A l’Auberge – Lyon

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Sepulved s'était retiré dans sa chambre pour dormir laissant le novice et la jésuite dans la partie salon. Dominique n'avait rien à dire à Esther.

Comme tous les jours, Dominique se réveilla pour Laudes, la première des sept prières de la journée. A l'Est, derrière les contreforts alpins, le ciel s'éclaircissait. Les genoux enfoncés dans le tapis de laine, sa bible entre les mains, il déclama sa prière. Seul le bruit des roues à aubes s'entendait. Tous les soldats devaient dormir. Sepulved s'était retiré pour dormir dans sa cabine. La Sœur Esther avait disparu ; elle avait dû rejoindre ses protégés sur le pont. Pourquoi le Pape avait-il choisi une femme ? Elle n'a pas d'entraînement militaire. En plus, elle suit la doctrine jésuite, la doctrine des faibles. Quand les gros problèmes arriveraient, et ils arriveraient, ils seraient contents du lui donner le commandement. Avant de se rendormir, il distingua un deuxième bateau à vapeur, carapaçonné d'acier, qui ouvrait la route.

Deux heures plus tard, le navire arriva en vue des premières ruines de Lyon. Le navire remontait une série de hangars éventrés. Devenus des corps étrangers, les buissons et herbes sauvages phagocytaient les entrepôts. Seuls quelques pontons de bois nouvellement construits indiquaient une présence humaine.

En vue de la confluence entre le Rhône et la Saône, le bateau abandonna le lit du fleuve pour entrer dans un chenal d'eau noire, bordé de béton. Le vapeur remontait depuis quelques minutes une des darses du port et s'enfonçait dans le quartier de Gerland. Certaines constructions avaient disparu, pillées de leurs tôles et de leurs briques. Des cabanes les remplaçaient laissant s'écouler des filets de fumée. De temps en temps, le squelette rouillé d'une grue gisait sur le quai.

Plume, accoudée au bastingage, regardait s’affairer les matelots préparant l'amarrage. Arrivé à son débarcadère, le navire s'aligna face à plusieurs hangars reconstruits. Elle n'avait jamais vu autant de monde. Son regard traversa le chenal. De l'autre côté, de petits bateaux à voiles et des péniches tirées par des chevaux s'alignaient contre ce quai dédié au commerce. Sur une barge, quelques verdoyants déchargeaient une cargaison de sacs de patates. A chaque passage, un clerc, l'oeil attentif, ajoutait un trait sur son cahier.

La passerelle pivota, tel le pont levis d'un château, pour s'appuyer sur le quai. Sepulved, suivi de sa troupe de secrétaires, descendit jusqu'au débarcadère. Au pied de la passerelle, un troupeau de soldat attendait au garde à vous. Sans marquer d'arrêt, l'archevêque se dirigea vers le mur d'enceinte encadré par les militaires. Puis ce fut le débarquement de tous les soldats qui, une fois la cohorte reformée sur la berge, rejoignirent au pas leur caserne. Plume apercevait contre le mur d'enceinte, un ancien bâtiment de bureau transformé en forteresse. Caparaçonné de plaques d'aciers avec des meurtrières, il contrôlait l'entrée côté port au palais et à la cathédrale. En rondins de bois, une tour de gué plantée sur le toit, arborait le drapeau de l'Archevêché : le lion à l'épée en croix.

Sur le quai, un clerc encadré de deux militaires attendait le groupe. Première, Esther descendit, suivie de Cube qui portait sur son épaule la malle en bois de la jésuite. Elle s'arrêta devant le petit homme sec qui, dans sa combinaison grise, les regardait venir. Cube, dans un mouvement ample de son bras droit, descendit la malle de son épaule pour la déposer par terre.

- Ma sœur, avant de vous montrer vos quartiers, puis-je vous demander ce que vous transportez ?

Sur un signe de tête de la jésuite, Cube ouvrit la malle. Des brocarts de soie brodés de fils d'or et quelques jacquards de laines multicolores s'empilaient libérant la fragrance de Tricastin : la lavande.

- Voyons Cube, Monsieur ne peut pas bien voir.

Comme le serveur d'une brasserie, le verdoyant souleva la malle pour la présenter ouverte sur le plat de sa main droite. Le clerc déplia son bras pour fouiller de son crayon les tissus.

- Ne sont-ils pas magnifiques ? Ce sont des présents pour Monseigneur Sepulved, dit Esther.

Le crayon s'arrêta de toucher la soie. Le commis regarda brièvement les deux soldats avant de replier son bras. Le crayon revint se nicher dans le cahier.

Entre temps les autres verdoyants étaient descendus.

- Les armes sont interdites dans l'enceinte du palais. Veuillez les déposer sur la table!

Sans un mot Cube se délesta de ses deux épées et ,voyant un soldat s'avancer, écarta les jambes et les bras pour la fouille. Troubadour hésita puis prit son ukulélé qu'il tenait en bandoulière. Un clic se fit entendre, du manche de l'instrument sortit une courte rapière. D'un mouvement rapide du poignet, le verdoyant décrivit une arabesque avant de poser l'arme sur la table. Visiblement, Plume n'était pas la seule à être surprise. D'étonnement, les jumelles lancèrent un clic bruyant de la langue. Personne ne savait que Toubadour savait utiliser une arme. Plume ne donna pas sa fronde, ce n'était qu'un morceau de tissu tressé.

Alors qu'Esther n'avait pas eu droit à une fouille corporelle, les jumelles puis Plume durent subir l'inspection. Le soldat ne fut pas trop zélé. Sur sa nuque, il sentait le souffle du grand balèze. Des yeux, Plume chercha Dominique. Il avait disparu. Le novice avait dû partir loger chez ses semblables, à la commanderie des Chevaliers de la Croix.

- Vos chevaux seront installés à l'écurie du stade. Vous pourrez les voir un peu plus tard. Suivez moi, je vais vous montrer votre auberge.

Autour de la table, pour le petit déjeuner, Esther avait décliné l’offre de Sepulved, de dormir à l’hôtel. Elle avait insisté pour rester dans le même bâtiment que ses verdoyants.

Passant à quelques mètres de la caserne fortifiée, le groupe passa par une chicane de sacs de sable et de barbelés qui gardaient une des portes d'acier du mur d'enceinte. Passés de l'autre côté, leur guide indiqua rapidement le palais au loin tout en rondeur puis se tourna vers la droite.

- Ce vieux bâtiment de béton enserre un stade de foot.

Esther fût étonnée de voir des imitations de colonnes romaines courir autour de cet édifice. Ils voulaient sûrement sacraliser ce sport. Plume se demanda ce que pouvait être un "stade de fout".

- Monseigneur Sepulved l'a reconverti en cathédrale et il sert aussi pour les jeux.

Le petit homme, tricotant de ses courtes jambes, bifurqua vers la droite vers un bâtiment de briques rouges.

Ancien bâtiment industriel, il était utilisé comme auberge pour les civils de passage prêts à payer leur nuitée. Derrière son comptoir, l'hospitalier les réceptionna d’un haussement de sourcils. Libéré, le clerc repartit trottinant vers le palais. Sans préambules, le moine commença son exercice. Maintes fois récité, le discours était monotone, sans fioritures.

- Cette porte à ma droite donne sur les latrines et une salle d'eau pour les hommes. Suivez-moi !

Il s'engagea dans le couloir.

- Ici vous avez la cantine pour vos repas.

Plume n'eut que le temps de voir des tables dépareillées. Ils ne seraient pas trop dépaysés, on aurait dit le restaurant de Tricastin. Il s'arrêta devant un escalier tout en acier.

- Pour les filles, vous continuez jusqu'au bout du couloir. Vous trouverez votre dortoir.

Les jumelles s’engouffrèrent à la suite de Plume vers la porte du fond. Esther allait pour les suivre.

- Pas pour vous ma sœur ! Monseigneur veut que vous profitiez d'une des chambres individuelles.

Pour monter les marches, le frère Dominicain remonta sa bure blanche, dévoilant des sandales que le Christ n'aurait pas reniées. Le premier étage n'était qu'une grande pièce où s'alignaient des lits militaires faits d'un cadre en bois et d'un tressage de sangles en guise de matelas. Aucun mur. Quelques civils discutaient, accoudés aux fenêtres.

- Il est interdit de fumer dans cette pièce ! Si je vous y reprends vous irez dormir dans vos bateaux.

Les deux verdoyants jetèrent leur mégot par l'ouverture et continuèrent de discuter.

- C'est toujours pareil avec les verts de gris. Ils sont incapables de suivre les règles, dit l'hospitalier s'adressant à Esther.

Troubadour, Cyrano et Lem recherchaient des yeux quelques lits libres où ils pourraient se regrouper. Jean-Paul, parti en reconnaissance, reniflait déjà sous un des lits. Le choucas entra par une des fenêtres et se posta sur le montant d'un lit.

- Votre chambre est au dessus, dit le frère s'adressant à la jésuite.

A nouveau, il troussa sa bure pour monter au dernier étage. Cube suivait, la malle sur l'épaule. Ce Dominicain avait plus de poils sur les mollets que sur la tête. Ils débouchèrent sur un obscur couloir présentant une enfilade de portes.

Le frère s'arrêta devant la deuxième porte, sortit une clé de sa doublure et ouvrit la porte. Il posa la clé sur l'unique commode.

- Je vous ai choisi une chambre qui donne sur le port. Elles sont plus ensoleillées !

Il les laissa passer. Cube à peine essoufflé, posa la malle au sol. L'hospitalier attendait devant la porte.

- Vous serez tranquille, vous êtes à l'étage des commerçants de passage. Il y a une salle d'eau au bout du couloir. Elle est mixte. Si vous avez besoin de quelque chose n'hésitez pas à passer à mon comptoir, dit l’hospitalier, très chaleureux tout à coup.

Sa main tel un serpent aux aguets sortait doucement de sa bure.

- Merci, dit Esther se tournant vers la fenêtre.

Cube s'avança vers le Dominicain qui recula d'un pas tendant maintenant une main ouverte. Le verdoyant passant la porte repoussa le moine dans le couloir et referma derrière lui.

Esther verrouilla la porte avec la clé et attendit que le silence se fasse dans le couloir. Elle ouvrit la malle et enleva quelques pièces de tissu qu'elle mit sur la commode. Camélia apparut vêtue d’une simple culotte, debout, les pieds dans le coffre. Esther attendit que la verdoyante se rhabille regardant par la fenêtre le ballet des gens et des bateaux. Habillée, Camélia la rejoignit à la fenêtre.

- Merci sœur Esther.

- Tu vas retrouver Jade ?

- Vous voyez ce bâtiment de l’autre côté de la rade ? C’est l’hôtel où Jade travaille. Je sais par où entrer sans me faire voir.

- Fais attention à toi. Je n’ai jamais vu autant de soldats. Demain, nous partirons pour Paris par le Nord sur un de ces bateaux. Que vas-tu faire si tu la trouves ?

- Jade vient du massif central. Elle a été enlevée, il y a un an, par des mercenaires de Sepulved près d'Ambert. Je pense que nous irons chez elle.

Elles regardèrent pendant de longues minutes les verts , tels des fourmis, déchargeant puis chargeant les barges accostées le long des quais.

- Tu devrais te reculer de la fenêtre, quelqu’un pourrait te voir.

Son regard s'ancra une dernière fois sur l’hôtel puis elle recula pour s’asseoir sur le lit.

- Je vais devoir te laisser. Sepulved veut me faire visiter son fief. Avant de partir, je demanderai aux jumelles de t'amener à manger.

- Si nous ne nous revoyons pas, je dois vous le dire ! Lamaison a raison. Il existe un endroit à Paris où vit, reclus, un ermite. Certains parlent d’un savant, dans sa tour de livres, qui connaît le passé. Trouvez le et peut être vous trouverez la vérité.

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