Elle est partie en paix

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 Nous savons tous que nous finirons par mourir. Nous pouvons nous injecter autant de botox que nous le voulons, prétendre être plus jeune autant qu’il nous plaira, mais aucun d’entre nous ne peut tromper la mort. Inutile de la défier, elle gagne toujours. C’est une constante dans l’équation de la vie. Mais pourquoi la craindre si elle est inévitable ? Eh bien, je vais vous le dire : parce que vous ne pourrez pas tromper la mort, mais elle, elle vous surprendra à coup sûr.

 C’est ce qu’a compris Dolores quand elle s’est retrouvée paralysée à 53 ans. Les premières crampes ne l’avaient pas inquiétée et n’en avait même pas parlé à son médecin. « A mon âge, c’est normal. », pensait-elle. Jusqu’à ce qu’une violente crise ne l’envoie à l’hôpital et qu’on lui apprenne qu’elle était atteinte de la maladie de Charcot. Elle en avait déjà entendu parlé et avait toujours pensé que c’était une terrible maladie. Elle avait essayé d’imaginer ce qu’elle ressentirait si elle était atteinte par cette maladie, mais son esprit avait vite balayé cette idée désagréable et elle avait brièvement remercié le Ciel de lui avoir épargné de telles épreuves. Quatre ans plus tard, elle ne pouvait plus ignorer la maladie qui faisait désormais partie de sa vie. Après sa première consultation avec le neurologue, tout était allé très vite. Les crises s’étaient enchaînées. On lui avait annoncé qu’elle n’avait plus que trois ans à vivre, dans le meilleur des cas. Mais elle est encore là, quatre ans plus tard. Depuis deux ans déjà elle reste immobile, coincée dans son lit la plupart du temps, emprisonnée dans ce corps qui ne lui obéit plus. Seuls ses yeux et ses paupières ont été épargnés par la maladie qui la réduit au silence.

 Toute sa famille est là, dans sa chambre. Depuis quelques jours, il lui semble que son état de santé s’est dégradé et elle voit dans la présence de ces êtres aimés la confirmation de ses soupçons. Elle va sûrement mourir. La vie lui a déjà accordé une année supplémentaire et il est peu probable que la mort lui permette de faire mentir une nouvelle fois le diagnostic des médecins. Cette pensée l’emplit d’anxiété. Combien de temps lui reste-t-il à vivre ? Quelques jours, quelques heures, quelques minutes ? Elle voudrait interroger ses proches sur ce que leur a dit le médecin, mais elle ne peut pas. Son angoisse est condamnée à rester bloquée sur le bout de ses lèvres statiques.

 Le tic-tac du réveil posé sur sa table de nuit prend une résonnance nouvelle. A chaque tic elle se réjouit d’être encore en vie, mais lorsque résonne un tac elle comprend qu’il lui reste encore une seconde de moins à vivre. Mais combien lui en reste-t-il encore ? Tic, tac, tic, tac. Elle réalise qu’elle n’a jamais été si près de la mort. Tic, tac, tic, tac. Elle ne peut pas fuir, ses jambes n’ont pas bougé depuis 2020. Tic, tac, tic, tac. 2020. C’est à cette époque que son couple à commencé à se déliter... Qu’est-ce qu’elle aimait faire l’amour avec son mari ! Mais sa vie de couple aussi avait été gangrénée par la maladie. Las de faire l’amour à un corps qui ne pouvait exprimer ses envies et qui ne prenait probablement même plus plaisir aux caresses amoureuses, son mari avait renoncé aux étreintes passionnées. Elle n’avait pu ni lui dire ni le lui montrer, mais cela lui manquait ! Tic, tac, tic, tac. Pourquoi appelle-t-on l’orgasme la petite mort ? Clairement, les préliminaires de la petite et de la vraie mort n’ont rien en commun. Tic, tac, tic, tac. La peur revient. Tic, tac, tic, tac. Les souvenirs l’assaillissent : son premier baiser, l’obtention de son baccalauréat, la naissance de sa fille. Elle sourirait, si seulement elle pouvait. La nostalgie laisse place aux regrets. Ses actes manqués la prennent à la gorge. Elle pense à tous ces voyages qu’elle voulait faire, à ces rêves d’enfant qu’elle a trahis. Et pourquoi n’est-elle pas allée à l’église tous les dimanches ? Ce n’était en fin de compte pas si cher payer pour mourir sereinement. Les remords et la mélancolie l’étouffent. Toute cette vie, toute cette frustration, mais à quoi bon ? Tic, tac, tic, tac. Son corps est impassible comme toujours, mais son âme est en proie à la pire tourmente. Elle suffoque, l’air ne soulève plus sa cage thoracique. L’effort qu’elle fait pour tenter vainement de respirer fait transpirer ses yeux, une petite larme s’échappe sans être vue de quiconque de son corps moribond. Ses yeux hurlent sa terreur. Ses proches lisent dans son regard un adieu passionné, sans voir l’effroi qui brûle au creux de ses iris. Dolores est épuisée, ses paupières sont incroyablement lourdes et se ferment sans qu’elle puisse lutter. Sa famille se rapproche d’elle. Elle voudrait qu’on lui prenne la main, mais ses yeux sont presque clos et elle ne peut pas sentir si son mari ou sa fille la serre dans la sienne. Tic…

 Sa famille croit sincèrement que Dolores est partie en paix.

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