Forces et Faiblesses

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Zorba marque une pause laissant le temps à Cédric d’assimiler toutes les informations qu’il vient d’entendre. Peut-être qu’il se rend compte pour la première fois que la vie, sous ce point de vue, mérite d’être vécue.

Après une minute qui semble durer une éternité, Zorba demande :

— Vous savez, Cédric, on passe souvent plus de temps à se soucier de nos défauts qu'à reconnaître ce qui fait notre force… Et vous, qu'est-ce qui vous fait avancer ? Et qu'est-ce qui vous freine ? 

— Oula j’ai toujours eu horreur de cette question et puis s’il y a bien un truc que je n’aime pas faire c’est parler de moi….

— Cédric, souvenez-vous, il s’agit d’être authentique ! Dans ce cadre-là, vous n’avez qu’à être honnête avec vous-même et de toute façon je ne vous jugerais pas.

Une bouffée de chaleur le submerge, comme si l'air pesait plus lourd. Cédric sent qu'il doit choisir : l'authenticité ou la duplicité.

Il hésite, puis se lance : 

— Eh bien, si je devais décrire ma première faiblesse, je dirais que j’ai un besoin presque viscéral d’être validé par les autres dans mes choix. C’est frustrant, car j’ai souvent l’impression de me conformer aux attentes de mon entourage, de peur d’être rejeté. Un besoin constant de plaire, parfois même de séduire, dans l’espoir de créer une connexion forte, une forme de fusion et...".

Cédric s’interrompt brusquement. Il réalise soudain à quel point il se dévoile face à un homme qu’il connaît à peine. Comme s’il venait de se faire prendre à son propre piège. Après quelques secondes d’hésitation, il finit par conclure, presque à contrecœur :

— … et quand ça ne prend pas, quand l’autre ne répond pas comme je l’espère, je me sens très vite rejeté. Parfois même abandonné. 

Zorba acquiesce de la tête mais ne dit mot. Cédric prend cela comme un encouragement et continue dans sa démarche :

— Ma deuxième faiblesse concerne la gestion de mes émotions et mon impulsivité. Il m’arrive souvent de réagir à chaud, de prendre des décisions sur un coup de tête, comme si une force intérieure me poussait à agir sans réfléchir. C’est un peu comme si mon champ de vision se rétrécissait, ne laissant plus qu’un point au loin à l’horizon. Ce point m’indique la seule chose à faire : une urgence à agir, sans même me demander si c’est bien ou mal pour moi ou pour mon entourage;

De nouveau, Cédric s’interrompt. Il réalise, encore une fois, à quel point il se livre avec une facilité déconcertante, et cela l’effraie. Cette vulnérabilité soudaine le met mal à l’aise, mais en même temps, il sent qu’il ne peut plus s’arrêter là. Alors, presque malgré lui, il poursuit :

— Et puis après… le doute s’installe. Je me repasse la scène en boucle, je m’en veux d’avoir été trop spontané, ou au contraire de ne pas avoir su contenir ce qui me traversait. C’est comme si mes émotions prenaient le contrôle, et moi, je cours derrière pour essayer de rattraper les dégâts. Après coup, je vais parfois avoir honte de mes réactions mais aussi et surtout de m’être montré sans masque, tel que je suis vraiment, et je n’aime pas partager cette facette là de ma personnalité. Encore moins à mon entourage proche.  

Zorba continue d'acquiescer du visage, ce que Cédric continue d’interpréter comme une incitation supplémentaire à terminer son introspection.

Cédric soupire, les mains croisées sur ses genoux, le regard perdu dans le vide.

— Enfin, je crois que j’ai pris l’habitude de voir les choses de manière tranchée, sans nuance. C’est comme un réflexe : c’est soit tout blanc, soit tout noir. Et ça me frustre, parce que je sais que le monde est bien plus complexe que ça. Mais je n’arrive pas à m’en défaire, je me laisse envahir par cette dichotomie.

Il marque une pause, comme s’il pesait ses mots.

— Par exemple, pour ma recherche d’emploi… Je me persuade de devoir soit continuer dans la même voie que j’ai suivie jusque-là, dans ce genre de travail qui m’ennuie profondément, soit tout quitter, tout envoyer valser et partir à l’autre bout du monde pour recommencer à zéro. Je sais qu’il existe des options intermédiaires. Je pourrais peut-être suivre une formation pour élargir mes horizons, ou même utiliser mes compétences dans des domaines un peu différents, mais non… je suis comme paralysé. Tout ce qui me vient à l’esprit ce sont ces deux extrêmes. Et je ne sais pas comment en sortir. J'entrevois des possibilités sans les accepter et à la longue c’est frustrant et épuisant. Un peu comme si j’essayais d’attraper un nuage : je le vois mais je ne peux pas le saisir. 

— Je ne peux que vous féliciter d’avoir eu l’authenticité de vous ouvrir ainsi à moi…mais surtout à vous, Cédric. Bravo !

Zorba marque volontairement une pause, laissant l’opportunité à Cédric d’apprécier ce moment de vérité. Puis il reprend :

— Et du coup…quelles sont vos forces ou vos qualités ?.

— Je me décrirais comme quelqu’un de sincère, humble et curieux, répondit Cédric sans prendre la peine de réfléchir.

— Intéressant…vous passez tout ce temps à décrire vos faiblesses et si peu vos qualités. Quoi qu'il en soit, félicitations pour votre ouverture. Soyez authentique, et acceptez vos fragilités, Cédric. 

Zorba se redresse toujours assis sur le banc, tourne lentement la tête vers Cédric puis pose un regard bienveillant en sa direction. Il ajoute :

— J’entends le besoin de validation et je comprends la sensibilité. J’entends l’impulsivité et je comprends la passion. Enfin, j’entends la dichotomie et je comprends la quête de vérité.

Ces mots, plein de compassion, bouleversent Cédric en son fort intérieur, qui se sent peut-être pour la première fois compris. Les yeux humides par l’émotion, il préfère détourner son regard.

Zorba continue d’un ton plus doux :

— Peut-être avez vous porté un masque très longtemps Cédric. Ou même plusieurs. Qui vous ont permis de vous adapter et de répondre aux attentes de votre entourage. Mais quand je vous entends vous ouvrir comme vous venez de le faire, je me dis que vous êtes une belle personne.

— C’est difficile d’être gentil dans un monde qui manque cruellement de sensibilité et d’empathie, ajouta-t-il.

La seule réponse qu’il aura est Cédric se frottant les yeux d’un air gêné.

Puis, d’un geste énergique, Zorba met les mains sur ses genoux pour prendre appui et se mettre debout. Il tend une main ferme en direction de Cédric pour lui signifier qu’il prend congé et qu’il espère le retrouver demain. Avant de s’éloigner, Zorba lui lance :

— Au fait… J’aime beaucoup votre pendentif.

Zorba disparaît dans les ombres du square, laissant Cédric interdit. Il lui faut quelques instants pour réaliser que son prénom est gravé sur le médaillon, accroché discrètement à son cou.

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