Chapitre 4

6 minutes de lecture

Je me réveille en sursaut, effrayé et frissonnant.

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

J’ai rêvé et viens de sortir d’un terrible cauchemar et pourtant, j’ai la conviction d’avoir plutôt revécu quelque chose de très désagréable. Je passe une main sur mes cheveux. Mon corps est tellement animé par la peur qu’on croirait qu’il est trempé de sueur. Heureusement, la fenêtre est restée ouverte, laissant passer un rafraichissant courant d’air. Je prends une grande inspiration, le temps de retrouver lentement mes esprits. Du calme, Romain, ce n’est qu’un très mauvais rêve. Ça arrive même aux meilleurs, n’est-ce pas ?

Pongé dans le sommeil, tout semblait clair et limpide. J’ignorais où j’étais, mais une chose était certaine : je n’étais pas en sécurité ; on me voulait du mal. Une présence maléfique pesait. Et je devais la contrer, m’échapper. Au réveil, je me souviens pourtant très bien de la peur immense que j’ai ressenti.

Et jusqu’à présent cette sensation est si ancrée en moi que la terreur continue de me hanter. On dirait qu'il y a quelqu’un derrière cette pièce… mais je reste paralysé, incapable de quitter le lit, pour m’en assurer.

Tout au long du cauchemar, j’étais seul avec ma solitude écrasante et surtout ma terreur harcelante. Je cherchais une issue à ce labyrinthe d’épouvante. Et puis, une voix m’avait éclairé. Non, plusieurs voix, en fait. Enfin, ça, je n’en sais rien, tout bien réfléchi. C'était un mélange de voix mélodieuses, familières comme inconnues. Qui me guidaient et me demandaient de… sauter ?

Je regarde autour de moi. La chambre de Victoria. Ah oui, c’est vrai, je suis vraiment allé chez elle, en fin de compte ? Je n'ai pas le moindre souvenir de la pièce. Je me rappelle juste qu’une fois arrivé chez elle, on avait pris place au salon pour discuter à nouveau à propos de l’histoire de Célia et de son père, sans avancer quoi que ce soit de concluant (ni de très intelligent). Nous avions songé à téléphoner à Paul Terrier, avant de se rétracter au vu de l’heure tardive qu'il était. Penser à cette histoire était fatiguant et nous étions animés par tout autre chose à cet instant… elle m’a servi à boire et une fois nos verres finis, nous nous sommes envoyés en l’air sans préambule, puisque c’est à peu près une des seules choses qu’on sait faire correctement ensemble, et cela avait terminé de sa chambre. Juste après, on s’est endormis.

Jamais auparavent je ne me suis rendu chez elle, c’est une première. Quand on veut se voir, c'est chez moi. Victoria vivant en coloc, elle n’ose pas inviter grand monde et encore moins un garçon mais à l’occasion, celle-ci est partie pour une semaine et doit revenir dimanche soir, ce qui lui laisse six jours de liberté totale.

Je constate que la veilleuse est allumée. Elle a la forme chaton blanc, plongé dans un sommeil apaisant serrant contre elle un nuage, lui-même endormi. Tiens, Victoria a encore une âme d’enfant. Je l’éteints et me repositionne au lit, face à Victoria, dos à la veilleuse mignonne. Celle-ci me tourne le dos et même si je ne vois pas son visage, ses respirations régulières et les lents va-et-vient de son corps m’indiquent qu’elle dort à poings fermés. J’aurai voulu la couvrir jusqu’au cou mais en dehors de nos rapports, je crois que l’un comme l’autre évitons d’être trop proches physiquement, de se toucher ou d’avoir ce genre de geste.

Nous n’en avons jamais parlé. Pour le moment, ça fonctionne mais jusqu’à quel point ? Notre conduite l’un envers l’autre est dictée par un sorte de pacte non-écrit qui stipule avec rigueur qu’à la moindre ambiguïté, plus rien ne peut exister entre nous. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi mais j’ai la nette impression qu’on serait incapable de se regarder dans les yeux, si on se montre le moindre signe d’affection ou d’attachement. Pourtant - et j’en suis certain, même si je ne pense pas être amoureux de Victoria, je l’apprécie beaucoup : elle fait partie de mon quotidien. L’idée d’être en couple ne m’a jusque-là jamais effleuré l’esprit mais là, y penser me fait brièvement sourire. On serait bien ensemble, non ? On se complète assez je trouve. Malgré tout, mon intuition me souffle que ce n’est probablement pas une bonne idée en plus d’être impossible à envisager pour Victoria. Mais pas moyen d'en déterminer la raison exacte.

J’ai laissé mes pensées divaguer un long moment, sans me rendre compte des minutes qui passent sans réussir à trouver le sommeil. Il m’a échappé après ce terrible songe. Mes paupières ont beau être lourdes, mon corps me supplie de me laisser aller, sauf que j’en suis incapable. Ereinté, je le suis mais l’angoisse de retourner au pays des rêves pour affronter à nouveau le fantôme qui m’a terrifié toute la nuit crée une boule au fond de mes tripes, douloureuse et tenace. Incapable de me détendre, je suis partagé entre une terrible fatigue et la peur de sombrer.

La lumière des chiffres du réveil m’indique qu’il est pratiquement cinq heures du matin. Victoria doit donc se réveiller dans la demi-heure qui va suivre. L’espace d’un instant je songe à m’en aller. Le premier RER de la journée ne va pas tarder à desservir et encore aujourd’hui, nous ne nous sommes jamais réveillés ensemble. Je préfère que cela ne se produise pas. Je me redresse donc avec balourdise du lit à la recherche de mes vêtements. Pour être sûr de ne pas me vautrer dans un raffut pas possible, j’allume la veilleuse qui éclaire suffisamment la pièce pour que je puisse retrouver chacun de mes habits. Merde, ma chemise et ma veste sont au salon. J’irai les récupérer juste après. Après m’être rapidement rhabillés de ce qu’il y avait dans la chambre, alors que je m’apprête à éteindre sa petite lampe, ma curiosité est piquée par tous les nombreux bouquins qui composent sa bibliothèque.

Je m’y approche pour jeter un petit coup d’œil à tout ce petit monde littéraire. Il y a de tout. Des petits et grands livres. Ils abordaient presque tous les sujets possibles, de différents auteurs, du monde entier. La plupart sont écrits en français, mais deux étagères complètes sont dédiées à de la littérature japonaise, écrites dans cette même langue. Intrigué, je les étudie rapidement avant d’en prendre un que je feuillette mais ne comprends pas une lettre, à des années lumières de décrypter le moindre signe. Cela me paraît presque impensable que Victoria puisse comprendre cette langue. Les symboles semblent tous différents et identiques à la fois. Je me redresse après avoir rangé le bouquin.

Juste à côté, trône son bureau, en bordel total. Des feuilles se superposent de part et d'autres, les stylos gisent sur la table sans logique et des cahiers sont jetés çà et là. Certains sont ouverts sur des brouillons illisibles, des paragraphes qui se chevauchent, des bulles reliées entre elles. Ils ont l’air de former des plans d'affaires qu’a décortiquées ma collègue. Je reconnais celle des enfants du chantier… au bout de ce bazar qui illustre parfaitement son tempérament – une femme qui vit à cent à l’heure – il y a un carton en kraft, de taille moyenne, ouvert. J’y ose un coup d’œil et tombe sur une pile de cahier où un, grand ouvert est placé au-dessus. Je le prends et le feuillette. Sur le bureau, si tout est en français, là, c’est inscrit en japonais. Son écriture est plutôt correcte bien qu'elle n'ait pas la même application que celle des livres. Pourtant, plus j’avance et plus son écriture se fait erratique et bancale. Etrange. Je me demande bien ce qu’elle y raconte…

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