Chapitre 8 - Maël
La nuit n’a pas suffi à apaiser la tension interne qui me déchire. J’ai à peine dormi, repensant à chaque instant, chaque échange depuis que je l’ai embrassée hier. Je me suis trop dévoilé. J’ai perdu le contrôle. Et pour moi, c’est dangereux.
Elle a raison sur un point : on doit rester professionnels. Mais ce matin, ce n’est pas de la reconnaissance que je ressens. C’est de la colère. Un sentiment de rejet qui me vrille les tripes. Ce n’est pas quelque chose que je vis bien. Ce n’est pas quelque chose que je connais, tout simplement. J’aurais préféré que ce soit moi qui fixe les règles. Moi qui impose les limites. J’aurais aimé qu’elle s’abandonne, qu’elle admette avoir aimé ce moment, en vouloir plus… comme moi.
Mais non. C’est elle qui a gardé le contrôle. Elle qui a mis les mots justes. Elle qui m’a percé à jour.
Sur le moment, j’étais soulagé. Reconnaissant, même. Mais ce matin, je m’en veux. De ne pas avoir remis mon masque immédiatement. De ne pas avoir nié. De ne pas avoir ri, ou menti, ou fui. N’importe quoi. N’importe quoi, sauf rester là, à cœur ouvert.
J’ai encore dans les narines l’odeur de sa crème, celle qu’elle portait hier soir. Et le goût de sa peau quand mes lèvres ont frôlé sa joue, avant qu’elle détourne la tête. Et ça me rend fou.
Alors je reprends le masque. Je le plaque sur mon visage et je serre les dents. Je vais me refermer, m’endurcir, même si ça doit faire mal. Même si je dois passer pour un connard. Parce que c’est plus sûr. Pour elle. Et pour moi.
Si elle craquait… si elle ouvrait son cœur, et qu’elle ouvrait le mien au passage… Puis qu’elle découvrait que je ne suis qu’un type paumé, qui ne lui arrive pas à la cheville ? Elle pourrait me détruire.
J’ai passé une partie de la nuit à chercher des infos sur elle. Fouillé un peu partout. Et je n’ai pas trouvé grand-chose. Quand on tape son nom, ce sont surtout ses parents qu’on voit. L’élevage Delcourt, les titres, les chevaux. Un seul article la mentionne directement, daté d’il y a quelques années : une séparation avec un cavalier international. Quelques lignes à peine. Et surtout centrées sur lui. Il y est dit qu’il "perd les chevaux que la famille Delcourt lui confiait". Rien d’elle. Rien de personnel. Elle a visiblement tout fait pour se faire oublier de ce monde-là.
Quand je la rejoins pour le petit déjeuner, elle m’accueille avec un sourire tranquille. Comme si de rien n’était. Comme si hier ne pesait pas dans l’air entre nous.
Ça me noue le ventre. Mais je sais ce que j’ai à faire.
Je ne lui rends ni son sourire, ni son bonjour. Je m’assieds sans un mot, le visage fermé.
— Ça n’a pas l’air d’aller. Tu as mal dormi ? me demande-t-elle en me servant une tasse de café.
— Ce que je fais de mes nuits ne te regarde pas.
Mon ton est plus dur que prévu. Elle tressaille, surprise. Ses sourcils se froncent.
— C’était une simple question, Maël. Je m’inquiétais juste pour toi…
— Je fais ce que tu voulais. Je me tiens à ma place.
Elle croise les bras. Une veine bat à sa tempe. Je crois que je commence à l’énerver.
— Ce n’est pas une raison pour te comporter comme un ado vexé.
Je serre les poings.
— Tu crois que c’est simple ? Tu m’attires, Isis. Et t’as beau faire la pro jusqu’au bout des ongles, t’as pas reculé non plus. Alors ouais, je suis paumé. Et non, je vais pas faire semblant que je m’en fous.
— Je ne t’ai jamais demandé de faire semblant. Juste de garder tes distances.
— Ce serait plus facile si t’arrêtais de te pointer avec ce regard.
— Quel regard ?
Je la fixe droit dans les yeux.
— Celui qui me donne envie de recommencer.
Elle reste figée. Je sais que j’aurais dû m’arrêter là. Mais je suis lancé. Et blessé.
— Après tout, c’est ton truc, les célébrités, pas vrai Isis ?
Je ne vois pas la claque venir.
Elle me frappe si vite que je ne peux même pas reculer. Ma joue me brûle, mais je ne dis rien. Je le mérite.
Je la regarde. Elle a les yeux brillants. Une larme tremble au bord de ses cils, mais elle ne cède pas. Son regard me brûle plus que sa main.
Je suis mort de honte. J’aimerais pouvoir lui dire que je suis désolé. Que je me sens minable. Que je voudrais la serrer contre moi pour effacer ce que je viens de faire.
Mais je ne peux pas. Il ne faut pas.
Elle doit me détester. C’est mieux ainsi.
— Désormais, c’est un cours par jour, tranche-t-elle d’un ton sec. Le reste du temps, je ne veux ni te voir, ni t’entendre. Passe ta journée enfermé dans ma chambre ou à cuire dans ton cabriolet, je m’en fous, tant que tu ne t’approches plus de moi.
Elle s’interrompt une seconde, sa voix tremble légèrement avant de reprendre, tranchante.
— Peut-être que tu auras l’intelligence de mettre ce temps à profit pour créer un lien avec Obsi. Même si je pense que lui, justement, en a trop pour vouloir en avoir un avec toi. Rond de longe. 15h.
Elle se détourne, Tess sur ses talons, et claque la porte en sortant. Je reste là, figé.
Je m’approche de la fenêtre et l’observe s’éloigner, le dos droit, sans un regard en arrière.
J’ai la nausée.
Mais une part de moi est soulagée. Parce que maintenant, elle va m’éviter. Et moi, je n’aurai pas à remettre une autre couche.
Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me gifle. Et encore moins à ce que ça me touche autant.
Le pire, c’est qu’elle n’a pas eu l’air de regretter. Pas une seconde.
Je reste là un moment, seul dans la pièce. Le silence est oppressant. Je tends machinalement la main vers la tasse qu’elle a posée sur la table, celle qu’elle m’a servie sans réfléchir, comme si tout était encore simple.
Je la vide d’un trait. Le café est amer. Comme le goût qu’elle a laissé dans ma gorge.
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