Chap 56 : Se retrouver (Samy)

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Je referme le livre, déçu de découvrir qu'il se termine sur une fin ouverte où le lecteur peut inventer la suite en fonction de ses humeurs. Est-ce un vœu de l'auteur d'offrir à celui qui pose son regard sur ses lignes de s’imaginer au cœur de l'action ? Le plus intrigant, perturbant, les personnages ont été affublés de nos prénoms. Comme si le bouquin avait aspiré nos âmes pour les déployer sur le papier glacé. Le plus étrange, déstabilisant réside dans le fait que tout ce que je viens de lire ne m’est pas inconnu. J’ai le sentiment d'avoir vécu chaque scène, chaque moment et de ressentir au plus profond de moi la douleur de cette épée qui se fracasse contre mon épaule.


Ulysse ronfle à mes pieds. Il a retrouvé son calme. Son sixième sens lui accorde cette décontraction que parfois je voudrais mienne. Je cherche du regard une présence dans le reste de la pièce. Le vieil homme qui nous a accueilli dans son antre, sa librairie, son repère semble s'être évanoui. Avant son départ, il a pris la peine de laisser éclairer la lanterne sur l’étagère. Cette douce lumière me replonge dans l’ambiance du phare où le gardien nous a raconté ses histoires de marins, de pirates et de capitaine.


Je parle de cet homme âgé de deux cent ans comme s’il était encore à mes côtés. Je le vois nous préparer une soupe réconfortante lors de notre arrivée avec Morgan. Pourquoi suis-je capable de ressentir ces événements ? L’odeur du potage tapisse mes narines. Je m’attends à tout moment à voir surgir mon ami pirate, me taper sur l'épaule en m'assurant que tout se passera pour le mieux. J’entends le timbre de sa voix résonner dans mes oreilles.


Je me redresse pour me diriger vers la mezzanine, il me faut gravir les marches une à une. Cette librairie est tout sauf ordinaire. Entre les rayons, les étagères et le mobilier, chaque élément a été chiné pour donner un charme à ce repère de pirates. Tout a été prévu, même le hamac dans lequel je retrouve mon beau gosse assoupi. À ses côtés, posé sur une table un encrier, une plume et une feuille jaunie par le temps. Je l'effleure du bout des doigts pour caresser les lettres dessinées par mon Victor, il s'agit bien de son écriture.


Avant de le réveiller, je prends le temps de décoder les vers abandonnés sur le papier. Ils forment un calligramme. Les phrases s’étalent pour esquisser les ailes d'un papillon. Mon côté rêveur songe au plan d'une carte aux trésors. Les courbes dentelées représentent les falaises escarpées d'une île perdue au milieu de l'océan. Les points sur les i sont des pattes de mouches semées et forment un sentier menant à l'entrée d’une grotte. Toujours tant de mystères s’étalent sur notre chemin. À moins que nos imaginations fertiles nourrissent le terreau de nos histoires dans lequel nous puisons sans cesse.


- Monseigneur, il est l’heure de se réveiller, murmure-je à l'oreille de mon papillon.


Pas de réaction, il semble si loin de moi. Je caresse sa joue et frôle du bout des doigts sa barbe naissante. Ce duvet lui confère un charme indéniable. Mes lèvres ont tellement envie de goûter aux siennes. Je dépose un léger baiser sur sa bouche, étrangement salée.


- Victor, l’heure de la sieste est terminée, chuchoté-je à nouveau.


Une de ces paupières se soulève, puis la seconde avant de se redresser d’un coup et de me sauter au cou.


- Samy, tu es réveillé, c'est merveilleux, je n’y croyais plus.
- N’exagère pas, j'ai dû m'assoupir une heure.
- Tu plaisantes ça fait trois jours qu’on veille sur ton sommeil à tour de rôle.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as dû faire un cauchemar.
- Mais non, tu étais sur la plage, ils ont essayé de t'enlever et dans la bagarre tu as pris un coup de sabre dans l'épaule. Le doc a tout fait pour te soigner mais tu ne te réveillais pas.
- Oula Oula du calme moussaillon, réponds-je sans vraiment faire attention à mon vocabulaire.
- Tu vois même toi tu emploies des termes de pirates. Après je me fous si c'était un rêve, le plus important c'est que tu sois réveillé et indemne.


Notre conversation vue de l’extérieur par un mec qui passerait par là n’aurait ni queue ni tête pourtant en l'entendant me raconter son rêve, son histoire, son saut dans le passé, j’ai le pressentiment que je ne suis pas étranger aux faits. Son récit est la copie conforme de ce que je viens de lire dans le bouquin. Tout ce qu'il me rapporte est d'une précision chirurgicale comme s'il était l'auteur de ce roman de flibustier à une différence près. Comment aurait-il pu l’écrire aussi rapidement et sur papier glacé Sur son clavier d’ordinateur pourquoi pas, il est capable de pondre des chapitres en des temps record mais là un livre de deux cent pages, c'est impossible.
Victor resserre son étreinte, je me sens si léger dans ses bras, j'en oublie notre délire un instant. Pourquoi chercher des explications ? L'essentiel est de se retrouver et de pouvoir sentir le souffle de l’autre se frayer un chemin sur la peau.

- Tout va bien Victor, rassure-toi, nos vies sont mêlées quelque soit l'époque, le lieu, dis-je sans réfléchir.

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