Chapitre 1: La Pluie et le Beau Temps
Cela faisait déjà trois jours consécutifs que la pluie s’abattait sur la petite ville de Mons. Il était habituel en Belgique que le temps soit maussade, mais il y avait parfois quelques périodes d’accalmie où l’on pouvait apercevoir un magnifique soleil dans le ciel. Parfois, le soleil et le beau temps alternaient au sein de la même journée et la population ne savait jamais comment s’habiller.
Dans son humble demeure, Pierre, jeune homme de 25 ans fraichement diplômé regardait par la fenêtre en sirotant une tasse de café. Il attendait avec impatience l’accalmie, pour pouvoir effectuer sa balade quotidienne. Il se fit la réflexion que le climat de son pays reflétait assez bien sa santé mentale. Une pluie qui ne veut pas s’arrêter et d’incessants tourments. Son esprit était empli de préoccupations et il ne semblait jamais voir le bout du tunnel. Cependant, il pouvait arriver que dans sa vie, il y ait une accalmie. Un petit rayon de soleil qui emplissait son cœur d’euphorie, jusqu’à ce qu’il rechute. Il attendait toujours les accalmies avec impatience, mais il espérait que sa vie ne puisse être que soleil.
Cela faisait maintenant un mois qu’il habitait seul, loin de ses parents. Il était libre et pouvait faire ce qu’il voulait. Personne pour lui demander où il va, ce qu’il fait ou simplement le contrôler. La liberté oui, mais à quel prix ? La solitude se faisait toujours plus ressentir. Il jeta rapidement un regard à son lit, dont les draps était complètement désordonnés, probablement car Pierre avait le sommeil agité. Le jeune homme eut un pincement au cœur. Il espérait qu’un jour, il ne soit plus le seul à occuper ce lit. Il désirait tellement partager la vie de quelqu’un mais n’y était jamais parvenu, mais il pensait que ce serait déjà un bon moyen de combler la solitude. Pendant cinq à dix minutes, il partit dans ses rêveries, oubliant tout autour de lui, la pluie qui venait cogner à sa fenêtre, son lit dont les draps étaient en bataille, sa tasse de café qui commençait petit-à-petit à refroidir. Il arrivait souvent à son cerveau de se déconnecter, ce qui lui faisait perdre un temps fou dans sa vie quotidienne.
Lorsqu’il reprit ses esprits, il se rendit compte que la pluie s’était estompée, laissant place à un magnifique soleil. Il était donc temps de faire sa balade. Comme chaque fois qu’il sortait, il se rendit dans sa salle de bain et devant son miroir, il étala un peu de crème solaire sur son visage. C’était quelque chose qu’il faisait systématiquement, car il faisait très attention à son physique et tenait absolument à avoir une belle peau.
Il se regarda dans le miroir. Il était d’assez petite taille, les cheveux noirs assez courts et une barbe impeccablement taillée, par son barbier qu’il avait vu la veille. Il portait comme chaque jour une chemise, qui cette fois-ci était mauve. Il poussa un soupir avant de se mettre en route.
***
Cela faisait déjà un moment que Pierre marchait et il venait d’arriver sur la Grand-Place. La ville était relativement petite, mais ne manquait jamais d’animation. Principalement en raison de son université et de ses nombreuses hautes écoles. Cela créait une ambiance estudiantine où il y avait toujours une bonne raison de faire la fête. C’était ce que Pierre appréciait particulièrement dans cette ville : sa petite taille et l’accessibilité de tous les lieux. Il adorait marcher et n’avait pas de permis de conduire en raison de problèmes psychomoteurs assez handicapants. Une petite ville où tout était accessible et à proximité était donc idéale pour lui. Il ne regrettait pas du tout d’avoir quitté son Charleroi natal, même s’il y retournait de temps en temps, pour rendre visite à sa famille.
Les gens profitaient du beau temps pour s’installer aux terrasses des nombreux cafés qu’arboraient la Grand-Place et y déguster une bière ou un café. Près d’une fontaine, de jeunes gens étaient également en train de discuter et de rigoler ensemble. C’était un groupe de quatre personnes, qui devaient avoir entre dix-huit et vingt ans. Il y avait deux garçons et deux filles, probablement des étudiants de l’université. Un des deux garçons et une des deux filles s’enlacèrent et se mirent aussitôt à s’embrasser. L’homme de vingt-cinq ans poussa un soupir et regarda le couple avec envie. Il aurait lui aussi, voulu connaitre un amour de jeunesse, peut-être lorsqu’il était encore étudiant. Il avait d’ailleurs lui aussi fait ses études à l’université de la ville. Au loin, il pouvait également apercevoir des passants caresser la tête d’une petite statuette représentant un singe. Sans doute des touristes. Selon la légende, caresser la tête de ce petit singe portait chance, mais Pierre n’en croyait rien. C’était un homme très sceptique qui devait voir les choses pour y croire.
Il était professeur d’anglais dans une haute école de la ville. Son père regrettait un peu qu’après cinq ans d’études dans une prestigieuse faculté de traduction, il ne se soit pas dirigé vers une carrière d’interprète et n’ait pas décidé de travailler pour de grandes institutions, mais Pierre n’avait pas l’appât du gain. Même s’il voulait gagner assez d’argent pour survivre et se faire plaisir de temps en temps, il ne se sentait pas obligé d’être plein aux as. Il était prêt à gagner un peu moins tout en faisant un métier qui lui plaisait. Il n’avait de toute manière jamais été très matérialiste.
Il se demandait comment il en avait pu en arriver à avoir une vie si pathétique, emplie de regrets, alors que pendant son enfance et son adolescence, l’avenir lui souriait. C’était un garçon doué, avec d’excellents résultats scolaires et un large cercle d’amis et maintenant, il se retrouvait seul, avec une relation familiale relativement compliquée et des rêves qu’il n’avait jamais poursuivis. Ses parents lui répétaient toujours qu’il pouvait être fier de lui, vu toutes les tempêtes qu’il avait dû traverser tout au long de sa vie et qu’après tout, avoir un parcours aussi remarquable était tout sauf commun chez les gens « comme lui ».
Parce que oui, Pierre n’avait jamais été comme les autres. Son enfance avait été assez tourmentée en raison de cela. C’était un enfant très en avance sur son âge qui avait d’excellents résultats scolaires, une mémoire impressionnante et un vocabulaire très riche. Pourtant, il était peu soigneux, avait de gros problèmes comportementaux et avait du mal à tenir en place.
Malgré son potentiel, beaucoup d’enseignants ne savaient pas comment le gérer et peu voulaient de lui. Il avait même failli se retrouver en hôpital psychiatrique, mais ses parents, en particulier son père, s’étaient toujours battus pour ne pas en arriver là.
Et c’est en grande partie grâce à ça qu’aujourd’hui, Pierre a pu avoir un diplôme, un travail et un logement. Somme toute, les choses que beaucoup de gens ont pour objectif d’obtenir à l’âge adulte. Qui sait ce qu’il en serait advenu du jeune professeur si ses parents avaient accepté de le faire interner ? Il faut vraiment bien peser tous les choix que l’on fait dans la vie, car chacun d’entre eux est susceptible de totalement changer le cours de notre existence.
Un diplôme, une carrière, une maison… Il ne manquait plus qu’une chose à Pierre pour posséder toutes les choses que l’adulte moyen se fixait comme objectif : une relation amoureuse. Il avait bien sûr déjà éprouvé des sentiments amoureux à plusieurs reprises mais ceux-ci n’étaient jamais réciproques. Et bien qu’on lui avait déjà fait des propositions, c’était lui qui n’était pas intéressé.
Il se disait souvent qu’il passerait sa vie seul et qu’il devait se résigner à l’idée de rester célibataire, mais malgré tout, il y avait toujours au fond de lui cette lueur d’espoir que quelqu’un s’intéresse à lui un jour et qu’il partage les sentiments de ce quelqu’un.
On dit souvent que l’espoir fait vivre, pourtant c’était bien ce qui allait mener le pauvre Pierre à sa perte. Il n’avait qu’un souhait : pouvoir se concentrer sur lui-même et oublier son désir d’être en relation.
Il avait maintenant quitté la Grand-Place et se trouvait dans une petite rue assez tranquille. Il décida de s’arrêter un instant pour réfléchir au sens de sa vie et se replonger dans son passé. Il se rappela soudain son adolescence
***
Septembre 2012
Pierre avait treize ans. C’était enfin son premier jour à l’école secondaire. En Belgique, la scolarité durait douze ans, répartis en six années de primaire et six années de secondaire. Il avait toujours eu beaucoup de mal avec le changement, alors ses parents avaient peur que ça se passe mal. En effet, l’école secondaire n’avait rien à voir avec l’école primaire.
La cour était assez spacieuse, avec un terrain de foot et un autre de basket, ainsi que des bancs où les élèves pouvaient s’asseoir. Il y avait également un préau où les élèves pouvaient se mettre à l’abri lors des nombreux jours de pluie. Les murs de ce préau étaient d’ailleurs dégradés par de nombreux graffitis. La cour était aussi remplie de nombreux déchets laissés par les élèves.
À l’intérieur, les élèves de première année étaient attendus par un jeune homme qui semblait être dans la vingtaine, avec une barbe impeccablement rasée et des cheveux courts noirs en pics. Le groupe était placé en rang derrière lui.
Pierre était placé à côté d’un jeune garçon roux portant un bonnet.
-Yo ! Comment tu t’appelles, demanda-t-il.
-Euh, bonjour… je m’appelle Pierre et toi ? Répondit le noir de cheveux, timidement.
-Moi, c’est Dylan, répondit son compagnon de rang.
-Ah euh… ravi de te connaitre !
-Toi, chuis sûr, t’es un intello. Tu m’aideras à réviser pour les interros !
-Un intello ? M… Mais qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-Bah, chais pas, ta façon de parler ?
Pierre regardait son interlocuteur, intrigué. Il était vrai qu’il avait d’excellents points à l’école et qu’il avait une culture générale assez étendue, mais il ne se doutait pas qu’une simple interaction de quelques secondes avec son futur camarade de classe allait déjà donner cette impression. Le regard de l’adolescent se tourna aussitôt le garçon qui était juste en face de Dylan et lui. Il était mince, d’assez grande taille, avec des cheveux blonds mi-longs qui lui retombaient sur le visage. Il avait les yeux d’un vert brillant et un sourire d’un blanc éclatant. Il portait un T-Shirt vert assorti à ses yeux. Visiblement, Dylan et lui se connaissaient déjà.
-Hey Théo ! Ca va ? C’est dingue de te revoir ici, s’exclama le roux.
-Ouais, c’est fou haha. Le monde est petit. Mais c’est cool, on va pouvoir passer plus de temps ensemble ! Répondit le blond, d’une voix grave.
-Ah, vous vous connaissez ? Intervint Pierre.
-Bah, oui. On était dans la même classe en primaire ! Expliqua l’adolescent au bonnet.
-Oh cool ça.
Lorsque Pierre vit Théo, il se fit la réflexion qu’il était assez beau garçon et qu’il devait sans doute avoir beaucoup de succès auprès des filles. Il l’enviait quelque peu, mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il ignorait, c’est qu’il repenserait longuement à cette réflexion quelques années plus tard.
-Il me semble que vous parlez beaucoup ici ! Je sais que vous êtes tous nouveaux et que vous voulez faire connaissance, mais vous devriez écouter attentivement mes explications lors de la visite. Vous aurez tout le luxe de discuter pendant la récréation, intervint le surveillant, d’un ton assez ferme. Tous les élèves s’exécutèrent.
***
Durant son troisième jour d’école, Pierre se baladait seul dans la cour de récré, alors que ses camarades étaient en train de discuter en groupe ou de jouer ensemble. Ce n’était pas nécessairement que les autres ne voulaient pas jouer avec lui ou que leur compagnie le dérangeait, mais il ne ressentait pas nécessairement le besoin d’interagir avec eux.
Comme d’habitude, il était perdu dans ses rêveries. Il aimait bien se renfermer dans sa bulle. S’échapper vers un monde où tout était agréable, où il avait un plein contrôle sur les évènements et les choses fonctionnaient selon ses règles. Il fut interrompu dans ses rêveries par une main qui vint se poser sur son épaule. Lorsqu’il se retournait, il vit qu’il s’agissait de Théo. Il était accompagné de Dylan et de deux autres garçons de notre classe. L’un d’entre eux, Jean, était de très grande taille et portait des lunettes. L’autre était au contraire très petit, avait des cheveux noirs très courts et la peau mate. Il s’appelait Samy. C’était les seuls élèves avec lesquels Pierre avait déjà pu se lier d’amitié.
-Hey, Pierre. Tu t’ennuies pas trop tout seul, dans ton coin? Tu n’as pas envie de venir jouer avec nous ? Demanda le blond.
-Ouais j’avoue, mec. Viens jouer au foot avec nous ! Approuva Dylan.
-Désolé les gars, mais je ne sais pas jouer au foot, s’excusa le noir de cheveux.
-Tu es nul. Il n’y a que les pédés qui ne savent pas jouer au foot ! Intervint Jean.
-Ce n’est pas très sympa, ça, le reprit Théo.
-Rooooh c’est bon, c’est juste une blague.
-Si tu veux on peut t’apprendre et en échange, tu nous aideras à réussir nos interros, proposa Dylan.
-Non vraiment, les gars, c’est sympa, mais le foot, je n’aime pas trop ça, répondit Pierre.
-Bah, on peut juste se poser quelque part et discuter alors, suggéra le beau garçon aux cheveux blonds.
-C’est une bonne idée !
-On peut se poser sur le banc-là, du coup. Dépêchons-nous tant qu’il n’y a personne intervint Samy.
Tous les garçons acquiescèrent et se ruèrent vers le banc le plus proche avant qu’il ne soit pris d’assaut. De là, ils avaient une vue sur toute la cour et la brise automnale venait leur caresser doucement le visage. Il y avait un groupe de garçons qui jouaient au foot, ainsi qu’un groupe de filles qui jouaient à la corde à sauter.
-Putain, elles sont bonnes, ces filles-là ! S’exclama Jean.
-J’avoue, j’aime bien leur fesses! approuva Dylan.
-N’oublie pas leurs nénés, non plus ! Ajouta Samy.
Les garçons avaient l’air en extase devant ce groupe de filles. Le seul qui ne disait rien, c’était Théo, mais son regard indiquait qu’il n’en pensait pas moins. Bizarrement, Pierre ne partageait pas l’engouement de ses camarades. Il n’éprouvait rien en regardant ces filles. Même leurs formes ne l’interpellaient pas particulièrement. Il avait un peu de mal à comprendre pourquoi cela ne lui faisait aucun effet, mais il se disait sans doute qu’il n’avait pas l’esprit mal-tourné.
-Et toi Pierre, il y a une fille qui te plait dans notre classe ? Demanda le blond.
Le jeune garçon réfléchit un instant. Il avait beau imaginer toutes les filles de sa classe, il ne pouvait concevoir quelque chose avec aucune d’entre elles. Dans le fond, être célibataire ne le dérangeait pas le moins du monde et il ne ressentait pas le besoin d’être en relation. Il avait déjà entendu un mot pour ça, quelque chose comme « asexuel ». Peut-être que ça lui correspondait ? Il secoua la tête.
-Personne ? Bizarre ça. T’es pas pédé, hein, rassure-moi ? S’affola Dylan.
-Hein, quoi ? Bien sûr que non ! Répondit Pierre, horrifié.
-Tant mieux, parce que les zemels, c’est vraiment dégueulasse ! Dit Samy en poussant un soupir de soulagement.
Pierre acquiesça. La première fois qu’il avait vu deux personnes du même sexe s’embrasser, il n’avait que huit ans. Il se souvint que c’était à la télé et qu’il s’agissait de deux femmes. Cela l’avait interpellé, car toutes les relations qu’il avait pu voir auparavant avaient été entre un homme et une femme. Il n’imaginait donc même pas que deux hommes ou deux femmes puissent ressentir de l’amour l’un pour l’autre et il était quelque peu confus. Lorsqu’il avait demandé à sa mère pourquoi les deux femmes s’étaient embrassées, elle lui avait dit que c’était anormal et dégoutant.
Depuis ce jour, Pierre était convaincu que l’homosexualité était quelque chose de mal et que les gays et lesbiennes étaient des pervers. De ce fait, il était révolté à l’idée que ses amis puissent penser qu’il appartenait à cette catégorie de gens.
***
Pierre était à la cantine de son école, dans le rang avec son plateau et attendait son tour pour payer. La file était assez longue et la pièce assez petite, ce qui rendait l’attente assez peu confortable. Le menu du jour était un morceau de saumon avec du riz et des brocolis. Lorsque le tour de Pierre vint, il retira délicatement son cartable de son dos pour y prendre son argent. Sa mère lui donnait toujours le strict minimum pour payer, car elle avait peur qu’il soit trop dépensier. Par conséquent, il n’avait reçu qu’un billet de cinq euros. Cependant, lorsque il fouilla la poche où il devait être rangée, il remarqua qu’elle était vide. Il se mit à paniquer en se rendant compte que quelqu’un avait probablement volé son argent.
La dame de la caisse commençait à s’impatienter.
-Excuse-moi, mon petit gars, mais il y a d’autres mômes qui font la queue et qui attendent impatiemment leur tour, donc faudrait te dépêcher, dit-elle, un peu ennuyée.
-Je suis désolé, madame… Je ne retrouve plus mon argent. Je ne sais pas vous payer !
-On te l’a piqué ? Faut faire attention à tes affaires, petit ! Tu devrais aller voir le directe. Par contre, je suis désolée, mais les règles sont les règles pour tout le monde. Je ne peux pas te laisser manger sans argent, s’excusa-t-elle, navrée.
-Je comprends, madame…
Pierre n’avait aucune idée de qui avait volé son argent et encore moins de comment il avait pu s’y prendre.
-Tu n’as pas d’argent, Pierre ? Demanda Théo, inquiet qui était juste derrière Pierre dans la file.
-Non, malheureusement…
-Si tu veux, je veux bien te prêter cinq euros. J’ai largement assez. Je vais pas te laisser crever de faim. Tu me les rendras après, proposa le blond, en tendant à son camarade un billet.
-C’est gentil, Théo ! Je te revaudrai ça, ne t’en fais pas.
-Bah, t’inquiète, c’est normal. Les amis, c’est fait pour ça.
Les deux garçons se regardèrent et Pierre se mit à sourire timidement. Il n’aurait su dire pourquoi mais il appréciait la compagnie de son ami blond et plus ils se côtoyaient plus il adorait passer du temps avec lui.
***
Comme tous les soirs, Pierre s’était isolé dans sa chambre, au grand désespoir de ses parents qui auraient aimé qu’il passe plus de temps avec eux. C’était une petite pièce assez vide, sans aucune décoration, car le jeune garçon avait beaucoup de mal à laisser libre cours à son imagination et à sa créativité, lorsqu’il était avec ses parents, par peur d’être jugé. Les murs étaient jaunes et il n’y avait comme meubles qu’une commode, un lit et une étagère sur laquelle était placée une télé. Le jeune homme possédait également plusieurs consoles de jeu. La télé était justement allumée et il était en train de la regarder.
Ces derniers temps, il y avait de nombreux débats en France sur la question du mariage homosexuel et même si Pierre vivait en Belgique, un pays qui l’avait légalisé neuf ans auparavant, ce sujet y était tout de même souvent mis sur la table, puisque la Wallonie était francophone et géographiquement proche de la France, diffusait la plupart des chaines françaises.
Ce jour-là, le jeune garçon vit un reportage qui lui fit froid dans le dos. Il portait sur Ihsane Jarfi, un jeune homme homosexuel de 32 ans qui s’était fait injustement rouer de coups et tuer à la sortie d’un bar de la région de Liège, juste sous prétexte qu’il était homosexuel. Cette émission avait en quelque sorte ouvert les yeux de Pierre. Dans le fond, les homosexuels n’avaient pas choisi d’être comme ça et ne faisaient de mal à personne. Qu’y avait-il de mal à aimer une personne du même sexe, après tout ? Cela ne justifiait en rien de commettre des crimes haineux comme celui qui était présenté dans le reportage. Le noir de cheveux se sentit tellement idiot d’avoir eu une image négative de l’homosexualité pendant si longtemps. Il cessa donc d’être homophobe ce jour-là.
***
C’était la récré et Pierre était dehors avec sa bande d’amis, toujours assis sur un banc. Un garçon de l’année supérieure passa près d’euxIl était grand, mince et avait les cheveux blonds. Sa démarche était assez féminine.
-Eurk ! Regardez, c’est l’autre con de Jérémy, il dégoute avec sa démarche de meuf ! Wola,il est dep… J’ai trop envie de le hagar, Lâcha Samy, en crachant.
-J’avoue ! Il m’énerve. Je déteste les pédés… En plus, je l’ai déjà vu embrasser un mec et c’était dégueu, approuva Dylan.
Pierre trouvait dommage qu’ils puissent encore penser de telles choses. Il se tut un instant par peur de subir des railleries s’il les contredisais, mais après quelques secondes, il trouva quand même le courage de parler.
-Vous savez, les gars… J’ai bien réfléchi et en vrai, les « pédés », ce sont des gens comme nous. On devrait arrêter de se foutre de leur gueule et de les rejeter. Ils n’ont rien fait de mal. Ils n’y peuvent rien s’ils sont comme ça. Du coup, c’est pas cool de se moquer.
Samy, Dylan et Jean le regardèrent, incrédules.
-Zarma, t’es zemel ou quoi, pour dire des trucs ainsi ? S’affola Samy.
-Je ne suis pas gay… Ce n’est pas parce que tu défends une catégorie de personnes que tu y appartiens forcément… J’aime les filles mais je me dis que c’est mieux de laisser vivre les gens comme ils l’entendent.
En réalité, ce que Pierre disait n’était pas tout à fait vrai. Depuis quelques temps, il se posait beaucoup de questions sur sa sexualité. En effet, il remarquait qu’il ne ressentait pas grand-chose lorsqu’il voyais des filles et qu’il y trouvait beaucoup de garçons beaux. Toutefois, il espérait vraiment ne pas être gay, car vu ce que ses parents disaient sur ces personnes, ils n’auraient sans doute pas apprécié que leur fils en fasse partie. Il craignait leur réaction, mais comme il n’était encore sûr de rien, il n’avait aucune raison de s’affoler.
-Tu penses ce que tu veux, mais pour moi être pédé, c’est aussi grave qu’être pédophile. C’est une perversion ! Pesta le garçon à la peau mate.
-Perso, je suis d’accord avec Pierre. J’ai jamais rien eu contre les gays… D’ailleurs, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais je me suis jamais foutu de leur gueule avec vous, le défendit Théo.
Pierre sourit. Enfin quelqu’un d’ouvert d’esprit ! Les autres en revanche, le regardèrent avec surprise. Il y eut ensuite un silence très lourd de quelques secondes. Puis, l’adolescent roux au bonnet se racla la gorge et commença à parler :
-Bah, tout compte fait, Pierre est l’intello de la classe. Il sait ce qu’il dit. S’il dit qu’il n’y a rien de mal à être pédé, c’est qu’il n’y a rien de mal. Je lui fais confiance ! Annonça-t-il.
Sa remarque fit rire tout le monde. Pierre était assez surpris que Dylan prenne tout ce qu’il dit pour argent comptant juste parce qu’il le trouvait intelligent.
-Tu vas arrêter de les rejeter, alors ? Demanda Pierre, plein d’espoir.
-Bah oui ! Répondit-il, en hochant la tête.
-Mouais, moi chuis quand même pas convaincu… J’trouve quand même ça dégueu, râla Samy, en campant sur ses positions.
***
Décembre 2012
Pierre était seul dans son salon, assis sur le canapé et par ennui, il feuilletait un des magazines que sa mère avait l’habitude de lire. En tournant les pages, il tomba sur une rubrique qui retint son attention. Elle portait sur les célébrités considérées comme les plus attirantes de l’année selon la rédaction. Il y avait deux pages. Celle de gauche était consacrée aux modèles féminins et celle de droite aux modèles masculins.
En regardant la page de gauche, il ne ressentit rien. Certes, les femmes présentées étaient jolies, mais s’il avait contemplé un mur à la place, cela lui aurait probablement provoqué le même effet. Lorsqu’il tourna son regard vers la page de droite, en revanche, il se sentit tout émoustillé.
Il appréciait beaucoup ce qu’il voyait. Les hommes présentés étaient attirants et lui plaisaient beaucoup. La vue de leurs abdominaux et de leurs pectoraux saillants provoquaient en lui de drôles de sensations. Aussitôt, il pensa qu’il devait arrêter de se mentir à lui-même et de tourner autour du pot : il aimait les garçons. Il était soulagé d’avoir trouvé une réponse à ses doutes, mais fut soudainement envahi par un sentiment de mal-être. Que diraient ses parents ? Ils ne devaient surtout pas savoir. Et que diraient ses amis ? Ils avaient l’air de tous avoir changé leur vision de l’homosexualité, en dehors de Samy. Il ne devait pas non plus savoir. À vrai dire, il n’était même pas sûr d’avoir convaincu les autres. Ils pourraient se moquer de lui, vu le genre de propos qu’ils avaient déjà tenus. Il décida donc de garder ça secret pour l’instant.
En parlant d’amis, il se rendit au même instant compte d’une autre chose évidente : Il voyait Théo comme plus qu’un ami. En réalité, il avait un petit faible pour lui. Toutefois, il jugeait également plus sage de ne pas lui confier, car il avait peur que cela ruine leur amitié. Il se sentit assez découragé en prenant conscience des problèmes qui l’attendaient à l’avenir. Il était quand même fou de se dire qu’il découvrait aujourd’hui qu’il était lui-même homosexuel, alors que le simple fait d’entendre ce mot le dégoutait quelques mois auparavant.
Ironiquement, la date du jour était le 21 décembre 2012. Certains croyaient en la fin du monde ce jour-là et en quelque sorte, c’était un peu vrai pour Pierre, cette date marquait en quelque sorte la fin de son monde et resterait gravée dans sa mémoire pour des années à venir…
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