Chapitre 2

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 De toutes les professions que Toruel avait pu voir dans la zone d’Inamure, le métier que Perat et ceux qu’il appelait sa famille exerçaient était sans doute le plus farfelue. Quand la plupart des soldats présents dans les rangs étaient là par obligation, eux, s’étaient portés volontaires. Ils avaient même créé un nouveau métier. Récupérateurs de corps de démons et de toutes autres espèces mutées. Depuis que la région d’Inamure avait été détruite, ils occupaient cette fonction. Ne laissant aucune place à la concurrence. Elle n’était déjà pas importante, mais quand vingt personnes venaient taper à votre porte lorsque vous envisagiez l’idée vous lancer dans le domaine, c’était plutôt démotivant. “Le message de bienvenue” le reprenait Perat à chaque fois que Toruel évoquait de l’intimidation. “Il faut bien que nous nous présentions et partagions certaines informations si nous devons travailler ensemble” se justifiait-il.

  • Bonjour chers soldats, c’est celui-ci, demanda Perat de sa voix sifflante en pointant le Kiar qui gesticulait. Impressionnant. Je comprends pourquoi le lieut’ veut le garder.
  • Exact. Il doit rester dans le même état.
  • Ne t’inquiète pas Toruel. Je connais mon métier.
  • Et nous on te connais, ajouta Skor. La dernière fois, vous avez déchiré le corps en deux.

 Perat se renfrogna. Comme les autres récupérateurs, il refusait de porter un masque de respiration ce qui permettait de voir toutes ses expressions faciales.

  • Ça c’est mensonger. Le corps était dans un état pitoyable avant même qu’on ne le touche. Vous n'avez qu’à apprendre à ne pas découper les corps en lamelles. Ce serait plus simple.

 Il arrêta son immense chariot à proximité du Kiar et hurla des ordres dans une langue qu’ils ne connaissaient pas. Certains soldats pensaient à un dialecte du sud mais personne n’était vraiment certain de la langue dont il s’agissait.

 Connaissant le spécimen, il aurait très bien pu inventer des mots pour faire croire qu’ils venaient d’une autre région.

 Une porte du chariot s’ouvrit et une demi-douzaine d’enfants en sortirent. Ils attrapèrent des chaînes en acier accrochées à différents emplacements du chariot et se dirigèrent vers l’animal.

  • Dégagez les gars, fit Perat en grimpant sur le toit par une échelle qui restait accrochée d’une manière que Toruel ignorait. Laissez faire les jeunes.

 Le chariot sur lequel se trouvait Perat n’était pas le plus récent du convoi et pouvait concourir pour le prix du chariot en plus mauvais état. Rafistolé de toutes parts, avec des matériaux qui n’étaient de toute évidence pas fait pour cette utilisation, Toruel se demandait toujours comment il pouvait rouler et encore plus supporter les charges qu’il prenait.

 Perat ouvrit une trappe métallique derrière le poste de pilotage du chariot.

  • Ah, fit-il en regardant à l’intérieur.

 Il s’adressa à un enfant qui devait avoir onze ans en hurlant.

  • Rapporte-moi du combustible.

 L’enfant courut jusqu’à un chariot à l’arrière, fouilla dans plusieurs recoins et revint essoufflé.

  • Il n'y a plus rien.
  • Que dalle ? Même pas un petit morceau ?
  • Non, fit l’enfant en secouant la tête.

 Perat marmonna quelque chose d’inaudible en trifouillant dans sa barbichette. C’était la seule chose qu’il maintenant correctement et à laquelle il apportait une attention particulière.

  • Bon, fit Perat en arrachant un morceau de plancher du en le jetant par la trappe. Aller les mioches, coupez moi la bestiole qu’on prend pas en petits morceaux !

 Le groupe d’enfants se dirigea vers la seconde bête. Skor, assis sur le museau, regarda la vague arriver. Le groupe submergea la carcasse et força Skor à s’éloigner. Ils découpèrent l’animal et en quelques instants apportèrent les premiers morceaux de chair à Perat.

  • Parfait. De cette taille c’est très bien, hurla-t-il en agitant le morceau au-dessus de sa tête pour que tout le monde le voit.

 Il jeta le morceau dans le four. Une fumée jaune et bleue s’échappa quasi-instantanément de la cheminée qui surplombait le chariot et une odeur de chair brulée infecte imprégna l’air. Toruel et Skor s’écartèrent. Même avec leur masque, l’odeur arrivait à les atteindre. C’était tout juste s’ils arrivaient à se retenir de vomir.

  • Bah alors. On supporte pas l’odeur messieurs les soldats, fit Perat la tête à moitié dans le nuage de fumée.
  • On a pas pour passe temps de respirer des vapeurs de merde, fit Skor en augmentant la filtration de son masque de respiration.
  • Je plains ceux qui seront derrière, fit Toruel.
  • Oh ça va. Ils tiendront. Ils ont l’habitude. Un peu plus de chair, ‘faut faire chauffer !

 Les soldats qui suivaient le groupe de ramasseur n’étaient pas nombreux et servaient principalement à maintenir les Kiars à l’écart. Ils n’étaient là qu’en prévention et n’intervenaient que très rarement. Les récupérateurs se débrouillaient bien tout seul et se retrouvaient rarement être la cible de Kiars.

 Leurs outils fonctionnant sans ase, ils étaient généralement ignorés. Dans le cas d’une attaque de démons, ils arrivaient avec une facilité folle à détourner l’attention de leur position et se cacher. L'affrontement terminé, le champ de bataille grouillait d’enfants qui chapardaient tout ce qui s’y trouvait. La seule chose qu’ils laissaient était l’ase ou les réservoirs en contenant.

 Un enfant qui empestait le bois brûlé passa devant eux. Un morceau de chair dans les mains, ses habits étaient recouverts du sang de la bête. Ses cheveux qui d’ordinaire devaient être blonds étaient d’une teinte coulis de tomate et maintenus au-dessus du front à l’aide d’un morceau de tissu crasseux. Arrivé au pied du chariot, l’enfant jeta le morceau de chair dans les airs. Une pluie de gouttelettes de sang s’écrasa sur le sol. Perat l’attrapa au vol et le lança dans la trappe.

  • Je l’avais jamais vu celui-là, s’exclama Skor.
  • Moi non plus.

 Tout au long de l’expédition, de nouvelles têtes n’avaient fait qu’apparaître. Suivant les endroits où le convoi passait, certains membres du groupe des récupérateurs se greffaient. Cependant, il y en avait toujours qui apparaissaient sans raison particulière. Ils avaient beau demander à Perat, il répondait à chaque fois que la personne était présente depuis des lustres et qu’ils avaient seulement une mauvaise capacité d’analyse dans les groupes de grand nombre. Plutôt étonnant quand on savait que certains gradés arrivaient à retenir la totalité des Hommes sous leur commandement et trouvaient également ce phénomène étrange.

 Après un moment de chauffe, la chaudière à vapeur émit un bruit soud. Perat commença à jouer avec différents leviers sur son tableau de bord. Pour Toruel, la moitié des éléments qui s’y trouvaient ne servaient à rien et n’avaient été ajoutés que pour donner une illusion de complexité.

 Perat actionna un levier. Un gros morceau de bois se déploya au-dessus du chariot. Le bois était recouvert d’une mélasse brune censée le protéger. Vu la quantité de trous visibles à l'œil nu, les insectes ne semblaient pas dérangés. Pérat le pivota en direction du monstre. La cheminée cracha de plus en plus de fumée et fit un vacarme assourdissant. Les enfants avaient constitué une chaîne et continuait d’y injecter de la chair animale.

  • Si les hurlements et le bruits des combats n’avaient pas alerté tout ce qui était autour, je pense que cette fois-ci c’est fait, fit Skor.

 La chaudière semblait sur le point de lâcher à chaque instant. Plusieurs fois, Perat marmonna des choses inaudibles et frappa sur des éléments. Par miracle, il réussit à positionner le bras. Des enfants équipés de chaînes en métal se ruèrent aux extrémités de l’animal et attachèrent ses différents membres à un anneau incrusté dans le bois. Certains, trop petits, montèrent sur les épaules de camarades pour atteindre l’anneau. Toutes les chaînes reliées, Perat hurla aux enfants de se décaler. Toruel et Skor s’écartèrent.

 La chaudière gronda et grinça. Un nuage trois fois plus gros s’échappa de la cheminée et fit disparaître Perat. En quelques instants, le bras souleva la bête du sol et la positionna dans un chariot transporteur. Une fois à l’intérieur, les enfants grimpèrent et y décrochèrent les chaînes.

  • Super. Les enfants, attachez le bien au chariot, cria Perat quelque part dans la fumée.

 Les enfants manipulèrent plusieurs cordes avant de retourner dans différents chariots aussi vite qu’ils étaient apparus.

  • On peut y aller, fit Pérat après avoir fait le tour.

 Le reste du convoi avait continué sa route et devait s’arrêter pour camper dans un point désigné. L’emplacement du campement n’était pas loin mais dans le brouillard, un changement de route pouvait rapidement rajouter énormément de temps.

 L’oracle qui était resté se pencha sur la tablette de bois qu’il portait autour du cou, une boussole à la main. En tenue légère, il était reconnaissable au sac à dos qu’il portait. Il actionna un bouton qui puisa dans la réserve d’ase dans son dos. Beaucoup plus petite que celle de Skor, elle lui permettait de communiquer avec l’avant du convoi. Il farfouilla dans ses cartes et papiers d’itinéraires avant de désigner une direction de la main.

  • Si on se dépêche, on pourrait éviter de faire un détour.
  • Parfait, fit Toruel.

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