Chapitre 104 : Géant(s)

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Ally

J'oscillais entre pile électrique et déferlante émotionnelle. Je me trouvais avec Lucky, Gordon et le manager d'Iron Maiden en coulisses, pour assister à ce qui s'annonçait déjà comme un concert mémorable. Lancé sur une idée, c'était finalement devenu, en deux petites semaines, un concert géant. Dans la presse, les qualificatifs allaient bon train : les journalistes soulignaient le fait que deux groupes de métal apportaient leur soutien aux victimes de l'attentat, d'autres que la leçon à en tirer était que "the show must go on", que le terrorisme ne nous mettrait pas à genoux.

Bien sûr, j'avais de l'appréhension. La sécurité avait été sérieusement renforcée par rapport à ce que nous connaissions habituellement. Pas question qu'un autre attentat se produise, que d'autres terroristes ne profitent de l'occasion pour faire encore des dégâts.

Dans les loges et en coulisses, tout était relativement calme, dans le public, en revanche, on sentait monter une certaine effervescence, mâtinée d'une profonde émotion. Les billets s'étaient vendus en quelques heures, le prix de base en était unique, mais chacun pouvait donner plus, en soutien. Ce qui était formidable, c'était que pour ce projet, tout le monde était bénévole : les musiciens en premier lieu ne toucheraient pas un centime pour leur prestation, mais les techniciens non plus. Quant à la salle, gérée par la municipalité, elle avait été mise à disposition pour une somme modique, afin de couvrir essentiellement les frais d'électricité du concert, ce qui était fort peu et assez normal finalement. Les sommes ainsi collectées s'annonçaient conséquentes. Ce serait un beau geste de la part de tous, équipe technique, groupes et surtout public.

Si les spectateurs savaient que les Dark et Maiden allaient se produire, ils s'attendaient tous à ce que les deux groupes jouent l'un après l'autre, voire à ce qu'il y ait quelques extras - personne ne serait surpris en effet que Steve Harris ou un des guitaristes viennent jouer sur un morceau des Dark et inversement que Stair et Treddy jouent avec Iron Maiden à un moment donné, de même que l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les deux chanteurs se produisent aussi en duo.

La surprise fut donc totale quand le public comprit que les deux groupes allaient jouer ensemble. Non seulement en les voyant arriver tous ensemble sur scène, mais aussi parce que, petit clin d'œil, ils portaient chacun des t-shirts de l'autre groupe. Ainsi, tous les musiciens de Maiden portaient-ils un t-shirt à l'effigie des Dark - soit celui reprenant la photo du premier album, comme Steve Harris et Dave Murray, soit celui du deuxième pour les autres. Et Nicko McBrain arborait le logo du groupe. Quant aux Dark, Stair avait choisi de porter Eddie en bassiste déjanté et très coloré - un que j'aimais beaucoup, d'ailleurs -, Snoog celui de Killers, Treddy celui de Piece of Mind, David celui du tout premier Eddie et Lynn celui de Fear of the Dark. Il y eut alors une sacrée ovation, au point qu'il fallut attendre un petit moment avant que le concert ne puisse débuter. Les musiciens furent très touchés par cet accueil.

Ce fut à Nicko McBrain que revint l'honneur de lancer le show : il fit longuement frémir ses cymbales, avant de taper quelques mesures. Steve Harris et Stair firent entendre une première suite d'accords, tout en douceur, alors que Snoog et Bruce Dickinson s'avançaient un peu plus vers le public. Le premier se trouvait à la droite du second et l'un leva le bras gauche, l'autre le droit, dessinant comme un demi-cercle, comme s'ils avaient voulu englober tout le public dans leurs bras, comme s'ils avaient voulu rapprocher chaque personne, chaque victime d'eux-mêmes et communier avec tous.

Lynn prit alors le relais de Nicko pour le tout premier morceau, No Future, puis ce furent Fear of the Dark, Amanda's Song et Powerslave. Ce fut à partir de ce morceau que se développèrent vraiment de beaux moments de connivence entre les musiciens, et notamment entre Stair et Steve Harris, et entre Treddy et Adrian Smith. S'ils ne jouaient pas ensemble, Lynn et Nicko montraient bien, derrière leurs fûts, une complicité évidente, notamment pour lancer les morceaux.

Bruce Dickinson et Snoog donnaient de leur côté un très beau spectacle. A croire qu'ils avaient toujours fait cela : chanter ensemble. Leurs voix, différentes, se mariaient très bien, à l'image de leurs jeux de scène qui se complétaient parfaitement, avec cependant une grande retenue. Ils partageaient aussi souvent l'interprétation des morceaux, l'un accompagnant l'autre sur les refrains.

Certains enchaînements entre deux morceaux furent particulièrement réussis, comme entre Wrathchild et Fire Man, ou entre Seventh Son of Seventh Son et Mor Du. Et il y eut aussi des moments vraiment très émouvants, notamment quand Bruce Dickinson introduisit la chanson Vivre Debout, que Madame Ferew voulait absolument que les garçons interprètent :

- Il y a, à Manchester, une personne qui ne peut être ici ce soir. Une personne qui tenait cependant à participer à cet hommage, à ce concert de soutien. Cette personne s'est exprimée par la voix de sa maman qui a demandé à ce que la chanson suivante soit jouée. Merci Madame Ferew. Et merci Ruggy. Vivre debout !

C'était Stair qui jouait les premières notes de ce morceau, avant que Lynn ne lance la batterie et que les guitaristes ne s'emparent de la mélodie. Ils ne furent que trois à jouer, car le morceau ne comptait pas de ligne de guitare rythmique : même s'il aurait été possible d'en ajouter une, Stair, Lynn, Snoog et Treddy avaient toujours refusé de modifier la chanson. Elle demeurait et demeurerait telle que Ruggy l'avait écrite. Et, bien entendu, Treddy la joua avec la guitare de Ruggy. Ce fut sur ce morceau que Stair et Steve Harris firent leur premier solo ensemble, se répondant l'un l'autre. L'heure était grave, le concert était empreint d'émotion, de peine aussi, de compassion. Mais tous deux prenaient aussi vraiment plaisir à jouer ensemble, ça crevait les yeux. Du moins, moi, je le percevais parfaitement.

A la fin de la chanson, le public applaudit longuement. Parmi les fans du groupe, les fans de Manchester, beaucoup savaient ce que cette chanson représentait pour les Dark. Beaucoup savaient aussi qu'ils ne la jouaient que pour eux, ici, dans leur ville d'origine. Et l'entendre, pour cette exceptionnelle occasion, jouée aussi par Iron Maiden, c'était un cadeau sans prix.

Ils enchaînèrent avec Halloweed be thy name et leur interprétation fit venir beaucoup de larmes aux yeux des uns et des autres. Moi-même, j'étais déjà une vraie fontaine et Gordon dut s'employer pour trouver un - gros - paquet de mouchoirs.

Evidemment, il fallut que Snoog en rajoute une couche côté émotion lorsqu'il annonça la chanson suivante :

- Nous sommes tous là ce soir, vous, nous, pour les victimes innocentes qui ont succombé ou ont été meurtries dans leur chair, dans leur âme, dans leur cœur. Nous sommes là aussi pour dire, pacifiquement, humainement, que nous rejetons toute forme de violence, que cette dernière est inutile, mortifère, quelles que soient les revendications que l'on veut exprimer. Ce soir aussi... Ce soir, dans quelques heures, de petites lumières vont s'allumer à travers le monde pour rappeler un triste anniversaire, rappeler la mort d'autres victimes innocentes. Pour eux, pour nous, soyons tous ce soir des Children of Freedooooooooom !!!

Et Lynn et Nicko lancèrent ensemble l'introduction de la chanson, avant que le second ne laisse toute la place au premier et que les musiciens n'embrayent. Dans le public, de nombreuses petites lumières s'étaient allumées.

Stair

C'était un moment vraiment très fort. Ca allait au-delà, pour nous cinq, du cadeau que pouvait représenter le fait de se trouver sur scène avec Iron Maiden. David planait à mille milles d'être entre Dave Murray et Adrian Smith, de compléter le jeu de Janick Gers. Je pouvais comprendre : il s'était déjà retrouvé sur scène avec Steve Harris, puis avec Angus Young. Maintenant, il avait la totale avec Maiden au grand complet.

Je savourais, bien sûr, de me trouver à côté de Steve Harris et de jouer avec lui, de pouvoir donner la pleine mesure de toute l'admiration que j'avais depuis toujours pour ses compositions, de pouvoir partager avec lui ce moment unique, face au public. Mais je n'oubliais pas, à aucun moment, pourquoi nous étions là, ce qui nous avait rapprochés, réunis. Cet acte odieux, lâche, de s'en prendre à des innocents. Et ce formidable élan de solidarité qui avait surgi dès les premières heures qui avaient suivi l'attentat.

Le concert se déroula vraiment bien. Nous voulions soutenir les victimes et leurs proches, et apporter aussi du réconfort et du plaisir au public, à ceux qui étaient là pour nous voir, mais surtout pour être solidaires. C'était ce que chacun éprouvait, musicien, technicien comme spectateur.

Ce fut sur Powerslave que je me sentis vraiment bien, vraiment à l'aise, et que j'eus la certitude que tout le reste allait rouler comme sur des roulettes. Avec Steve, intuitivement, dès la première répétition, nous avions joué nos lignes de basse dans un esprit de dialogue, de complémentarité, un peu à l'image de ce que nous avions fait après le concert du Hellfest.

Il y eut de beaux solos des guitaristes, sur The Number of the Beast, pour commencer, et je sus alors que Treddy prenait vraiment son pied, puis sur No man's land où lui et Adrian Smith s'amusèrent bien pendant un bon moment, au point que j'échangeai un petit regard avec Steve et qu'on eut tous deux l'air de se demander quand est-ce qu'ils allaient s'arrêter. Lynn, lui, continuait à les soutenir avec une rythmique presque tranquille. Je m'approchai de lui un instant, tout en continuant à jouer ma ligne d'accompagnement. Petit sourire de connivence : il savait parfaitement ce que j'étais en train de penser. Nous les laissâmes alors poursuivre leur délire durant une bonne minute, puis Lynn profita que Treddy avait la main pour lancer le signe de la fin. Le public, lui, était ravi.

Nous enchaînâmes toute une suite de morceaux tous plus dynamiques les uns que les autres : Wrathchild, Fire Man, Two Minutes to Midnight, Children of Freedom - que Snoog introduisit magistralement et pour cause, nous étions le 3 juin, impossible de passer sous silence le massacre de Tian An Men -, puis The Trooper.

Ce fut après ce morceau que nous marquâmes une vraie pause, avant de lancer la toute dernière partie du concert. Lors des répétitions, nous avions particulièrement soigné les quatre morceaux que nous allions jouer pour conclure, car nous voulions les jouer tous ensemble, y compris les batteurs.

Nous nous rafraîchîmes un instant, nous épongeâmes aussi. J'eus le temps d'échanger quelques mots avec Ally, de m'assurer qu'elle allait bien. Elle avait le sourire aux lèvres et l'émotion perlait à ses cils. J'espérai que ça ne faisait pas trop pour elle, me souvenant de ce que Lynn avait une fois dit à propos de Jenna : il fallait lui éviter les émotions trop fortes.

Puis nous retournâmes tous sur scène pour achever ce concert géant.

- Merci à toutes, à tous, d'avoir été ici ce soir, dit Bruce pour commencer. Nous espérons que ce moment vous aura fait du bien, à tous. Remember Tomorrow !

La chanson commença tout doucement, avec Adrian et Dave, puis ce fut le tour de Treddy, de Janick et de David, avant que Steve, Lynn, Nicko et moi ne les rejoignîmes. C'était une très belle chanson, que j'avais beaucoup écoutée - et beaucoup jouée. Je me souvenais de l'avoir reprise presque tous les jours, après notre rupture à Ally et moi, et que c'était certainement la raison pour laquelle la ligne de basse de Reviens ! était si proche de celle de cette chanson. Je l'interprétais encore souvent pour Ally. Je n'avais évidemment jamais compté combien de fois j'avais joué telle ou telle chanson de Maiden, mais Remember Tomorrow figurait certainement parmi le top cinq. Adrian et Dave firent durer leurs solos, puis nous l'achevâmes dans un très bel accord de voix entre Bruce et Snoog.

Puis ce fut Reviens !. Avec Steve, nous avions convenu de jouer un long solo, l'un après l'autre, sur ce morceau. C'était la première fois qu'il allait le jouer avec moi et je me sentais très ému et très touché. Le public aimait beaucoup cette chanson, que nous jouions généralement au cours du rappel, avant Redemption. Je savais que ce serait un vrai beau cadeau pour Ally, un moment unique pour elle. Nous entamâmes le morceau, Steve et moi. Je commençai par mes premières notes, puis nous nous répondîmes à l'image de ce que nous allions faire ensuite, lors du solo. Puis Lynn et Nicko commencèrent à taper le rythme et tout s'emballa. Snoog et Bruce chantaient les couplets l'un après l'autre, et le refrain ensemble. C'était vraiment une belle interprétation et je la vivais ainsi totalement. D'une certaine façon, je n'étais pas loin de planer comme je l'avais fait au Hellfest, quand nous avions joué The Trooper et plus encore, quand nous avions joué Redemption avec Steve, qu'il nous avait rejoints pour la finale. C'était un moment de pur bonheur et ce qui me rendait le plus heureux était de pouvoir l'offrir à Ally.

Et à notre bébé.

Ally

Heureusement que Gordon était assis à côté de moi. Même Speedy s'inquiéta un instant en me voyant verser des torrents de larmes sur Reviens !. Depuis la toute première fois que j'avais entendu cette chanson, que Stair l'avait jouée pour moi et uniquement pour moi, je n'avais jamais été aussi émue, je n'avais jamais entendu une plus belle interprétation. Et le fait que Steve et Stair jouent un très beau solo dessus ajoutait forcément à mon émotion.

A la fin du morceau, Gordon me serra dans ses bras et me dit :

- Garde des forces, Ally, le concert n'est pas fini...

- C'est trop fort, Gordon... reniflai-je en m'essuyant une fois de plus les yeux.

- Tu veux un autre mouchoir ?

- J'en suis à combien de boîtes ?

Il rit et cela me fit du bien. Je ris aussi au milieu de mes larmes, puis je reportai mon attention vers la scène. Les guitaristes lancèrent leurs premiers riffs. C'était Revelations, une chanson dont les paroles convenaient parfaitement à l'événement. Elle méritait bien de figurer dans le rappel. Je ne quittais pas Stair des yeux, je voulais profiter jusqu'au dernier moment de lui, de le regarder sur scène, jouer avec Steve, être totalement heureux et transmettre encore beaucoup d'énergie et d'émotion.

Ils achevèrent leurs dernières notes, Snoog et Bruce laissèrent planer les derniers mots "It is you...", englobant encore le public. Puis tous les deux se firent l'accolade avant que Snoog ne s'adresse à tous, une dernière fois :

- Merci, merci à vous pour cette soirée, pour cette belle communion. Merci à vous pour vos pensées pour chaque victime, pour chaque personne touchée par cette tragédie. C'était le sens de ce concert, ce soir : être solidaire, ne pas avoir peur, aller toujours aux spectacles, aux concerts, que ce soit du théâtre, du cirque, de la danse, de la musique... Continuez à être vivants, vibrants et libres !

Les cris et les applaudissements fusèrent, une vague commença à se former dans le public, vague qui ne s'achèverait qu'avec le morceau. Snoog reprit son souffle, échangea un petit regard avec Bruce Dickinson qui souriait et ajouta :

- Ils ont préparé pour vous un final d'enfer ! Nicko et Lynn !

Et les deux batteurs lancèrent leur introduction. Après le beau solo entre Stair et Steve sur Reviens !, ce fut aussi un très grand moment que ce solo entre eux deux, une très belle introduction à la chanson et j'eus une pensée pour Jenna, l'imaginant très émue, pleurant peut-être comme je l'avais fait quelques minutes plus tôt. Et cela fit revenir quelques larmes à mes propres yeux.

Alors qu'ils achevaient leur solo, Bruce prit la parole et dit :

- Ils ont ce soir apporté une base d'enfer, Stair et Steve !

Nouveaux applaudissements et cris du public. La vague prenait de l'ampleur, épousant le chaloupé des deux basses. Puis Snoog poursuivit, rugissant en lançant le dernier des prénoms des guitaristes :

- Ils se sont ce soir déchaînés à un rythme d'enfer ! Saluez-les bien fort ! Dave ! Adrian ! Janick ! David ! Et Treddy !

Les cinq musiciens embrayèrent l'un après l'autre, chacun quelques mesures, au fur et à mesure que Snoog les nommait. Bruce reprit la parole pour remercier tous les techniciens et toute l'équipe qui avait permis l'organisation du concert. Enfin, Stair et Steve s'approchèrent d'un des micros et Stair commença :

- Et ils ont allumé un feu d'enfer, pour vous, ce soir ! Bruce !

- Et Snoog ! fit Steve Harris en imitant la façon dont Snoog rugissait parfois, ce qui déchaîna de nouveaux cris et rires parmi le public. Voici Redemption !

Et ce fut vraiment une finale de géants.

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