles.

 Déhotor sortit un livre de sa besace. L’ouvrage contenait tous les éléments remarquables sur le tracé où il se trouvait. Il l’ouvrit aux pages contenant les informations du tronçon et ne trouva rien qui mentionnait une fresque ou une structure similaire. La présence de miasmes n’était même pas évoquée. Les anciens s’assuraient pourtant d’avoir les informations maintenues à jour. Il vérifia la date de rédaction de l’ouvrage qui datait de moins de six mois. La dernière tournée sur le tronçon indiquée avait été réalisée huit mois avant.

 Déhotor s’approcha de la fresque, feuilleta le livre jusqu’à trouver une page vierge et commença à prendre des notes. Les scènes de batailles représentées étaient marquantes. Sur toutes, des humains étaient attaqués par différentes créatures. Sur la première, un immense démon abattait une massue de la taille d’une tour sur un donjon. L’impact propulsait des pierres sur le champ de bataille un peu plus loin qui écrasaient des soldats combattant des humanoïdes ailés à tête d’oiseaux. D’autres étaient chargés par des gobelins chevauchant ce qui ressemblaient à des chiens et se faisaient transpercer par des lances de différents assaillants.

— Charmant, fit Déhotor en s’arrêtant sur une scène étrangement détaillée d’un démon à six bras démembrant deux hommes.

 Il était clair que cette fresque mettait en valeur les démons. Qui pouvait bien l’avoir réalisée ? Quelques cultes rendaient encore hommage à ces divinités mais ne se rendaient jamais aussi proches des zones de conflit.

 Des aboiements et des jappements résonnèrent dans la galerie.

— Urios, cria-t-il. Ici.

 Des hurlements et des couinements lui répondirent.

— Merde.

 Il referma sa lanterne, fourra le livre dans sa besace et courut en direction du son. Il siffla.

— Urios, au pied !

 Pourquoi ne revenait-il pas ? Même s’il était jeune, Urios savait parfaitement revenir au sifflement ou s’il rencontrait quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Il était peut-être tombé sur un autre patrouilleur.

 A un embranchement, il tomba sur lui. L’animal, sur le côté, avait plusieurs flèches plantées dans son postérieur. Son ventre éventré laissait tomber ses boyaux. Des traces de sang entouraient l’animal jusqu’à se retrouver sur les parois. Des mouvements de buste à peine perceptibles rassurèrent Déhotor. Urios était en mauvaise condition mais toujours en vie. Il devait le ramener à l’avant poste le plus rapidement possible.

 Déhotor orienta le faisceau lumineux de sa lanterne et inspecta la galerie. Il sortit son épée et s’avança avec prudence. Si les agresseurs étaient encore dans la zone, peu d’endroits pouvaient leur permettre de se cacher. Les parois lisses présentaient peu de cavités.

 Une flèche siffla. Déhotor se jeta contre la paroi. Le projectile ricocha sur la pierre et se logea dans un étai de bois. Au moins, il savait maintenant que ceux qui avaient attaqué Urios étaient toujours là.

 Une paire d’yeux jaunes apparurent dans la pénombre. Il détacha la lanterne de son buste, ouvrit en grand l’ouverture et la posa au sol. La salamandre, alimentée par les capsules d’ase, produisait une lueur éblouissante.

 Une flèche traversa la galerie. Déhotor se colla au maximum contre la pierre. Un être s’avança dans la lumière. Déhotor n’avait jamais vu un spécimen comme celui-ci. Même les livres de cours qu’il avait lus ne le mentionnaient pas. Haut d’un mètre vingt à peine, il ressemblait à un humanoïde végétal. C’était comme si un amas de champignons et de branchages avaient pris vie et s’étaient organisés pour former des bras et des jambes disproportionnés. Ses longs doigts blancs étaient refermés sur un arc de la même composition. L’assaillant ouvrit la bouche. Au milieu du visage, sous ses yeux jaunes sans vie, elle semblait découpée au couteau.

— Humain… se rendre… ou mourir, cracha-t-il sans articuler.

 Sa mâchoire expulsa des spores qui volèrent sur une courte distance avant de retomber sur le sol. Il se rapprocha et enjamba Urios, agonisant. Le mouvement secoua des champignons accrochés dans le dos. Des spores tombèrent sur l’animal et se mirent à bouillonner, rongeant la chair. Urios poussa des jappements de douleurs. En se débattant, il tenta de mordre la jambe de l’assaillant.

 Il l’évita en sautillant.

— Bon… chien… mort, fit-il en butant sur chaque mot.

 D’un geste brusque que Déhotor réussit tout juste à suivre, il lui planta une flèche dans la boîte crânienne. Le démon se secoua au-dessus d’Urios. Un nuage de spores tomba des champignons accrochés sur son corps. Au contact de la peau du chien, elles se mirent à bouillir et à dégager une fumée noire. Des champignons se mirent rapidement à pousser.

— Re… re… rejoindre… chien, cracha-t-il en direction de Déhotor.

 Un rictus se forma sur l’organe dénaturé qui lui servait de bouche. Déhotor ouvrit la trappe de sa lanterne et pressa un bouton sur la garde de son épée. La lame s’ouvrit en deux.

— Rentre dedans, chuchota-t-il.

 La salamandre luminescente s’étira et se glissa à l’intérieur. Elle eut du mal à rentrer totalement dans le creux que formait le métal. L’arme datait de plusieurs mues et ne correspondait plus à la taille que faisait l’animal. Il devrait en refaire avant de repartir en tournée. Déhotor appuya pour l'assister et referma la lame.

 Il sortit une capsule d’ase, l’inséra dans une cavité du manche et pressa un nouveau bouton. Une aiguille perça la capsule et l’ase qu’elle contenait s’écoula. Déhotor maintenue l’arme pointée vers le sol pour répartir le liquide à l’intérieur de la lame. Lorsque l’ase enveloppa la salamandre, des flammes bleutées englobèrent l’arme, s’échappant par de fins trous dans le métal.

 Le feu sans chaleur rayonna sur l’armure de cuir de Déhotor et les parois alentour. L’homme champignon fit un pas en arrière. Il émit une série de grognements.

— … pas aimer… feu.

 Il tira une flèche sans vraiment viser. Déhotor se décala pour l'esquiver. Il chargea en direction de son adversaire. En quatre enjambées, il fut sur lui, passant par-dessus la dépouille d’Urios. Le chien ne faisait plus aucun mouvement. Le démon hurla et se secoua dans tous les sens, répandant des spores dans la zone qui l’entourait. Le cri résonna dans les galeries. Des hurlements provenant de plusieurs directions répondirent. Des bruits de pas se firent entendre.

— Pile ce qu’il fallait...

 Déhotor fit de grands mouvements d’épée. Le démon lui jeta son arc et attrapa deux flèches. Il coupa l’arc en deux et fendit le nuage de miasmes qui s’enflamma. Le système de filtration émit un bourdonnement sourd et injecta une plus grande quantité d’air traité dans son masque. Un goût métallique envahit sa bouche. Déhotor sentit sa langue s’engourdir.

 Déhotor tailla le démon au niveau du buste. Le démon poussa un cri de douleur quand les résidus d’ase laissés par la lame brûlèrent la plaie. Il s’effondra sur le sol, tremblant.

 Déhotor s’avança pour lui porter le dernier coup. Le démon réagit avant que l’épée ne l’atteigne. D’un mouvement rapide, il sauta et lui planta une flèche dans la jambe gauche. La pointe traversa la jambière de cuir qu’il portait et s’enfonça dans la chair.

 Déhotor transperça le démon de son épée et l’éjecta d’un violent coup de pied. Le corps sans vie se consuma de l’intérieur, roulant sur le sol.

Il examina la blessure.

— Dieu, ce que ça fait mal, fit-il en tirant légèrement sur la flèche.

 Il attrapa un des projectiles à proximité du démon et examina la pointe. Elle ne semblait pas être imbibée d’une substance particulière.

 Un bruit derrière lui l’alerta. Il se retourna pour voir d’autres démons, semblables à celui qu’il venait d’éliminer, entrer dans la galerie par l’embranchement d’où il venait. Ils se stoppèrent lorsqu’ils l'aperçurent.

— Ce n’est décidément pas mon jour.

 L’un des démons à l’avant pointa le corps à ses pieds. Ils se mirent à beugler et lui fonçèrent dessus.

 Déhotor courût dans la direction opposée. Il fourra la main dans sa besace. Il ne lui restait plus qu’une seule capsule. Il brisa la capsule dans son gant et répandit le liquide sur le sol et les murs. Du mieux qu’il put, il aspergea ses poursuivants. Déhotor retira son gant, l’approcha de l’épée et y mit feu avant de le jeter sur le sol.

 Les flammes se propagèrent dans la galerie. Plusieurs démons passèrent au travers. Déhotor apperçu leur ombre projetée sur les parois. Il entendit plusieurs flèches ricocher sur la pierre. L’une d’elle se planta dans un des câbles de son système de respiration. La quantité d’air qu’il recevait par son masque se réduit.

 Il tourna à un embranchement et tomba nez à nez avec un autre groupe de démons.

— La poisse, fit-il lorsque l'amas de démons lui sauta dessus.

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