Chapitre 6

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— Oh mon dieu ! s’écrit Claire en ouvrant la porte d’entrée de la maison. T’es au courant que ta mère va t’assassiner ? T’as perdu au moins cinq kilos !!

— Ça s’appelle faire quelque chose de sa vie, tu devrais essayer.

Elle éclate de rire, amusée par ma vanne et m’invite à rentrer.

— C’est un tueur maintenant, Columbo.

— Il t’emmerde Colombo… je vociféré-je.

Comme elle me prend affectueusement dans ses bras, je lui tapote gentiment le dos, cherchant quand même à camoufler mon trouble. En général, je ne dis pas non à une petite accolade amicale. Surtout avec Claire, ma cousine. Mais sa remarque m’a quelque peu embarrassé.

Sérieux ? J’ai vraiment perdu du poids ?

Mes lèvres sont sur le point de me trahir et laisser s’échapper cette question qui les démange mais je parviens à me contenir. Après tout, c’est futile, n’est-ce pas ? Que va-t-elle en penser après ? Connaissant Claire, elle a dû élaborer cette pique toute la journée pour savourer le plaisir de me vanner, dès que l’occasion se présentera.

Bordel… y penser me créé une boule d’angoisse au ventre. Et il y a un putain de miroir accroché au mur du couloir d’entrée. Je vais me faire violence pour éviter mon reflet mais je sais que quoi qu’il arrive, je suis foutu. Si je ne me regarde pas, je vais passer l’après-midi à cogiter mais si au contraire, je jette un traitre coup d’œil à mon reflet, je n’ose imaginer tout le déferlement d’angoisse et d’appréhension qui va s’ensuivre.

Bordel, pourquoi faut-il que Claire soit autant une grande gueule ?

Il faut que je m’occupe à tout prix l’esprit. Oui, je suis venu ici pour rendre visite à ma maman mais surtout pour cette petite valise verte.

— Je déconne roh ! Il a pas d’humour l'autre ! Putain, toi, ça se voit que t’as trop traîné avec tes collègues les parisiens prétentieux. T’es parfait, hein.

Cette phrase a pour effet de momentanément me soulager. Un poids quitte mes épaules. Mais la peur revient immanquablement…

Maintenant que la graine du doute s’est installée, elle germe à la vitesse de l’éclair, sans répit. Et chaque jour, une nouvelle est semée. Je n’y échappe pas. Et peut-être n’y échapperai-je jamais ?

— Un peu contre ton camp, non ? Tu vis à Varsovie, peut-être ?

Elle siffle de fierté.

— Bah il a du répondant Colombo, maintenant !

— Tu le kiffes bien comme il faut Colombo, il te manque à ce que je vois !

Elle ricane en haussant les épaules.

— Son « mon petit Patrick » m’avait achevée à l’époque. Enfin bref, je suis heureuse que tu sois venu, Romain, conclut-t-elle avec un sourire. Mais reste pas à l’entrée ! Je vais te faire un thé !! Mon p’tit frère me rend enfin visite !

Elle m’attrape le bras et me traîne sans ménagement jusqu’au salon. Sur le chemin, je constate que le miroir n’est plus là. Je déglutis avec difficulté. Ma bonne étoile s’est remise à scintiller ?

Quand on arrive au salon, à double entrée, elle me fait asseoir sur le canapé.

— Y a plus le miroir d’entrée ? je m’enquis, l’air de rien.

J’ai l’air suspect. Claire me couvre d’un regard à fois intrigué et surpris.

— Tu te rappelles ce putain de miroir ?

Je l’évite du regard et hasarde :

— Bah quand même. Il était grand et c’était le premier truc qu’on voyait en entrant.

— Ecoute, hier je faisais du ménage et en nettoyant les bords, je l’ai fait tomber, il s’est brisé du coup, je l’ai jeté. Il était vieux et moche de toute façon. Personne ne le regrettera.

Comme les choses sont éphémères…

Je ne trouve rien à répondre. Le dos rempli de sueur, j’essaye de paraître le plus naturel possible mais je ne peux m’empêcher de penser que Claire se doute d’un truc.

— T’as invoqué la Dame Blanche avec ou quoi ?

C’est la Dame Blanche qui m’est apparue surtout ouais…

— Ouais, et je lui ai demandé de te faire fermer ta bouche, avec tes bêtises.

Elle éclate de rire.

— T’es un marrant toi !

Je m’enfonce davantage sur le canapé. Il faut que je me détende… Elle ajoute :

— Ca m’a manqué, nos blagues.

J’opine du chef. Claire est plus une sœur qu’une cousine. Malgré notre différence d’âge, qui avec le temps s’est dissipée, nous sommes proches depuis tout petits. Les circonstances ont fait que nous avons cohabité durant toute mon adolescence et je pense que je n’aurais pas été aussi volontaire et audacieux que je ne le suis aujourd’hui si elle n’avait pas été là.

— J’allais faire un thé, t’en veux ?

— Non, non, en fait, je ne faisais que passer… euh, maman est là ?

Elle fronce les sourcils.

— T’es pas au courant ?

Mon rythme cardiaque s’accélère. Quoi encore, putain ?

— Elle est partie voir la famille, hier soir. Elle t’a rien dit ?

Encore une preuve irréfutable de sa maladie… je pousse un long soupire. En fait, on ne s’habitue jamais à la douleur.

— Non…

A ma moue complètement abattue, Claire comprend, alors elle reprend diligemment :

— Tu sais, avec sa maladie, elle a dû zapper ! ‘fin tu la connais…

Justement, je la connais.

— Moi aussi, il y a des jours où… elle m’ignore totalement. Elle le fait pas exprès. C’est Alzheimer quoi…

Je ferme les yeux, tentant de retrouver mon souffle. Reste fort. Reste fort.

— Comment elle va en ce moment ?

— Bah qu’est-ce que tu veux que je te dise… y a des jours où elle est dans son monde, où elle pleure et pète des câbles et d’autres où elle a le sourire, elle renaît…

Rester silencieux pour me complaindre dans mon impuissance est la seule option qui s'offre à moi, incapable de parler.

— Elle est partie avec qui ?

— Comme d’hab', avec Edouard. Ne t’en fais pas, elle a tout à disposition là-bas. On a juste pensé que voir des gens lui ferait du bien. Tu venais pas, tu lui manquais, bref, oublie, maintenant t’es là.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Rien ! Vraiment, ne culpabilise pas, c’est-

— Je n'ai pas pu venir parce que j’étais débordé et quand j’ai pu avoir des vacances, je me suis juste écroulé chez moi.

Elle plisse les sourcils. Mais c’est quoi cette lueur dans ses yeux ?

— Une occupation débordante appelée Victoria ?

— Mais qu’est-ce que tu racontes, toi ! grincé-je, entre les dents.

— Oh ! Il est amoureux !

Je l’ignore, agacé qu’elle tourne tout en dérision. Je culpabilise sérieusement d’avoir laissé ma mère seule, ces dernières semaines. Et je regrette surtout de ne pas être allé la voir le premier jour de mes vacances. Au lieu de ça, je l'ai passé à dormir. Puis, mardi, Victoria m’a parlé des Terrier. Si seulement j’avais éteint mon portable…

Je sais que Claire cherche à me remonter le moral et me faire penser à autre chose, mais le mal est fait. La culpabilité est une arme imbattable. Je sais que je ne peux rien y faire, à part vivre et être là pour ma mère, quand elle en a besoin. Mais je ne saurai sûrement jamais doser les deux correctement.

Je me redresse en enfonçant les mains dans mes poches.

— P’tit frère, ta mère va bien, ok ? Elle est entre de bonnes mains. Et même si elle n’avait rien, elle comprendrait. Elle comprenait tes absences… avant…

J’essaye de ne rien répondre. Le poison de la culpabilité boue déjà en moi.

On a la chance d’avoir une aide-soignante à domicile dans la famille. Ainsi, Claire s’est installée chez ma mère lorsque sa maladie s’est déclarée pour s’occuper d’elle à temps plein. Elle a mis un arrêt complet à ses autres missions, pour se consacrer à ma mère le plus de temps possible.

Quant à moi, j’essaye d’être présent. Mais au fur et à mesure que ma carrière décolle, je suis de moins en moins disponible. La douleur d’avoir un parent souffrant m’a forcée à me donner corps et âme à mon job pour étouffer la tristesse qui noie mon cœur, depuis maintenant presque quatre ans. Si au début, j’arrivais à garder la tête hors de l’eau, la première fois que ma mère a fait une sérieuse crise, j’ai totalement dérapé et me suis enfermé dans ce cercle vicieux. Et je peine à présent à en sortir, le sentiment d'impuissance face à l'état de ma mère me rendant particulièrement vulnérable. Chose que je hais plus que tout.

Toute la famille se plie en quatre pour nous apporter le soutien dont on a besoin, pour faire profiter ma mère du mieux qu’elle peut mais les faits sont là et tout me rapporte au jour où elle ne sera plus mentalement parmi nous…

Cet instinct de survie se réactive et sans préambule, je lance :

— Je dois repartir vite, de toute façon mais… j’ai besoin de récupérer une valise.

— Une valise ? Mais pourquoi ?

— Elle est dans la chambre de maman. Te fatigue pas, je vais la prendre.

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